« Les bébés ne se soucient pas des bombes, ils arrivent quand ils arrivent ». C’est ce qu’a déclaré la porte-parole de l’OMS, Margaret Harris, dans une interview à CNN. Malgré la guerre qui fait rage à la bande de Gaza, la vie continue d’éclore. Les produits médicaux de première nécessité manquent dangereusement dans les quelques hôpitaux qui continuent d’être opérationnels, le sang, l’oxygène, les anesthésiques … Dans ces conditions, certaines interventions chirurgicales peuvent être ajournées. Pas les accouchements.
« C’était horrible, invraisemblable, très douloureux. C’est mon premier bébé. Nous essayons d’avoir un enfant depuis six ans, c’était un long processus. J’étais impatiente de le voir, mais c’était effrayant. Je mourais 100 fois par jour de peur. J’étais inquiète pour ma vie, inquiète d’accoucher, puis inquiète pour mon fils », lâche Sabrine Al-Agha, dont la fin de grossesse était très compliquée, accompagnée de beaucoup de stress, suite aux tirs et aux bombardements incessants visant délibérément les hôpitaux de la bande de Gaza. Contactée par téléphone, Sabrine, habitante de Khan Younès, raconte avoir vécu l’horreur. La maison adjacente de la sienne a été ciblée par un raid aérien. Le toit de sa propre maison s’est également effondré. Elle s’est retrouvée sous les décombres et ne pouvait plus bouger. Elle a commencé à crier jusqu’à ce que les sauveteurs l’aient trouvée et emmenée à l’hôpital koweïtien de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. « Je n’avais pas une seule partie de mon corps sans blessures. J’ai subi une césarienne d’urgence, car le pouls du foetus était faible », raconte-t-elle tout en décrivant les conditions atroces qu’elle a endurées, apportant une nouvelle vie dans un monde de danger soudain et extrême. « Chaque étape ressemblait à une course contre la mort. Je ne peux plus décrire ma douleur. J’ai eu une césarienne d’urgence dans un hôpital sans électricité, à la lumière d’un téléphone portable et où il était impossible de recevoir une anesthésie. On ne m’a donné aucun antidouleur, aucun médicament, aucune nourriture. J’ai dû sortir trois heures après avoir accouché pour laisser ma place à d’autres femmes enceintes ou à des personnes blessées », explique cette nouvelle mère qui, malgré tout, ne cesse de remercier le Bon Dieu que son bébé, tant attendu, est encore vivant. Pourtant, elle craint qu’une mauvaise alimentation et une eau polluée ne nuisent à son bébé. Elle affirme qu’elle ne mange qu’un seul repas et que son lait s’était tari parce qu’elle ne buvait pas assez d’eau, et à cause du stress et de la tension engendrés par les déplacements d’un abri à l’autre. « Je n’ai pas suffisamment de lait maternel. Et, l’alimentation en eau n’est plus assurée. Nous sommes obligés de boire de l’eau souillée et de l’eau salée. Car les stations d’épuration ne fonctionnent plus. Les pompes à eau ne fonctionnent plus parce qu’il n’y a plus de carburant », déplore Sabrine qui, entre joie et angoisse, s’inquiète pour la santé de son bébé, les vaccins essentiels qu’il doit prendre, ainsi que l’obtention de son certificat de naissance. « Je ne m’attends à rien. Je ne sais même pas si nous vivrons encore demain », confie-t-elle.
(Photo : AP)
180 naissances par jour
L’expérience de Sabrine n’est pas isolée. Selon le Fonds des Nations-Unies pour la population (FNUAP), 50 000 femmes sont actuellement enceintes à Gaza et n’ont pas accès aux services obstétriques d’urgence dont elles ont besoin pour accoucher en toute sécurité et s’occuper de leurs nouveau-nés. Avec la fermeture de 14 hôpitaux et de 45 centres de soins de santé primaires, nombreuses sont les femmes qui doivent accoucher dans des abris, chez elles, dans les rues au milieu des décombres ou dans des établissements de santé débordés, surchargés, dépourvus d’analgésiques, où les conditions sanitaires se dégradent et où les risques d’infection et de complications médicales augmentent. Selon les estimations du FNUAP, 5 500 femmes accoucheront au cours du mois, soit plus de 180 naissances par jour, dont, selon les statistiques, 15 % pourraient avoir des complications.
Le taux de fécondité à Gaza est de 4,1 enfants par femme en âge de procréer. On s’attend à ce que les décès maternels augmentent en raison du manque d’accès à des soins adéquats.
Sans oublier que le bilan psychologique des hostilités a également des conséquences directes, parfois mortelles, sur la santé maternelle, notamment une augmentation des fausses couches dues au stress et des naissances prématurées. Tel est le cas de Wafaa Hassan, 34 ans, également contactée par téléphone. Elle était enceinte dans son 3e mois, mais a subi une forte hémorragie, puis une fausse couche après avoir été contrainte à évacuer sa maison à quatre reprises à cause des bombardements aériens. « Ces jours sont les plus difficiles de ma vie. Mon bébé est parti retrouver Dieu et moi, je ne veux pas rester ici plus longtemps. Que Dieu abrège mes souffrances ! », fulmine cette femme désespérée et déprimée. Un lourd tribut que paient les mères et les femmes de Gaza.
Et ce ne sont pas seulement les femmes sur le point d’accoucher qui sont à risque. Dr Howaida Marawan, obstétricienne travaillant à Gaza, estime que les femmes allaitantes et les nouveau-nés sont aussi confrontés à des risques accrus en raison du manque d’eau. « Les nourrissons sont plus sensibles aux maladies d’origine hydrique en raison d’une eau contaminée et d’une hygiène inadéquate. Les problèmes sont exacerbés par l’eau polluée que beaucoup ont été obligés d’utiliser depuis qu’Israël nous a coupé l’approvisionnement en eau. Nous craignons que si la situation s’aggrave, il ne reste plus aucun médicament pour soigner les enfants », assure-t-elle, tout en ajoutant que les mères mélangent du lait maternisé avec de l’eau contaminée pour nourrir leurs nouveau-nés. Cela a contribué à l’augmentation des cas critiques.
Et ce n’est pas tout. Selon elle, les femmes et les filles sont confrontées à des difficultés pour gérer leur menstruation de manière hygiénique et digne, ce qui incite nombre d’entre elles à utiliser des produits menstruels plus longtemps que prévu, augmentant ainsi les risques d’infection. D’autres tentent encore de prendre des pilules pour éviter leurs règles. Une situation catastrophique qui met en lumière l’état de la santé reproductive des femmes gazaouies.
Des bébés palestiniens nés prématurément retirés des couveuses en raison du manque de carburant à l’hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza. (Photo : AP)
Naître, puis tenter de survivre
Or, Dr Marawan estime que ce n’est pas la première fois que les femmes palestiniennes doivent accoucher dans un contexte de guerre. L’accès aux soins médicaux n’a cessé de s’empirer depuis 2007 avec le blocus total de Gaza par Israël. De nombreuses femmes gazaouies étaient alors contraintes à aller accoucher en territoire israélien. Toutefois, les restrictions et les contrôles concernant les déplacements des Palestiniens sur les territoires israéliens impactaient très fortement les conditions d’accouchement et les soins postnataux tant pour les mères que pour les nouveau-nés. « Entre 2000 et 2007, environ 10 % des femmes palestiniennes ont été retenues à des points de contrôle alors qu’elles se déplaçaient à l’hôpital pour accoucher, une centaine de bébés sont nés à ces points de contrôle dont plusieurs sont décédés », explique-t-elle, tout en ajoutant que les droits reproductifs, comme le droit à l’avortement ou l’accès à des contraceptifs, sont quasi inexistants.
L’avortement est certes interdit à Gaza, mais cela n’empêche pas évidemment sa pratique, de manière clandestine. « Les politiques concernant la natalité et la contraception varient en fonction des périodes politiques. Par exemple lors des dernières intifada, les femmes ont été encouragées à avoir des enfants pour grossir les rangs des combattants. Par contre, dans des périodes d’accalmie, sous blocus, la pratique de la contraception a été promue et relayée par le FNUAP, mais cela après avoir eu un ou plusieurs enfants », explique Dr Marawan.
Des bébés palestiniens nés prématurément retirés des couveuses en raison du manque de carburant à l’hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza. (Photo : AP)
Cependant, aujourd’hui, la situation est différente et les risques sont plus grands que jamais. Même quand une femme parvient à accoucher, la peur au ventre est toujours là, celle de perdre le bébé. Des centaines de prématurés dépendent de couveuses pour survivre. Selon un décompte récent effectué par le Fonds des Nations-Unies pour l’enfance (Unicef), la pénurie de carburant met en danger ces nourrissons vulnérables. Les organisations humanitaires tirent la sonnette d’alarme face à cette situation préoccupante, ainsi qu’aux conditions tragiques des bébés prématurés à l’hôpital Al-Shifa dans la bande de Gaza, où le travail aux couveuses s’est arrêté en raison du manque d’électricité et d’oxygène, les obligeant d’être transférés dans d’autres départements pour tenter de préserver leur vie. « Ne pas agir vite, c’est condamner ces bébés à la mort », lance Dr Marawan qui insiste sur la nécessité urgente de faire entrer l’aide humanitaire passant par le point de passage de Rafah. « Le goutte-à-goutte d’aide n’est rien face à l’ampleur des besoins », s’indigne-t-elle, tout en faisant allusion à la scène diffusée sur les chaînes satellites des bébés prématurés rassemblés sur un lit et réchauffés avec des couvertures et des draps, malgré la nécessité pour chaque enfant de rester dans une couveuse privée équipée pour prendre en charge leurs conditions sensibles.
Pourtant, ce n’est pas la fin. Les femmes palestiniennes continuent d’accoucher, faisant de leur élan de vie un acte de résistance, et de ces naissances de guerre comme autant des signes d’espoir. Et si le bonheur se mélange aujourd’hui à la douleur, la vie doit continuer en dépit de la guerre.
Lien court: