Les coptes craignent-ils l’Etat islamique ?
Karima Kamal
Il
est vrai que la question a dépassé le stade de la crainte
pour passer à celui de la terreur. Les coptes ont toujours
été terrifiés à l’idée de l’Etat religieux en Egypte, non
seulement aujourd’hui ou hier, avant ou après la révolution.
Cette obsession remonte à plus de 4 décennies, précisément
depuis l’ère Sadate. Lorsque ce dernier a déclaré dans un de
ses discours : « Je suis un président musulman d’un Etat
musulman », les coptes ont eu le sentiment qu’ils étaient
les laissés-pour-compte de l’équation et que leurs droits
dans cette patrie étaient en voie de disparition. Ils ont
dès cette date vécu motivés par
cette crainte de voir la proclamation d’un Etat musulman et
par la suite de devenir citoyens de seconde zone. L’Etat
islamique n’a pas été proclamé et le président Sadate fut
assassiné par les islamistes avant le début de l’ère de
Hosni Moubarak sous laquelle ils ont vécu sous une pression
qui pesait lourd. A leurs yeux, ils assimilaient l’absence
de Moubarak à l’ascension des islamistes. Moubarak faisait
figure de protecteur des coptes contre le rigorisme
islamique. Dans cet ordre d’idées, nous comprenons bien
pourquoi l’Eglise s’est toujours accrochée à l’ancien régime
et pourquoi elle l’a toujours défendu. « Ce ne fut
certainement pas par amour voué à Moubarak, mais à cause de
l’animosité ressentie envers le camps des islamistes ».
L’Eglise copte orthodoxe a alors annoncé son soutien à
Moubarak. On ne peut que se rappeler la fameuse phrase du
pape Chénouda : « Béni est mon
peuple d’Egypte », lorsqu’on attaquait le sujet des
élections. Le pape n’était apparemment pas un fan du régime
qui n’a jamais prêté l’oreille aux plaintes des coptes, mais
cette attitude traduisait une phobie de l’inconnu. D’autant
plus que la seule alternative à l’absence du président déchu
était les islamistes.
Et voilà Moubarak soudainement absent de l’image. Loin des
tendances et partis pris politiques et des
pro et anti-régime, les coptes,
qui se sont vraisemblablement ralliés à la révolution,
étaient épris par un sentiment de joie mêlé d’une crainte de
ce qui pourrait advenir et de voir la prophétie des
islamistes se réaliser. Le confort émanait surtout des
sentiments d’union religieuse dont nous avons témoigné à la
place Tahrir comme dans beaucoup
d’autres places et rues sur toute l’étendue de la république
et qui ont fusionné les uns aux autres. Mais rapidement, la
crainte a pris place avec le mouvement irraisonné des
salafistes et les événements
survenus en cascade. Depuis l’oreille coupée d’un copte à
l’expulsion d’une femme copte de chez elle en l’interdisant
d’y revenir et en la menaçant de mort. Et enfin, la grande
escalade a été celle d’Atfih, où
l’église de Soul a été incendiée. De leur côté, les voix des
salafistes se sont élevées
appelant les coptes à payer la guézya
(tribut). Au même moment, les islamistes sont sortis des
prisons et se sont accaparé les écrans des chaînes
satellites en portant l’habit des héros. En réaction, les
coptes ont ressenti que l’avènement de l’Etat islamique
approchait et leurs craintes se sont multipliées.
Le pire actuellement c’est que les coptes commencent à
ressentir que le régime de Moubarak était leur bouclier
contre l’Etat islamique où ils n’auraient plus de place.
D’autre part, les Frères musulmans, qui sont bel et bien
présents dans le cadre, ne se considèrent pas comme l’unique
force dans la rue, mais réagissent comme s’ils étaient de
fait la force au pouvoir. Malgré les incessantes tentatives
d’apaisement, il n’en demeure pas moins que le scénario du
référendum et leur instrumentalisation de la religion pour
faire campagne au profit des amendements ont amené les
coptes à mener une contre-campagne pour plaider en faveur du
« non » qui consacrerait l’Etat civil dans lequel ils
trouveraient leur salut. Tout simplement, les intentions des
Frères ne fondent pas un Etat de citoyenneté où les coptes
seraient des citoyens de première et non de seconde zone.
Raison pour laquelle les coptes ont organisé un sit-in
devant l’immeuble Maspero, comme pour déchaîner leur propre
révolution. Il ne s’agit pas là d’une manifestation des
coptes à l’intérieur de l’Eglise comme ils étaient habitués
à le faire. Les coptes ont préféré s’éloigner des consignes
de l’Eglise qui, à leurs yeux, n’étaient plus en mesure de
parler en leur nom. Leur sit-in devant Maspero sur fond
d’attaque salafiste est plutôt à
l’image d’une révolution après un long silence et
soumission. Ils ne sont pas là en train de manifester contre
l’attaque des salafistes mais
ils se rebiffent contre une persécution de longue date sur
laquelle ils ont gardé le silence comme leur demandait
l’Eglise.
Mais le cri des coptes est bien compris et placé dans son
juste contexte par les activistes égyptiens, politiciens et
ONG qui solidarisent avec eux, suivant le principe des
droits intégraux de citoyenneté. Cela à un moment où un
autre groupe d’Egyptiens ne sympathise guère avec eux en
raison du fanatisme bien ancré dans la société égyptienne
depuis plusieurs décennies et qu’ils n’ont guère tenté de
contourner. Les responsables des manifestations qui n’ont
pas cessé depuis le 25 janvier doivent savoir distinguer les
protestations liées à des revendications de certaines
catégories sociales qui détériorent l’économie. Le sit-in en
question est une réaction aux attaques successives les ayant
ciblés, accompagné d’un silence de la part de l’Etat.
N’oublions pas les agressions dont ils ont fait l’objet par
des baltaguis (hommes de main)
dans une scène qui nous rappelle la bataille des chameaux.
Tout ceci amène les coptes à persister dans leur sit-in,
pour que leurs revendications aboutissent, à l’instar de
celles de la révolution.