Crise .
La presse nationale se montre très alarmiste sur la
situation économique du pays, illustrant la peur de voir le
pays sombrer. Si la situation est préoccupante, l’Egypte
dispose néanmoins de bons atouts pour remonter la pente.
Des difficultés, mais pas de faillite
«les
investissements étrangers sont au point mort, les revenus
touristiques ont considérablement régressé, le déficit
budgétaire est de 1 290 milliards de L.E., le chômage est en
hausse et le taux de pauvreté est de 70 % ». C’est ainsi que
la presse égyptienne qualifie l’économie post-révolution
suite à une conférence organisée par le Conseil suprême des
forces armées. Une synthèse économique qui n’est pourtant
pas du goût de tous les économistes. « Ces chiffres montrent
une situation économique très sombre et font croire que tout
allait bien avant. Mais il y a beaucoup de doutes autour des
chiffres de la croissance avancés par l’ancien régime »,
assure Ibrahim Al-Essawi, conseiller au Centre national du
planification.
Si certains chiffres présentés peinent à convaincre,
d’autres sont indéniablement faux, voire illogiques. Les 1
290 milliards de L.E. de déficit budgétaire semblent, en
effet, irréalistes face à un budget global annuel qui ne
dépasse pas la moitié de ce chiffre. Le lendemain de la
publication de ce chiffre par le quotidien Al-Masry Al-Youm,
le ministre des Finances a révélé que le déficit prévu pour
le budget 2011/2012 serait compris entre 155 et 185
milliards de dollars, soit entre 9,9 et 11,9 % du PIB
(Produit Intérieur Brut). La différence est plus
qu’importante ... Quant à savoir pourquoi cette conférence a
voulu sombrer dans le catastrophisme sans relativiser, la
réponse est à demander au Conseil suprême des forces armées
!
La Mena, agence de presse nationale, a elle aussi publié un
chiffre faussé avançant que les réserves fédérales en
devises étrangères n’étaient que de 24,9 milliards de
dollars en avril. Une information qui a été démentie par le
vice-président de la Banque centrale d’Egypte, qui a assuré
que les réserves étaient de 28 milliards de dollars fin
avril contre 30 milliards fin mars. Les investissements
étrangers ne sont pas tout à fait au point mort. S’ils ont
fortement chuté, beaucoup estiment qu’ils reprendront de
plus belle avec le retour attendu de la stabilité politique.
En tout état de cause, après des décennies de black-out sur
les chiffres économiques, il est difficile de dire
qu’aujourd’hui, la révolution a mis fin au secret qui
entoure les données de base de l’économie égyptienne.
Le taux de pauvreté de 70 % est l’un des chiffres les plus
remis en cause. Les derniers chiffres publiés estiment que
20 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour.
Un chiffre qui s’élève à 40 % si on passe à moins de 2
dollars par jour. « Le taux de pauvreté ne grimpe jamais
aussi vite. Je ne sais pas selon quel critère a été calculé
ce chiffre », se demande Ahmad Galal, économiste et ancien
employé auprès de la Banque Mondiale (BM).
« L’économie est encore solide »
L’économie égyptienne, c’est évident, est loin de connaître
son époque la plus prospère de son histoire. La
détérioration de certains indicateurs ne peut se nier dans
un moment de changement et d’instabilité politique. Les
investissements étrangers et le tourisme sont les premiers
secteurs touchés. Les réserves sont aussi en mauvais état,
mais l’Egypte est cependant loin d’être sur le point de
faire faillite. « Le problème n’est pas profond : il s’agit
de problèmes au niveau des politiques, mais la structure de
l’économie égyptienne est encore solide. Nous avons des
ressources humaines compétentes, une bonne infrastructure,
notre position géographique facilite l’investissement et
nous avons les capacités de diversifier l’économie »,
synthétise Magda Qandil, directrice exécutive du Centre
égyptien des études économiques. Elle ajoute qu’on ne peut
pas dire que l’Egypte est un Etat en faillite, à l’instar de
la Grèce ou du Portugal. « On a encore 28 milliards de
dollars de réserves et on vient de recevoir des aides et des
crédits à taux restreints pour plusieurs milliards de L.E.
L’Egypte est encore capable de rembourser ses dettes »,
assure l’économiste.
Plusieurs indicateurs commencent à se relever. Une enquête
réalisée par Al-Ahram Hebdo en avril (voir numéro 689)
montre que les marchés de l’électroménager et de
l’automobile ont subi une reprise en avril. Les résultats
des sociétés cotées en Bourse affichent malgré tout des
profits au cours du premier trimestre 2011. Selon Magda
Qandil, la tendance de la consommation locale est aussi à la
reprise. « C’est la consommation locale qui a soutenu la
croissance lors de la crise économique mondiale. En
2009/2010, elle a représenté 85,9 % du PIB », ajoute Qandil.
Un poids important qui a limité la casse en Egypte et lui a
permis de se maintenir malgré le ralentissement de la
croissance internationale. « Encore une fois, c’est une
question de politiques. Il faut reconsidérer les dépenses
publiques, encourager la production et élever le niveau de
vie. Cela va encourager la consommation », conclut-elle.
Selon des économistes de différentes tendances, l’économie
passe effectivement par une période difficile, mais la
plupart des spécialistes reste optimiste sur le moyen et
long terme. « Après toute révolution, l’économie passe par
une période de trouble, non pas à cause de la révolution,
mais à cause des contre-forces et du sabotage de ces forces
qui affectent nos transactions avec l’extérieur », explique
Ibrahim Al-Essawi. Il estime que l’économie égyptienne
souffre d’une trop forte dépendance extérieure et se base
trop fortement sur des activités rentières comme le
tourisme, le pétrole ou le gaz. Pour lui, le gouvernement
doit dès à présent mettre l’accent sur la production et
encourager les secteurs créateurs de nouvelles richesses.
L’économie, depuis toujours liée à la politique en place
dans un pays, souffre donc de maux que beaucoup estiment
temporaires. « La question de sécurité est primordiale pour
la reprise économique. Mais il faut aussi instaurer une
réforme politique approuvée par les citoyens, et jusqu’à
présent ce n’est pas vraiment le cas », relève l’économiste
Ahmad Galal. Si l’Egypte n’est pas encore en faillite, des
années de mauvaise gestion économique ajoutées à 4 mois de
crise sévère risquent de faire entrer l’Egypte dans la
catégorie des pays susceptibles de faire faillite. Mais
certains pays redoutant ce scénario dans une région,
aujourd’hui instable, feront tout pour l’éviter.
Marwa
Hussein