Festival de Cannes .
Pas de grands chocs pour cette 64e édition qui vient de se
terminer sur un bilan assez riche. Deux films bouleversants
— L’arbre de la vie et L’Apollonide, deux thèmes récurrents
aussi, ceux de l’enfance et du malheur humain. Et une
polémique qui secoue la Croisette, suite aux déclarations du
réalisateur danois Lars Von Trier. Bilan.
Fabrique de belles images
C’est
la fin du suspense. Après douze jours de festival, le
verdict vient de tomber et le palmarès tant attendu vient de
se faire connaître. Voici le bilan de la cuvée 2011.
Polémiques, absence de grandes stars sur le tapis rouge,
réalisateurs majeurs pas toujours inspirés et l’enfance
ainsi que le malheur humain comme thèmes récurrents dans bon
nombre de films : voilà ce à quoi a ressemblé cette 64e
édition du Festival de Cannes.
Contrairement aux éditions passées, la sélection n’offrait
pas de grands chocs similaires à celui provoqué — à titre
d’exemple — par Persopolis de Marjane Satrapi, Le prophète
de Jacques Audiard ou Hors-la-loi de Rachid Bouchareb. Deux
films sont néanmoins sortis du lot. Le controversé Tree of
life (l’arbre de la vie, Palme d’or) de l’Américain Terence
Malick. C’était le film le plus attendu du Festival de
Cannes 2011. Le retour d’un cinéaste culte avec un film que
tout le monde comparait déjà à 2001 Odyssée de l’espace de
Kubrick. Hué par une partie de la salle et pourtant
applaudi, le film a divisé le festival. Tout aussi
bouleversant, L’Apollonide de Bertrand Bonello, sur la
prostitution. Après l’énigmatique Sleeping Beauty, c’est au
tour de L’Apollonide — Souvenirs de la maison close — de se
pencher sur la difficile condition de la prostituée.
Chronique des derniers jours d’une maison de prostitution
parisienne, L’Apollonide, vouée à la fermeture s’apparente à
une galerie de portraits croisés : la femme qui rit, à qui
un client a taillé un sourire au couteau, la petite
nouvelle, modéliste adolescente qui se déguise en geisha, la
mère maquerelle du lieu qui règne sur son harem avec une
tendresse toute maternelle. Magnifiquement mis en images par
Josée Deshaies, le film offre toutefois une reconstitution
d’époque si somptueuse et une vision si romantique de la
prostitution qu’on en oublie presque le drame de ces jeunes
femmes prisonnières de ce bordel. Rappelant plus ou moins
les belles toiles de Manet et de Renoir, l’œuvre déroute
parfois avec un excès de la sensualité dans certaines
scènes. De tous les personnages féminins, c’est sans doute
celui de la femme qui rit — campé par Alice Barnole — et
inspiré de Victor Hugo, qui émeut le plus, illustre crûment
toute la cruauté dont sont victimes ces « esclaves sexuelles
».
Paris ratés
On aurait aimé que certains grands réalisateurs soient aussi
inspirés que les autres concurrents. Génial pour les uns, le
réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan n’a pas su nous
convaincre avec son Once upon a time in Anatolia (il était
une fois en Anatolie, (Grand Prix), si répétitif qu’il en
est devenu lassant.
L’Américain Nicolas Winding Refn s’est fourvoyé avec Drive,
le nouvel opus de celui qui avait dirigé les deux films
audacieux Bronson et Vahalla Rising. Inégal aussi : La forêt
de Mogari, le nouveau film de Naomi Kawase, une méditation
sur l’intemporalité des conflits sentimentaux. Comme à son
habitude, la cinéaste de Shara filme les arbres comme les
hommes et les hommes comme les arbres, et revendique une
approche presque documentaire de la mise en scène, imposant
une certaine divinité, parfois déroutante sur ses idées.
Autre déception : Michael, premier film de Markus Schleinzer,
qui raconte les derniers jours de vie commune entre un
pédophile trentenaire et un garçon de 10 ans. Il est dommage
que le degré zéro de psychologie gâche le tout.
Bien d’autres films ont su développer ce thème de l’enfance
avec plus ou moins de succès. A commencer par Le gamin au
vélo (Grand Prix) des frères Jean-Pierre et Luc Dardenne. Ce
duo belge embauche une de leur compatriote, Cécile de
France, en coiffeuse qui va se prendre d’amitié pour un
gamin de 12 ans, abandonné par son père. Le film est bien
accueilli par la Croisette, estimant que les Dardenne
livrent un film sobre et simple, dans la droite lignée de
leur meilleur cinéma social.
Mais il reste la bonne et excellente surprise de la
compétition cannoise 2011 : The Artist de Michel
Hazanavicius avec Bérénice Béjo et Jean Dujardin (Prix
d’interprétation masculine). L’homme qui a réussi les
meilleures comédies françaises des dix dernières années avec
les OSS 117 et le doué Dujardin revient avec un projet de
défi : tourner un film en noir et blanc totalement muet.
Ce film a été intégré en dernière minute à la compétition
officielle alors qu’il devait initialement être présenté
hors compétition. La mise en scène se caractérise par sa
fluidité, son inventivité dans le travail du cadre, des
décors, son hommage émouvant au 7e art et l’utilisation
jouissive de l’homme élastique qu’est Jean Dujardin. Tout le
monde lui prévoyait un prix original pour un pari risqué et
une réunion du grand public et du festival.
Autre belle surprise cinématographique : La Piel que habito
(la peau dans laquelle je vis) du cinéaste espagnol Pedro
Almodovar. De retour à Cannes pour la 5e fois, le matador du
cinéma espagnol se lance dans le thriller chirurgical et les
expériences démentes d’un chirurgien amoral qui se venge des
épreuves de la vie. 18e film du réalisateur, ce film joué
par Antonio Banderas et la jeune Elena Ayana est adapté d’un
polar du Français Thierry Jonquet, Mygale, et inaugure un
nouveau genre pour Almodovar, deux fois primé sur la
Croisette.
Une des leçons de cette 64e édition cannoise, c’est qu’à 85
ans, on peut jouer l’un des plus beaux rôles de sa carrière.
Michel Piccoli, le comédien français octogénaire, interprète
avec maestria le rôle d’un pape craquant sous pression, dans
le film Habemus Papam signé Nanni Moretti. Lauréat de la
Palme d’or en 2001 pour La chambre du fils, ce dernier livre
avec Habemus Papam, un film surprenant. De fait, l’on
s’attendait de la part du réalisateur du Caïman, brûlot
anti-Berlusconi, une charge féroce contre l’Eglise
catholique plutôt qu’une incursion tendre, amusante et
pleine de finesse dans les coulisses du Vatican.
De la polémique ... Encore et toujours
Pour cette cuvée 2011 la polémique était, comme le veut la
tradition, au rendez-vous. 24 heures après avoir avoué une «
certaine sympathie » pour Hitler, le réalisateur danois Lars
Von Trier fait l’objet d’une sanction rare du Festival de
Cannes qui l’a déclaré persona non grata. Cette sanction
avec effet immédiat n’exclut pas son film Melancholia (Prix
d’interprétation féminine pour Kirsten Dunst) de la
compétition pour la Palme d’or étant donné que la direction
du Festival de Cannes a décidé de « sanctionner un homme,
pas une œuvre », a expliqué Thierry Frémaux, délégué général
du festival. Pour Gilles Jacob, président du Festival de
Cannes, associé de longue date à l’histoire du festival, «
cette sanction est inédite, au moins depuis les années 1960
». Lars Von Trier a déclaré accepter la sanction. Il avait
déjà présenté des excuses pour ses déclarations à la demande
expresse du festival.
Du côté des sections parallèles, certaines surprises sont à
noter. La section parallèle Un certain regard, considérée
comme l’antichambre de la sélection officielle, était elle
aussi de haute qualité, avec des auteurs habitués de la
Croisette comme Gus Van Sant avec son beau film Restless,
Kim Ki-duk, Hong Sang-Soo, Eric Khoo, Robert Guédiguian ou
les nouveaux films de Na Hong-Jin, auteur de The Chaser, et
Nadine Labaki, auteure de Caramel, venue sur la Croisette
cette fois-ci avec Et maintenant, on va où ?
Cette section a réussi à proposer quelques beaux films qui
auraient mérité d’entrer dans la compétition, s’affirmant
ainsi, année après année, comme l’une des plus intéressantes
du festival, proposant un panorama assez ample des
cinématographies internationales, avec des œuvres moins
ambitieuses que les ténors de la compétition, mais souvent
tout aussi réussies, sinon plus. Dans les deux autres
sections parallèles, le plaisir de la découverte primait
toujours. Les organisateurs de La Quinzaine des réalisateurs
et de La Semaine de la critique privilégiant
traditionnellement la mise en avant de nouveaux talents. Ce
qui n’empêche pas la présence, là aussi, de quelques valeurs
sûres.
Côté La Quinzaine des réalisateurs, André Téchiné est venu
présenter son nouveau film, tout comme Bouli Lanners, Sono
Sion ou Kamen Kalev.
Quant au côté La Semaine de la critique, la belle Valérie
Donzelli est venue proposer son nouveau long métrage, La
Guerre est déclarée, juste un an après sa Reine des pommes.
Les festivaliers ont également suivi avec attention le
premier long métrage des sœurs Coulin, intitulé 17 filles.
Vive l’Egypte
Il faut l’avouer : Cannes, ce n’est pas uniquement un
majestueux tapis rouge garni de tenues de stars sous les
flashs des photographes. C’est également une caisse de
résonance de l’actualité mondiale. Cette année, c’était une
première au Festival de Cannes : un pays est mis à l’honneur
de cette 64e édition, qui n’est autre que l’Egypte. La
direction du festival a salué la révolution égyptienne. Mais
pas seulement. En présentant, hors compétition, le film
collectif 18 jours, en présence de la délégation égyptienne,
le sélectionneur Thierry Frémaux a également mis en avant
l’apport de ce pays au 7e art.
Sans évoquer le niveau artistique de cette œuvre collective
qui a été tournée dans l’urgence, disons simplement que ces
dix courts métrages ne sont pas des documentaires sur la
révolution. Ce sont des pièces de fiction évoquant chacune à
sa manière ces 18 jours, du 24 janvier au 11 février
derniers, où l’Egypte a changé de tête et de politique.
Réalisés pour la plupart par des cinéastes trentenaires, ces
films mettent en avant le rôle des jeunes. C’est aussi un
témoignage sur l’Egypte d’aujourd’hui.
Bref, à travers ses projections, ses stars et ses
paillettes, le Festival de Cannes a réussi encore une fois à
prouver qu’il est digne de son prestige cinématographique et
de son charme qui polarise encore le 7e art mondial. La
richesse culturelle et intellectuelle n’était pas absente du
célèbre tapis rouge et ses vingt-quatre marches de la
gloire.
Avant
tout du cinéma !
Yasser Moheb