Dette Extérieure .
L’économie égyptienne a connu un ralentissement vu la chute
des revenus du tourisme, des exportations et de la
production. L’endettement paraît obligatoire, mais est-ce le
meilleur choix au bon moment ? La question suscite un débat.
Option ou obligation ?
S’endetter
à l’étranger pour relancer l’économie mise à mal par la
révolution. Ce choix du gouvernement égyptien ne fait pas
l’unanimité chez les experts. « Emprunter à l’étranger est
un moyen d’affronter la crise actuelle. Ce n’est pas une
mesure habituelle. Mais nous vivons une crise
exceptionnelle. Que les experts qui s’opposent à l’idée
d’emprunter aux institutions internationales me donnent une
autre solution efficace pour résoudre nos difficultés et je
la proposerai tout de suite ». C’est ainsi que se défend
Samir Radwane, ministre des Finances, contre les accusations
adressées suite à sa décision d’emprunter à l’étranger.
Radwane a annoncé, à maintes reprises, ces dernières
semaines la nécessité de se procurer des ressources
extérieures, afin de surmonter la fragile phase économique
actuelle. Il s’agit au moins d’une somme variant entre 10 et
12 milliards de dollars nécessaires d’ici 2012. C’est ainsi
que l’Egypte s’adresse actuellement aux institutions
internationales, comme la Banque Mondiale (BM) et le Fonds
Monétaire International (FMI), pour obtenir les sommes
nécessaires à combler le fossé financier auquel le pays doit
faire face actuellement.
Le ministre des Finances avait, en fait, déclaré le mois
dernier que l’économie avait régressé de 7 % au cours du
premier trimestre de l’année, en raison de la chute des
revenus du tourisme et des exportations. Il a également
annoncé que le taux de croissance enregistrera au maximum 2
% à la fin de l’année fiscale en cours (juillet), alors que
le déficit budgétaire est estimé à environ 9 %.
Une situation dangereuse qui impose l’endettement. Mais
s’endetter est-il le meilleur choix au bon moment ? Les
points de vue et recommandations à cet égard divergent. Le
gouvernement assure « qu’emprunter à l’étranger n’est plus
un choix, voire c’est une obligation », estime Radwane à
l’Hebdo. Il ajoute que la récession économique que l’Egypte
affronte suite à la révolution impose au gouvernement un tel
choix, afin de redresser la barre et entreprendre les
réformes nécessaires. Et de poursuivre : « Nous étudions
tous les choix possibles pour retenir le meilleur. La Banque
islamique, la Banque africaine, la Banque mondiale, etc. Les
négociations avec les pays arabes sont en cours. L’Arabie
saoudite, le Qatar et le Koweït ont exprimé leur intérêt à
présenter des soutiens financiers à l’Egypte. Mais à ce
jour, il nous faut des sommes concrètes. La BM était une
option, en raison des conditions de remboursement et des
conditions politiques. La BM n’intervient pas dans les
dépenses des sommes allouées », dit-il.
De plus, l’Egypte avait reçu, au cours des deux dernières
semaines, un prêt de la BM d’une valeur de 2,2 milliards de
L.E. remboursables sur 18 ans avec un taux d’intérêt de 3 %.
Ainsi, une délégation auprès du FMI visitera l’Egypte cette
semaine afin de discuter de la possibilité d’octroyer un
autre prêt au pays. « Le FMI est un dernier choix, car les
conditions d’octroi sont un peu plus strictes et compliquées
», précise Radwane.
Même si les conditions de remboursement du FMI ne diffèrent,
en fait, pas vraiment de la BM. « Il s’agit de rembourser la
somme allouée sur 15 ans avec un taux d’intérêt de 4 %. Le
problème est que Le FMI exige que les sommes soient
utilisées dans des domaines précis et ceux-ci ne sont pas
dans nos priorités actuelles », explique Radwane.
Or, comme le ministre l’assure, la révolution a donné du
poids à l’Egypte au sein de la communauté internationale, «
ainsi, nous croyons à un changement d’attitude de la part de
ces institutions ».
Une opinion partagée par Ahmad Ghoneim, professeur
d’économie à l’Université du Caire. Il assure que les pertes
de la crise actuelle sont énormes et l’instabilité qui l’a
suivie a augmenté la facture. Le gouvernement est donc
obligé d’emprunter. « C’est une mesure inévitable vu les
pressions exercées sur l’économie en ce moment. Et le plus
important, ceci est un choix à ne pas craindre, car il
s’agit cette fois-ci de crédits obtenus pour des raisons
politiques et non à cause de mauvaises orientations
économiques », dit Ghoneim.
« Solutions rapides et faciles »
Mais l’option choisie par le gouvernement n’a pas trouvé le
même écho chez d’autres experts. Ces derniers mettent en
avant le danger de se soumettre aux institutions
internationales. « La mendicité auprès de ces institutions
fera sombrer l’Egypte dans des engagements supplémentaires,
ce qui impliquera une intervention étrangère dans la
formulation de nos programmes à venir », dit un professeur
d’économie qui a préféré garder l’anonymat. Il ajoute : «
Rien n’a changé. L’Egypte continue à choisir les solutions
rapides et faciles. Et avec de telles tendances, nous ne
pourrons jamais créer une économie solide et indépendante ».
C’est que l’Egypte a une longue histoire avec les
institutions internationales, surtout la BM et le FMI. Elle
a toujours dû accepter de se soumettre aux exigences
libérales de ces institutions afin de recevoir de l’aide.
Privatisation, marché libre, libéralisation des services ...
autant de mesures qui ont porté atteinte à l’économie
nationale à cause d’une application forcée et non
progressive. « Je ne comprends pas pourquoi le ministre des
Finances insiste à se tourner vers la BM et le FMI alors que
nous savons bien que ces prêts sont conditionnés par des
règles qui protègent les intérêts des pays étrangers,
surtout que ces derniers souffrent actuellement d’une
récession économique. Toute concession aura donc un prix »,
martèle Ibrahim Al-Issawi, expert économique. Il ajoute : «
L’Egypte ne devrait avoir recours à cette option qu’après
avoir exploité toutes les ressources internes, surtout que
la dette du pays est déjà gonflée ». Même son de cloche chez
Doha Abdel-Hamid, professeur d’économie financière à
l’Université américaine du Caire, qui assure que le
gouvernement devrait en premier lieu rééchelonner ses
dépenses. « Il existe plusieurs articles, tels que les
subventions à l’exportation et les organismes économiques
qui s’emparent d’une bonne part du budget. Le gouvernement
pourrait se servir de ces fonds pour au moins réduire la
facture de l’endettement », dit-elle. Car « l’image n’est
pas encore claire. C’est pourquoi nous devrions ne pas nous
précipiter vers une telle étape. Les ressources du pays
comme le tourisme et les activités industrielles ne
procureront pas au gouvernement des sommes supplémentaires.
Le secteur privé pourrait avoir un rôle », estime-t-elle.
La dette extérieure du pays est de 33 milliards de dollars
alors que la dette intérieure se chiffre à 888 milliards de
L.E., soit au total 1,1 trillion de L.E., ce qui représente
90 % du PIB. Le taux international tourne autour des 60 %.
De plus, l’instabilité politique dont souffre le pays
actuellement a augmenté la facture des crédits de l’Egypte
de quelque 7 %, et la valeur de la L.E. a atteint son niveau
le plus bas vis-à-vis du dollar. « Tous ces facteurs font
que la décision de s’endetter est un mauvais choix. Il faut
penser à plus tard. Il ne faut pas détruire l’avenir des
prochaines générations par des décisions économiques
injustes. Le gouvernement actuel n’est que transitoire. Il
faut donc être plus prudent dans les décisions », conclut
l’expert qui garde l’anonymat.
Névine Kamel