Magdi William est le maître
incontesté des icônes coptes en Egypte. Son art respectant le patrimoine
reflète une authenticité et transmet un message de paix.
Le missionnaire de l’art
C’est
à l’art de l’iconographie qu’il consacre toute sa vie. Il vit quasiment dans
son atelier au sein de l’église Saint-Georges, au bord du Nil, à Maadi, et
parfois on pourrait le croiser dans les salles d’exposition de ses icônes. D’ailleurs,
actuellement, il expose une panoplie d’icônes, sous le titre de l’Œil éternel,
à l’église évangélique Saint-John, à Maadi.
Sur un
ton calme et assez humble, l’iconographe ne fait pas son âge. Magdi William
Henein Abdel-Malak, 56 ans, ressemble quelque part à ses icônes pérennes, au
cachet paisible et serein. Son travail se réfère souvent aux histoires réelles
et anciennes tirées de la Bible. Des histoires de saints, de miracles, de
voyage de la Sainte Famille en Egypte ...
William traite ces thèmes favoris avec la plus grande exactitude,
l’artiste étant méticuleux.
Beaucoup
de ses qualités, il les a acquises au sein de sa modeste famille, habitant
depuis des générations dans le quartier Al-Qolali à Ezbékiyeh, mais aussi à son
école gouvernementale Al-Qédiss Antonios (Saint-Antoine). « Je m’oppose
catégoriquement aux leçons particulières et aux frais exorbitants des écoles,
ne formant actuellement que des élèves gâtés. Je suis plutôt pour l’éducation
gratuite à laquelle appelait Taha Hussein, et Nasser plus tard. J’apprécie
beaucoup l’équité sociale prônée par Nasser, en leader charismatique et sincère
», déclare William. Et d’ajouter : « Enfant, mes parents m’ont acheté un cahier
et des crayons de couleurs pour m’initier à la calligraphie. Au lieu d’écrire,
je dessinais. Ma famille a tout de suite compris que j’avais une vocation
artistique », évoque William, qui éprouvait un énorme plaisir à contempler,
dans son église-mère copte orthodoxe Mar Guirguis (Saint-Georges), les
multiples images anciennes montrant le Christ, la Vierge ou des saints. « Ces
images gardent à présent leur impact sur mon travail. D’ailleurs, le fondateur
de l’église Mar Guirguis était le père Sargios, l’orateur de la Révolution de
1919. Il figurait dans tous les films en noir et blanc, dans les scènes
montrant un cheikh et un prêtre, main dans la main », signale Magdi William, se
remémorant Qolali, son quartier d’enfance. « Celui-ci était très propre et
tranquille. Les habitants étaient très liés, musulmans et chrétiens. Actuellement,
la topographie des lieux ainsi que le mode de vie ont complètement changé. Je
suis triste pour ce qui passe en Egypte, sur le plan confessionnel. Il y a
sûrement eu des fautes dans le passé, mais le pape Chénouda III est sage. Il
n’aime pas amplifier les choses et garde ses peines pour lui. Ce que je
regrette, c’est le rôle des médias », dit William, qui habite actuellement avec
sa femme et ses deux filles, à Maadi. Un quartier calme dans lequel il a
déménagé dès l’âge de 20 ans. De quoi favoriser son travail iconographique,
nécessitant un silence total en écoutant des cantiques coptes. « Je fais partie
intégrante du pays. L’entourage influe
beaucoup sur mes icônes. Entendre de mauvaises nouvelles par exemple m’incite à
travailler plus ». Est-ce une manière de chercher refuge, de se soulager,
auprès du saint et du solennel ? Forcément.
Ce
n’est guère étrange pour un disciple de la première promotion d’Isaac Fanous,
le fondateur de l’école contemporaine d’art copte en Egypte. Fanous, envoyé en
1965 par le pape copte orthodoxe Kyrollos VI (1958-1970) en Russie, pour
apprendre l’art des icônes, il a réussi à ressusciter cet art en Egypte, après
des années de négligence. La rencontre du maître Fanous avec son élève William
s’est faite, en visitant les églises du Vieux-Caire et de la Sainte-Vierge à
Maadi. Le prêtre de cette dernière église remarqua la passion de William pour
l’art copte et lui conseilla de se joindre à l’Institut des études coptes de la
Cathédrale orthodoxe du Caire, dont Isaac Fanous est le maître incontestable. «
Dans le temps, les fidèles de l’Eglise copte étaient peu nombreux, à tel point
que le prêtre de chaque église connaissait chacun par son nom et encourageait
les talents. Actuellement, et vu le nombre croissant, les prêtres ne
parviennent plus à suivre tous les fidèles », souligne Magdi William qui
disposait, entre 1986 et 1992, d’un studio à l’église de la Sainte-Vierge. Ingénieur
agronome de formation, il a rejoint l’armée en 1980 pour effectuer son service
militaire. Une année qui a marqué ce jeune artiste, car il produisait, le soir,
durant ses moments de repos, le plus grand nombre possible d’icônes. « Mes
études universitaires étaient centrées autour de la lutte contre tout ce qui
peut nuire à la nature, car j’étais en section pesticides. A l’époque, faire
les beaux-arts était assez mal vu. J’ai préféré pratiquer l’art, ma passion
éternelle, à ma manière », affirme William. Et d’ajouter : « Maître Isaac
Fanous m’a appris l’art des icônes coptes. Et moi, j’ai effleuré l’Art avec un
grand A, notamment avec mon maître turc Hassan Mazhar Gassour, qui résidait en
Egypte. Il possédait l’une des deux plus grandes imprimeries du pays, dans la
rue Orabi, au centre-ville cairote. Il m’a appris, de 1975 à 1986, l’art des
affiches cinématographiques. On travaillait sur des plaques de zinc, méthode
complètement désuète de nos jours », dit-il, assurant qu’on lui a inculqué
patience, ponctualité et persévérance.
Au
début de sa carrière, il croyait que la vente des icônes est tabou ou illicite.
Mais son parrain, le prêtre de l’église de la Sainte-Vierge à Maadi, l’a
encouragé. Et d’avouer : « Aujourd’hui, on retrouve les icônes coptes dans les
églises, mais aussi dans les maisons. J’étais le premier à vendre les icônes en
Egypte, à travers l’échoppe de l’église de la Sainte-Vierge à Maadi,
constamment visitée par des ambassadeurs et des touristes ».
En
fait, la vente des icônes est son unique gagne-pain, consacrant une grande
partie de ses revenus aux églises et associations caritatives chrétiennes. Ainsi,
l’iconographe se prépare à voyager, en avril prochain, pour Oslo en Norvège,
afin de faire connaître l’art ancestral des icônes. Et ses œuvres décorent
plusieurs lieux de culte en Egypte, dont le monastère du pape Chénouda et
l’église d’Anba Abram, deux églises aux Etats-Unis et deux autres à Chypre. Ses
touches sont visibles un peu partout, au monastère Mar Antonios (Saint-Antoine
le Grand), dans la région montagneuse près de la mer Rouge, où William a passé
en 1997 une année spirituelle auprès des
moines. « Avant le VIIe siècle, l’art des icônes était en pleine effervescence
en Egypte. Actuellement, la Russie et la Grèce sont les deux grands pays de cet
art. Du VIIe au XVIIIe siècles, il y a eu un vrai déclin en Egypte. Cela se
ressent à travers les icônes aux fausses dimensions qu’on trouve dans certaines
églises. Au XVIIIe siècle, l’art des icônes s’est rétabli, en Egypte, grâce à
l’apport de maîtres étrangers dont l’Arménien Yohanna Al-Armani. Il est à noter
que l’art copte est un prolongement de l’art pharaonique ». Car selon lui,
c’est après le martyre du premier pape d’Alexandrie saint Marcus, l’un des
premiers convertis au christianisme de l’Empire romain, que les chrétiens se
cachaient dans des celliers. Dans ces lieux, les chrétiens ont pensé à décorer
les murs de leur cachette secrète de dessins naïfs : visage du Christ et de la
Vierge Marie. Et lorsque les Romains les attaquaient, les chrétiens s’évadaient
vers d’autres endroits. Après un certain temps, ils ont pensé à graver leurs
dessins sur bois. Ainsi, ils pouvaient les prendre avec eux durant leur fuite. «
L’idée des icônes en bois, avec peintures, est la même que les cercueils en
bois peints par les pharaons qui croyaient en la vie après la mort », déclare
Magdi William, prêt à enseigner volontairement l’art iconographique, à tous les
jeunes talentueux, à la Cathédrale copte orthodoxe.
Cependant,
il ne s’agit pas de n’importe quelle perspective iconographique. Magdi William
exige une précision et un esthétisme religieux qui s’intéresseraient non
seulement aux traits de la personne, mais refléteraient aussi la profondeur de
l’âme. D’ailleurs, ce qui caractérise ses icônes dorées, à pigments naturels
colorés, c’est la manière d’aborder le portrait d’un saint contemporain, tel le
pape Kyrollos VI qui n’est pas du tout traité par ses ancêtres-iconographes. Parfois,
il incruste son icône d’une pyramide, s’agissant surtout d’icônes représentant
le voyage de la Sainte Famille en Egypte. « J’ai été critiqué par mon maître
Isaac Fanous qui m’a conseillé ironiquement de vendre ces icônes avec pyramide
dans des échoppes touristiques de Khan Al-Khalili. Quelques mois après,
lui-même m’a imité ». Et d’ajouter : « Avant de commencer, je préfère
toujours revenir à l’ancienne référence
de l’icône, surtout lorsque je traite d’un sujet déjà abordé par maître Fanous
ou par les grands maîtres russes et
byzantins ». L’unique et l’original, c’est ce qu’il cherche par son travail .
Névine Lameï