Divisions
Dr Hicham Mourad
A
quatre mois du référendum sur l’autodétermination du
Sud-Soudan, la tension ne cesse de monter entre Khartoum et
l’ex-rébellion de l’Armée populaire de libération du Soudan
(SPLM), notamment autour du tracé de la frontière entre le
Nord et le Sud.
Au cœur de cette tension se trouve la région d’Abyei,
au centre du pays, que se disputent le gouvernement central
et le SPLM, en raison de sa richesse en pétrole, principale
source de revenu en devises étrangères pour les deux
parties. Le jour même de la tenue du référendum sur
l’indépendance du Sud, le 9 janvier, les habitants d’Abyei
doivent voter sur l’appartenance de leur région au Nord ou
au Sud. D’où la querelle, non résolue, concernant qui aura
le droit de voter. Le Sud accuse Khartoum de pousser les
Misseriah, une tribu arabe
nomade d’éleveurs de bétail, à attaquer les Dinka
Ngok, habitants traditionnels d’Abyei,
majoritairement chrétiens et animistes. Il l’accuse aussi
d’avoir envoyé quelque 75 000 Misseriah,
proches du gouvernement, pour s’installer dans le nord d’Abyei,
en vue d’y modifier l’équilibre démographique et
d’influencer ainsi le résultat du référendum en faveur de
son rattachement au Nord. Khartoum, qui accuse de son côté
le SPLM de déployer des soldats au nord d’Abyei,
s’en défend et avance que les Misseriah
effectuent depuis trois ou quatre décennies des mouvements
de va-et-vient à Abyei pour
leurs bétails et qu’ils doivent conserver les droits de
pâturage des bovins pendant la saison des pluies. Par
conséquent, ils doivent, selon Khartoum, avoir le droit de
voter lors de la consultation de janvier.
Ce facteur ethnique est amplifié, ou plutôt exploité et
exacerbé par les deux parties, en raison de la richesse
pétrolière de la région. Les principaux champs pétrolifères
du pays se trouvent en effet à cheval sur les frontières
entre le Nord et le Sud. Le Soudan est le troisième plus
grand producteur de pétrole en Afrique sub-saharienne, avec
490 000 barils/jour. Le brut est acheminé au Port-Soudan sur
la mer Rouge, où il est exporté essentiellement vers la
Chine.
Le fait que la plupart du pétrole du Soudan se trouve le
long de la frontière Nord-Sud a amplifié les dimensions
politique et économique de la démarcation frontalière et
incité les deux protagonistes à maintenir une présence armée
potentiellement dangereuse à certains endroits sensibles, au
risque d’un déclenchement des hostilités avant ou après le
référendum, comme ce fut le cas en 2008. Le tracé de la
frontière aurait dû être dessiné
six mois après la conclusion de l’accord de paix de janvier
2005, qui avait mis un terme à 22 ans de conflit entre le
Nord et le Sud, mais les travaux de la commission chargée de
la démarcation sont au point mort, malgré le recours à
l’arbitrage international en 2009.
L’impasse qui prévaut à Abyei,
où Khartoum et le SPLM n’arrivent pas non plus à s’entendre
sur la répartition des revenus de la manne pétrolière en cas
de séparation du Sud, est symptomatique de l’état de
suspicion et de défiance entre les deux parties et leurs
populations respectives et présage l’issue fatale d’une
division du pays.