Traditions.
Malgré le chômage et les difficiles conditions de vie, les
Nubiens restent attachés à leurs usages en mariage.
Cependant, des aspects de modernité ont fait leur apparition
dans leur société. Ce qui alourdit le fardeau de l’homme qui
assure la plus grande part des dépenses.
Des noces à la nubienne
L’île
heissa, au cœur du Nil
d’Assouan, grouille de monde depuis la veille où plus de 2
000 Nubiens sont venus des quatre coins de la région. Toutes
les portes des maisons sont ouvertes pour accueillir
chaleureusement les convives. Aujourd’hui, on célèbre les
noces de deux couples : Samir et Racha et Mohamad et
Marwa. La fête a déjà commencé
depuis une semaine. Aujourd’hui, les préparatifs vont bon
train dans les maisons des familles des mariés. Chez les
parents de Marwa, les femmes
sont en train de cuisiner de la fatta,
de la méloukhiya, des légumes
farcis et de la viande pour le déjeuner et le dîner. De
l’autre côté, les hommes de la famille de Mohamad ont aussi
mis la main à la pâte en préparant des plats de viande de
veau égorgé la veille pour l’occasion. Et tout le long de la
journée, des plateaux décorés de différents mets rentrent ou
sortent des maisons des deux familles. Tradition oblige. «
Chez nous, les invités qui arrivent deux ou trois jours
avant le mariage doivent être bien accueillis. Nous leur
présentons trois repas par jour, en plus du thé et des
différentes sortes de dessert. Aujourd’hui, nous préparons
des repas plus modernes, rarement des spécialités nubiennes,
les temps ont changé », explique
Adaniya, une proche de la famille de la mariée.
Cependant, si les plats présentés ont subi des changements,
beaucoup d’autres traditions sont indiscutables, comme le
dit Hamada Abdine, le cousin de
Mohamad. « Une semaine avant le mariage, le futur marié doit
faire le tour de tous les villages nubiens pour inviter tout
le monde. De Gharb Sheil, à
Tengar, en passant par
Ezbet Al-Askar, Al-Challal,
Karour, chaque famille doit être
invitée et il doit le faire lui-même », explique Hamada, en
ajoutant que lui aussi doit assumer les frais de son
mariage. « Aujourd’hui, nous dépensons au moins 80 000 L.E.
pour un mariage, et c’est le minimum, surtout que la maison
nubienne traditionnelle a laissé place à une autre en béton,
sans compter l’ameublement. Au risque de s’endetter pour se
plier aux traditions », explique le jeune de 37 ans, en se
demandant s’il parviendra à tout assumer. Une simple visite
d’un nouveau foyer prouve que l’équation est devenue très
compliquée : une chambre à coucher, un salon et une cuisine
moderne en plus de douze couvertures. « C’est une obligation
parce que la maison nubienne doit être conçue de façon à
accueillir des invités tout le temps », dit Asmaa, une jeune
fille de 22 ans qui s’inquiète de l’âge du mariage des
filles nubiennes qui a reculé. Une question qui préoccupe
tous les jeunes, rassemblés
devant le seuil d’une maison. Filles et garçons, chacun de
son côté, pas de mixité, tradition oblige. En attendant le
retour des mariés de chez le coiffeur de la ville d’Assouan
et aussi l’arrivée de la star de la chanson
Ezzeddine pour commencer la
fête, les jeunes passent leur temps à échanger leurs
nouvelles, à plaisanter, à discuter de leurs problèmes et
aspirations. Asmaa, Mariam, Aya, Randa,
Howaïda, des filles de 23 à 25
ans dont la plupart ne sont pas encore fiancées,
s’inquiètent de leur sort. Hadir,
qui a terminé cette année son bac, explique que les jeunes
Nubiens d’aujourd’hui souffrent du chômage, ils ne trouvent
pas de travail dans les institutions gouvernementales. « Ils
essayent de gagner leur pain en faisant des métiers
saisonniers dans le domaine du tourisme. Ce qui fait que la
plupart d’entre eux vivent au jour le jour. En même temps,
le coût du mariage a augmenté sans compter la hausse des
prix des articles », explique la jeune fille, en ajoutant
que les familles nubiennes tiennent beaucoup aux traditions
en ce qui concerne les équipements de la maison, mais que le
marié y participe avec la plus grande part, sans oublier les
coûts exorbitants de la cérémonie de mariage. Une
célébration qui commence une semaine à l’avance et continue
durant la semaine qui suit. « On se vante du nombre de veaux
égorgés, une tradition qui peut coûter entre 5 et 10 000 L.E.
et du nombre des invités le jour du henné où jeunes et
adultes se rassemblent dans les maisons des deux mariés pour
enduire leur corps avec du henné. Chaque famille essaye de
faire de son mieux pour épater les autres », explique Asmaa,
fiancée depuis plusieurs années et qui a appris à faire du
henné pour essayer de gagner de l’argent et aider son
fiancé.
Une modernité coûteuse
Elle raconte qu’avec l’introduction de la télévision et de
la parabole dans un bon nombre de maisons nubiennes,
beaucoup d’aspects de modernité ont fait leur apparition
dans la société. « Beaucoup de familles tiennent à avoir une
maison équipée de meubles modernes. Aujourd’hui, la fille ne
se contente pas du henné, elle veut se rendre dans un salon
de coiffure, porter une robe de mariée à la mode, avoir une
belle zaffa (cortège nuptial) et
danser avec son mari jusqu’aux premières heures de l’aube
aux rythmes d’une des troupes les plus connues à Assouan »,
dit la jeune fille. « Que peut faire un jeune qui ne gagne
qu’un modeste salaire pour couvrir tous ces frais, sans
oublier qu’il doit accompagner sa mariée en lune de miel,
durant trois jours, dans l’un des hôtels de la ville ou à
Charm Al-Cheikh ou
Hurghada ? », se demande
Doaa, qui souhaite travailler
dans le domaine de l’hôtellerie mais son fiancé refuse. Elle
assure que c’est très difficile de débattre de certaines
traditions dans la communauté nubienne, y compris celles du
mariage et du travail de la femme en dehors du village,
interdit chez beaucoup de familles. Les histoires et les
papotages des jeunes n’en finissent pas. Les heures passent,
et les rassemblements continuent à égayer l’atmosphère,
chaque groupe à sa manière. Dans un coin, deux hommes sont
assis, devant eux, un registre et un coffre rempli d’argent,
c’est le noqout (somme d’argent
versée par l’invité comme cadeau de mariage). Ils sont
chargés de noter la somme et les noms des donateurs. Un
système traditionnel très connu où chaque invité rembourse
ce qu’on lui a offert le jour de son mariage, et cela permet
aux nouveaux jeunes mariés de « gagner » des milliers de
L.E. Il est minuit, et les mariés ne sont pas encore
arrivés, c’est normal.
En avant la musique
Mais la troupe de Ezzeddine a
fait son apparition dans la grande cour de l’île qui est
bien illuminée, le début de la cérémonie est signalé par une
musique. Filles et garçons se précipitent pour aller se
changer et s’habiller en abaya
ou djellaba de soirée, tout en dansant aux rythmes des
chansons romantiques de
Ezzeddine qu’ils
connaissent par cœur. « Je pensais que ma dulcinée ressemble
à la lune, mais j’ai découvert que c’est la lune qui lui
rassemblait », des mots qui remuent les sentiments d’amour
dans les cœurs des jeunes, qui dès qu’ils ont entendu les
youyous annonçant l’arrivée des mariés sur l’île, se sont
précipités pour aller les accueillir au bord du Nil. Et la
scène est splendide et insolite, le couple arrive à bord
d’une felouque, toute en lumières, du rouge, du vert et du
jaune. Le mari, le seul à être habillé en costume, tend la
main à sa dulcinée pour l’aider à descendre avec sa longue
robe blanche. Une mariée qui ne semble pas ressembler à sa
communauté, avec son visage blanchi de crème, de fond de
teint et de maquillage dernier cri. Arrivé à la grande cour
de la célébration, tout le monde commence à danser, filles
et garçons ensemble, en concurrençant entre eux pour
dévoiler les talents dans des tableaux de danse nubienne qui
vont se poursuivre jusqu’au lendemain. La voix rauque et les
vers romantiques de Ezzeddine
enflamment la foule, tandis que les verres de thé, de café
et parfois le haschich circulent comme pour défier toute
envie de sommeil. Des invités qui quittent la cérémonie à
l’aube et se préparent pour une autre prévue le lendemain,
car en été, les mariages se succèdent jusqu’au mois de
novembre. Quant aux jeunes filles et garçons, ils se
défoulent en se trémoussant, essayant d’oublier leurs
problèmes, au moins pour une nuit.
Quelques-uns
se demandent
quand sera
leur tour.
Doaa
Khalifa