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Une pièce de théâtre moderne de l’écrivain Abdel-Moneim
Abdel-Qader inspirée des mythes
pharaoniques vient d’être publiée, mettant en valeur un
aspect méconnu du patrimoine égyptien.
De nouveaux mystères osiriens
L’Egypte ancienne est-elle
connue des Egyptiens d’aujourd’hui ? Est-elle présente dans
leur vie ou dans leur création littéraire ou artistique ?
Pas beaucoup sans doute et la question est à débattre sous
plusieurs angles. Si l’on en parle, c’est à l’occasion de la
publication récente par l’Organisme des palais de la culture
d’une pièce de théâtre intitulée La Crue du Nil, œuvre d’un
écrivain contemporain, Abdel-Moneim
Abdel-Qader. Elle fait partie
d’une série ; en fait, elle est le premier tome de cette
série intitulée Papyrus. L’histoire est intéressante et à
deux niveaux contradictoires. D’une part, la publication
vient faire en grande partie exception puisque les écrits
contemporains s’inspirant de l’Egypte pharaonique restent
rares et d’autre part, parce qu’en fait, la pièce a été
représentée une première et dernière saison en 1999 sur le
théâtre Al-Salam, sous le titre d’Isis et Osiris, suivie en
2000 d’une autre pièce. Le metteur en scène, Hassan Al-Wazir,
qui a mis sur les planches ces pièces et qui projette de
réaliser une troisième, souligne dans la préface du livre
l’intérêt tant historique qu’esthétique d’une dramaturgie
s’inspirant des mythes de l’Egypte ancienne. La Momie, ce
film d’anthologie de Chadi Abdel-Salam, aurait été son
inspirateur, lui donnant cette passion de mettre sur scène
ce monde égyptien. Al-Wazir
évoque certains ouvrages voulant évoquer l’époque
pharaonique, mais peu inspirateurs avec beaucoup de
projections politiques très directes. Et c’est dix ans après
La Momie, c’est-à-dire en 1998, qu’il a lu La Crue du Nil de
Abdel-Moneim Abdel-Qader.
Telle que rédigée par l’auteur, la légende n’est pas une
simple narration de ce mythe fondateur, mais c’est une sorte
de reconstitution dramatique d’une réalité qui peut être
actuelle. « Osiris, Isis ou tout autre personnage peuvent
exprimer des idées et des sentiments qui soient les miens »,
écrit Al-Wazir dans la préface.
L’auteur évoque un sens égyptien authentique, avec de
l’amour pour la terre et de l’homme. C’est donc un besoin
ressenti de se référer à une esthétique nouvelle pour le
théâtre égyptien. Avec tout ce patrimoine que l’on possède
ayant inspiré artistes et écrivains notamment étrangers, les
arts dramatiques égyptiens pourraient trouver alors une voie
originale. Al-Wazir a donc
contribué à la formation d’un groupe de théâtre égyptien qui
ne s’arrêterait pas à une pièce, mais disons au moins une
par an.
Une belle initiative qui devrait revoir le jour, sachant
qu’il est vrai que dans le contexte actuel, le théâtre
égyptien vit une période de vaches maigres, or que dire de
pièces avec une thématique différente ? Quoi qu’il
en soit, il est souhaitable
d’aller en avant. D’ailleurs, l’idée d’un tel théâtre vient
rappeler un débat sur le fait de savoir si l’Egypte ancienne
a connu ou non un art dramatique. Des égyptologues, comme
Etienne Drioton, le soulignent,
s’élevant donc contre la théorie selon laquelle les Grecs
seraient les inventeurs du théâtre. Il est vrai que là, on
put s’égarer dans les méandres d’une définition de ce qu’est
l’art dramatique. Religieux ou rituels, il existait des
formes dramatiques en Egypte ancienne.
Des chercheurs soulignent que l’existence d’un théâtre
égyptien est prouvée par la découverte, en 1922, de la stèle
funéraire d’Emhêb, à Edfou, où
l’on peut lire : « Je fus quelqu’un qui accompagna son
patron dans ses tournées et qui ne se fatiguait pas dans la
déclamation qu’il récitait. Je fus le partenaire de mon
patron dans tous ses rôles ». La découverte de cette stèle
d’environ 1 600 av. J.-C. fut suivie d’autres plus récentes.
Grâce aux peintures murales, aux fragments, aux récits, on
peut essayer d’imaginer ce qu’était ce lointain théâtre. Des
chercheurs avancent que la représentation de telles pièces
se faisait sans doute sur l’esplanade des temples, les jours
de fête, et l’on sortait la statue du dieu afin qu’il pût
assister au spectacle. Cette participation du dieu fut
reprise par les Grecs qui introduisaient la statue de
Dionysos au début de chaque représentation. Ce détail, et
bien d’autres, donnent à penser que le théâtre grec, que
l’on considère comme la source de l’art dramatique européen,
doit beaucoup au vieux théâtre égyptien et que c’est
l’influence égyptienne qui a donné de l’élan à l’art
dramatique grec de l’époque archaïque. D’autres spécialistes
citent aussi surtout les mystères osiriens qui étaient
représentés devant le public, l’histoire du meurtre d’Osiris
par Seth, le démembrement de son corps et sa résurrection.
Des thèmes émotifs et passionnels. Les acteurs portaient les
masques des dieux dont ils jouaient la personnalité. Et des
historiens citent un public enthousiaste suivant les
péripéties.
A cet égard, les nouveaux mystères osiriens de Abdel-Moneim
Abdel-Qader avec leurs
personnages : Isis, Osiris, Seth,
Nephytis, Horakhti,
Horus, Anubis et autres … sont bien dignes d’être joués une
fois de plus.
Ahmed
Loutfi