Al-Ahram Hebdo, Littérature | Rien pour témoigner

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 Semaine du 8 au 14 septembre 2010, numéro 835

 

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Littérature

L’écriture de Mohamad Saleh, figure de proue du poème en prose, décédé l’an dernier, est tel un chuchotement passionné à travers lequel il crée un mythe qui lui est propre. Une tentative de capter l’impalpable, comme l’indique le titre de son recueil La chaïe yadol.

Rien pour témoigner

Prémices du printemps

Le mûrier

Ses feuilles ont verdi dans le jardin

Il s’est élevé haut dans le balcon

La verdure tout autour l’a porté vers les souvenirs

C’était le milieu de la matinée

Le printemps commençait

Quand il l’a porté dans ses mains

Et l’a planté là-bas

Un temps, long, était passé alors

Après des semaines, il peut

Tendre la main vers l’arbre et se nourrir.

 

Les femmes

Elles venaient au milieu du jour

En compagnie des enfants malades

Elles traversaient la passerelle de bois

Et marchaient d’un pas suppliant

Vers l’étang en face du mausolée

Et quand c’était l’appel à la prière collective

Elles faisaient entrer dans l’eau les enfants

Puis elles leur ôtaient les petits vêtements colorés

Qu’elles laissaient au bord de l’eau là-bas

Avant de laisser des vœux

Et demander la bénédiction du lieu

Elles se devaient de refaire les mêmes gestes pendant des semaines

Nous allions là-bas pour regarder les femmes

Et nous voyions les enfants retrouver une bonne santé

Semaine après semaine.

 

Rien pour témoigner

Rien pour témoigner de sa présence maintenant

Peut-être était-elle là

Nous montions peut-être vers elle

Sur des escaliers en bois

Qui mènent à un balcon dégagé

Où commencent les champs

Qui s’étendent à perte de vue

Ai-je appris quelque chose

Dans ma première école

Et quand l’ai-je laissée pour apprendre

Sous des ciels de plomb ?

Je ne m’en souviens pas

Je me souviens à présent encore de l’étendue verte,

Rien pour témoigner maintenant …

 

Aussitôt vient l’été

Les dragues viennent

Purifier le cours du fleuve

Qui paraît maintenant que ses rives sont desséchées

Plus profond que ce que nous croyons

Quand nous nageons dans son eau

Mais nous oublions aussitôt en été

 

Les rossignols viennent

Ils bâtissent des maisons dans la boue de la rive

Et ils mettent les œufs à l’intérieur

Et ils remplissent l’espace de chants

Des rossignols verts à portée de la main

Mais ils s’envolent aussitôt en été

 

Les deux filles lèvent le bas de leurs robes

Et elles plongent dans l’eau

Leurs teints s’éclairent sous le soleil

Et l’eau des profondeurs se réfléchit

Limpide comme du cristal

Mais l’eau se trouble aussitôt en été.

 

Le chemin de la mer

Le long du chemin de la mer

Les groupes de jeunes filles viennent

Avec des jarres portées sur la tête

Des jeunes filles aux longs cous,

Leurs tailles ont une allure pétillante,

Avec des jarres blanches

Et des jarres blanches éclaboussées de rouge

Puis le long du chemin

Les chuchotements des jeunes filles

Et des rires qui éclatent,

Il y a quelques curieux et des amoureux,

Sur ce chemin

Mon père avait guetté l’apparition de ma mère

Il a pris sa jarre et l’a posée à terre

Et il l’a portée jusqu’à la maison.

 

Pierre et paille

De la paille dorée

Un chemin de pierres blanches

Qui descend vers l’eau

Le saule penche sur l’eau

Et fait ses ablutions dans l’eau qui passe

Les garçons jouent sur le pont

Et les filles se penchent au-dessus de l’eau.

 

Le paradis

L’homme cultive un lopin de terre

Sur l’autre rive

Il plante ce que nous ne plantons pas ici

L’homme plante des fruits

Et des cannes à sucre

Il vit seul dans une case là-bas

Il allume un feu du bois de ses arbres

Et il pose son broc sur le bord.

 

L’ombre du sycomore

Un sycomore

Poussait au bord d’un canal

Qui coule devant nous

Au café, sous l’arbre, un banc de pierres à l’arrière

Donne sur le chemin de fer

Là, les hommes sont assis

Ils fument, au crépuscule,

Les trains passent à des heures régulières

Quelques trains ne s’arrêtent nulle part

Quelques trains s’arrêtent

Mon oncle vient à une heure régulière

Il reste avec eux

Les visages s’épanouissent

Mon oncle a un visage pur

Et une âme blanche

Il apporte toujours quelque chose à sa femme et ses enfants

Il attend qu’ils soient réunis

Que se passe-t-il entre eux là-bas ?

Mon oncle revient, il est métamorphosé,

Il s’en va la tête baissée

Il ne s’arrête nulle part.

 

Des éloges pour la tante

Il était encore un enfant

Quand sa tante maternelle est morte

Et il est allé avec sa mère là-bas

Et il a vu les gens pleurer

Dans la confusion de leurs émotions

Mon enfant aussi a pleuré

Et il a porté avec eux le corps enveloppé dans le linceul là-bas

Puis il s’est tenu debout, parmi eux, les larmes aux yeux,

Recevant des condoléances

La solitude du lieu était immense

Il a entendu les lamentations des femmes au loin

Et il semblait bon

Que tous ces gens lui serrent la main

Quand il est revenu de là-bas

Mon enfant avait grandi.

 

La fenêtre

L’un de nous l’avait-il vu fumer ?

Je ne le sais pas

Mais à chaque fois que je me souviens de mon oncle maternel

Je me souviens de la fenêtre de sa chambre

La fenêtre haute

Entre le lit et l’armoire

Avec sa moitié inférieure

Toujours fermée

Et sa large base

Qui s’enfonce dans le mur

Qu’il avait revêtue de papier

Où il avait posé des effets à lui

Le tarbouche rouge

La canne en ébène

Avec sa poignée lisse

Faite de corne de buffle

Et à côté de la canne les journaux de la semaine

Pliés avec soin

Et des lignes

De paquets de cigarettes vides

J’avais l’habitude de les voir ainsi

Propres et brillants

Comme s’il venait de les finir.

 

Visite à la maison de l’oncle

Ceci est ce qui reste de deux étages

Et onze chambres

Et un large enclos

Un tas de pierres

Sont-elles liées à la maison ?

Quelqu’un les a-t-il mises là-bas ?

Une vie entière peut-elle s’anéantir ?

Et aboutir

A rien

Les gens

Les oiseaux

Les animaux

Un enfant que ferait-il

Qui a vécu

Et qui a vu ?

 

Ici où le miel répandait son parfum

Ici où il y avait des champs

Et les ruisseaux

Et les mûriers

Ici où la luzerne s’éclairait,

Les abeilles bourdonnaient,

Le miel répandait son parfum

Et sur nos têtes des papillons blancs volaient

Ici

Des maisons se dressent collées les unes aux autres

Et coulent des égouts.

 

La fin de la journée

Une braise qui brûle

Sur laquelle il y a des cendres denses

Les cendres de toute une journée

Et sur ses bords brillent

Des étincelles embrasées

Qui s’illuminent puis s’éteignent

Et règnent des ténèbres diaphanes.

Traduction de Suzanne El Lackany

 


 

Mohamad Saleh

Né en 1940 dans la ville d’Al-Mahalla, et décédé en 2009, Mohamad Saleh fait partie des poètes des années 1970 en Egypte qui ont été à la pointe de la modernisation de la poésie. Son œuvre limitée à 5 recueils a marqué la poésie égyptienne. Son premier recueil, Al-Watane al-gamr (la nation de braises), est très influencé par une vision historique. Il a ensuite opté pour le poème en prose avec ses recueils Khatt al-zawal (la ligne de l’éphémère), Sayd al-farachate (la chasse aux papillons), Hayat adeya et Mesl ghorbane soude (comme des corbeaux noirs) ou La chaïe yadol (rien pour témoigner), publié en 2004 et réédité cette année aux éditions Kyan. Dans ses derniers recueils, il présente une vision plus sombre du rapport au monde, reposant sur la violence, l’oppression et le dépaysement. Il y adopte un style plus simple et intègre des éléments de la vie quotidienne.

 

 

 




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