A l’occasion de la fin du mois du
Ramadan, Mahmoud Hamdi Zaqzouq, ministre des Waqfs,
répond aux critiques sur le projet d’unification de l’appel à la prière et juge
infondées certaines nouvelles pratiques des croyants.
« La piété ostentatoire oublie le fond
et les valeurs »
Al-Ahram
Hebdo : Le projet de l’appel unifié à la prière a été appliqué récemment après
des années de préparation. Certains cheikhs le critiquent puisqu’il supprime
une tradition remontant à l’époque du prophète et mettra au chômage des
centaines de muezzins. Qu’en pensez-vous ?
Mahmoud Hamdi
Zaqzouq : L’idée
est de mettre fin à la cacophonie et à l’anarchie qui accompagnent l’appel à la
prière. Beaucoup de gens se plaignent du bruit que dégagent les mégaphones,
surtout les personnes âgées, les malades et les étudiants qui ne parviennent ni
à se reposer ni à se concentrer. Tout cela va à l’encontre des préceptes de la
religion musulmane. Après une période d’étude, nous avons pris la décision
d’appliquer l’appel unifié à la prière dans les mosquées du Grand-Caire. De
peur d’être confrontés à des objections religieuses, nous avons présenté le
projet à l’Académie des recherches islamiques d’Al-Azhar et à Dar Al-Iftaa (instance chargée d’émettre des avis religieux). Les
oulémas étaient tous d’accord sur le fait que rien dans la jurisprudence
islamique n’interdit l’application de ce projet. Ils ont simplement affirmé
qu’il ne fallait pas utiliser d’enregistrement, donc l’appel du muezzin doit
être retransmis en direct. L’appel à la prière est alors lancé à travers le
réseau de la radio du Grand-Caire et capté dans les
mosquées qui font partie de la première phase d’application du projet. L’appel
unifié est déjà appliqué à Héliopolis, à Madinet Nasr ainsi que dans le quartier d’Al-Haram.
A la fin de l’année 2010, tous les quartiers du Grand-Caire seront inclus. Ce
projet ne signifie pas que les muezzins, dont le nombre est de 728, se
retrouveront au chômage, pas du tout. Parce que parmi les responsabilités du
muezzin, il y a celle de diriger la prière à la place de l’imam en l’absence de
ce dernier.
— Le voile s’est largement répandu
dernièrement en Egypte. Est-ce le signe d’un réveil religieux ou plutôt une
simple habitude sociale ?
— Lors
de l’inauguration d’un établissement religieux à Alexandrie, l’ex-grand imam
d’Al-Azhar, feu cheikh Mohamad Sayed Tantawi, a
exprimé sa surprise en voyant des enfants de 6 ans porter le voile. Les
responsables lui ont alors expliqué que ce sont les parents qui le leur
imposaient. A mon avis, à cet âge, le voile ne doit
pas être porté. Les jeunes filles doivent avoir l’occasion de jouer et le voile
ne doit être porté qu’une fois l’âge de la puberté atteint. Il y a un courant salafiste qui rend obligatoire le port du voile pour les
enfants ... c’est une ignorance de l’esprit de l’islam.
— Et que pensez-vous du port du niqab ?
— Je
considère le niqab comme une nouveauté en Egypte. Les
femmes portaient autrefois la burqa, c’était la façon
traditionnelle de s’habiller, mais elles le faisaient tout en observant les
codes de beauté et d’esthétique vestimentaires ...
c’était très féminin. Aujourd’hui, par contre, les femmes en niqab sont toutes vêtues de noir et rien n’apparaît d’elles
à part les yeux. Cela n’a rien à voir avec les enseignements de l’islam. Rien
ne justifie de telles pratiques qui entravent la communication entre les
personnes. Ces femmes savent très bien que l’islam dicte à la femme de dévoiler
son visage pendant le pèlerinage, et ceci en la présence de millions d’êtres
humains sur les lieux saints. Nombreux également sont les versets du Coran qui
évoquent l’illégitimité du niqab.
— Comment est-il possible de modifier
l’image déformée de l’islam à l’étranger ? Pensez-vous que les médias des pays
islamiques n’accomplissent pas leur rôle à ce niveau ?
— Les
musulmans ont contribué en quelque sorte à cette image déformée. Beaucoup
d’attentats terroristes sont menés par des musulmans et au nom de l’islam. Les
médias jouent un rôle important dans ce contexte quand — au lieu d’aider à
expliquer le vrai message de l’islam — ils décident de publier des caricatures
diffamant cette religion. Il est indispensable d’aborder l’islam avec raison
afin de montrer à l’Occident que l’islam est une religion de paix et de
tolérance, loin de tout extrémisme ou terrorisme.
— Existe-t-il une contradiction entre
la piété et la modernité ?
—
Cette contradiction est inexistante, car la piété est une attitude et un
comportement. Par conséquent, la véritable piété diffère totalement de
l’ostentatoire. La première est un respect des préceptes de la religion qui se
voit dans les comportements de la personne et son attitude envers autrui. Quant
à la piété ostentatoire, elle s’attache à l’aspect extérieur et aux questions
marginales, et oublie le fond et les valeurs.
— Que pensez-vous des émissions
télévisées consacrées aux fatwas sur les chaînes satellites ?
—
C’est un phénomène malheureux et ses effets sont négatifs sur une large tranche
de la population. D’ailleurs, la propagation du niqab
est l’un de ces effets. La grande majorité de ces chaînes dépendent
d’organismes étrangers et échappent complètement au contrôle des instances
religieuses égyptiennes. Elles prêchent un message salafiste
et rigide. Certains ont pensé fonder d’autres chaînes, plus modérées, pour
contrer ce courant, comme la chaîne Azhari que je
considère modérée et qui a recruté parmi les prédicateurs du ministère des Waqfs.
— Le dialogue des civilisations a-t-il
apporté des résultats tangibles ?
— Le
dialogue des civilisations et le dialogue des religions sont importants pour
assurer la communication et construire des ponts de confiance entre les
peuples. Mais le problème est que le dialogue est effectué à huis clos et au
niveau des élites. Ses résultats n’atteignent pas la large base populaire, que
ce soit ici ou en Occident. Par conséquent, les résultats sont limités. Il faut
donc trouver des moyens pour faire parvenir ce message et cet esprit aux gens
ordinaires.
— Que pensez-vous de la politisation de
la religion ?
— Je
refuse ce mélange de la politique et de la religion. La religion est un
ensemble de préceptes et de recommandations divins dont l’objectif est de
promouvoir la vie spirituelle des croyants. Il ne nous est pas permis de
souiller la vie spirituelle par les aspects négatifs de la politique. L’islam
tout au long de son histoire n’a jamais connu ce qu’on appelle l’Etat
religieux, c’est pourquoi en Egypte, nous adoptons la devise « La religion pour
Dieu et la patrie pour tous ».
— Certains députés pensent que les
prêches du vendredi sont préparés à l’avance par le ministère et que les
prêcheurs se contentent de les lire comme un communiqué. Est-ce vrai ?
— Ces
propos sont infondés. Il n’est pas logique d’unifier le prêche du vendredi dans
toutes les mosquées. Comment est-il possible que l’imam d’une mosquée dans un
bourg du Delta ou de la Haute-Egypte prononce le même prêche que l’imam d’une
mosquée à Zamalek ? Le public est différent et le
niveau culturel aussi.
— Est-il vrai que le ministère de
l’Intérieur surveille de près ce qui se passe dans les mosquées ?
— Cela
est complètement faux. Pensez-vous que le ministère de l’Intérieur possède les
dizaines de milliers de détectives nécessaires pour accomplir cette mission ?
— Certains ont approuvé et d’autres ont
contesté votre récent appel aux musulmans à se rendre à Jérusalem en pèlerins
afin d’affirmer l’identité islamique des sites religieux. Cet appel contredit
la position du patriarche copte qui, lui, invite ses fidèles à ne se rendre
dans la Ville sainte qu’une fois libérée de l’occupation. Qu’en dites-vous ?
— Je
respecte les avis de tout le monde. Mon appel reflète ma position personnelle
et non pas celle du ministère des Waqfs. J’ai réalisé
qu’Israël avance à grands pas sur la voie de la judaïsation de Jérusalem et
fait tout pour effacer l’identité arabe de la ville de Jérusalem-Est à travers
notamment la construction des colonies et les travaux sous la mosquée d’Al-Aqsa. Nous nous contentons dans le monde musulman de
communiqués de dénonciation et de refus. En appelant les musulmans à se rendre
en grand nombre à Jérusalem, je voulais sensibiliser l’opinion publique
internationale et montrer au monde entier que la mosquée d’Al-Aqsa appartient à tous les musulmans et n’est pas
simplement une affaire palestinienne ou arabe.
Propos recueillis par Magda
Barsoum