Vol de Tableau. La toile
volée de Van Gogh, qui ne s’appelle pas Les Coquelicots, a fait couler beaucoup
d’encre avec de nombreuses fausses informations. De quoi replonger sereinement
dans l’histoire d’une œuvre qui vaudrait beaucoup plus que 55 millions de
dollars.
Le vrai du faux sur Coquelicots
Récemment
de nombreuses informations erronées se sont répandues çà et là avec le vol
récent de la toile du musée Mahmoud Khalil. D’aucuns seraient étonnés de savoir
que la toile volée n’a pas pour titre « Coquelicots », et qu’elle ne fait pas
partie des œuvres majeures de Van Gogh. Sa valeur actuelle n’est pas de 55
millions de dollars, comme on a tendance à le répéter et il ne s’agit pas non
plus d’un faux.
La
toile en question dont le format est de 53 cm x 64 cm a d’abord figuré dans la
collection Mahmoud Khalil, avec comme titre « Vase et fleurs ». C’est le titre
qu’elle portait lorsque le collectionneur l’a achetée et elle l’a gardé sur les
premiers registres. Je ne peux comprendre pourquoi on l’a appelée « Coquelicots
». Etait-ce un moyen de décrire son contenu ? Pourtant, les fleurs jaunes du
tableau ne ressemblent guère à des coquelicots. Il s’agit plutôt d’autres
fleurs connues sous le nom de genêt de la famille des marguerites. Et l’on ne
retrouve dans le vase que deux coquelicots, à gauche en bas de la toile.
En
effet lorsque cette même toile, de la collection Mahmoud Khalil, a été envoyée
à Paris pour restauration en 1994 et a été exposée au musée d’Orsay, elle a
porté son titre d’origine « Vase et fleurs ». Ensuite, on a dû ajouter en
sous-titre « Genêts et coquelicots ».
Cette
toile peinte en 1886 ne fait pas partie des œuvres marquantes de Van Gogh. Elle
a été peinte avec l’arrivée de l’artiste hollandais à Paris. Elle remonte donc
à cette époque où il a manifesté un vif intérêt pour les fleurs. D’ailleurs,
elle ne porte pas les caractéristiques qui ont distingué la plupart de ses
œuvres ultérieures, ayant fait sa renommée artistique. Les historiens de l’art
jugent que Van Gogh a été très influencé, en peignant ce tableau, par un
artiste marseillais, Adolphe Monticelli (1824-1886). D’ailleurs, Van Gogh ne
cachait pas l’admiration qu’il lui vouait à ses débuts. Et pour mieux cerner la
ressemblance avec le style Monticelli, on n’a qu’à jeter un coup d’œil sur un
tableau de Monticelli qu’abrite également le musée Mohamad Mahmoud Khalil, avec
comme titre « Fleurs de prairie en vase ». Le tableau, quasiment du même
format, est très révélateur d’une influence marquante sur Van Gogh (1853-1890).
Ce
dernier avait en fait atteint une certaine maturité artistique et s’est doté
d’un style qui lui est propre, deux ans après l’exécution de la toile en
question. Il a dû passer ces deux ans à peindre toutes sortes de fleurs, notamment les tournesols qu’il a peints comme personne
d’autre. Les tournesols sont devenus son image de marque, si l’on ose dire, et
l’un de ces tableaux a été vendu il y a quelques années à environ 100 millions
de dollars. C’était le prix élevé enregistré sur le marché mondial de l’art par
une œuvre de Van Gogh, alors que le reste de ses toiles varient entre 50 et 100
millions de dollars.
La
multiplicité des noms attribués à la toile volée ne met aucunement en doute son
authenticité. Le fait qu’elle ne fait pas partie de ses œuvres les plus
marquantes ne la dévalorise pas non plus. Car rien que la signature de Van Gogh
sur une toile donnée vaut des millions.
La fausse version de Youssef Idriss
Donc,
il ne faut pas minimiser l’ampleur de l’incident du vol, ni prêter trop
d’attention aux rumeurs disant que la toile originale a été volée en 1977 et
que celle qui figurait au musée n’était qu’une copie.
Cette
histoire remonte à l’année 1988. L’écrivain Youssef Idriss avait alors lu
quelque part qu’une toile signée Van Gogh illustrant des fleurs avait été
vendue dans une salle de vente à Londres à 43 millions de dollars. Idriss,
réputé pour être impulsif, a écrit d’office dans le quotidien Al-Ahram, au mois de juin de la même année, que la toile
récupérée après le vol n’était pas l’originale, et que celle-ci a été vendue à
Londres. De quoi avoir soulevé un vrai tollé à l’époque.
En ce
temps, j’occupais moi-même le poste de sous-secrétaire d’Etat auprès du
ministère de la Culture et étais chargé des relations extérieures, le ministre
Farouk Hosni m’avait alors demandé de m’enquérir de la réalité de ces propos. J’ai
contacté alors les responsables des salles Christie’s et Sotheby’s à Londres,
lesquels m’ont répondu que la toile vendue à l’époque était l’un de ses petits
formats, acquis à travers un certificat d’origine. De plus, on a affirmé que le
tableau vendu illustrait des iris, donc des fleurs très différentes du tableau
de la collection Mahmoud Khalil.
La
description de ce tableau avait été envoyée à l’Interpol et du coup sa vente
était impossible, notamment à travers des fameuses salles comme Christie’s et
Sotheby’s.
Mais à
mon sens, la plus importante attestation d’authenticité a été celle obtenue par
Farouk Hosni qui s’était mis d’accord avec le musée d’Orsay à Paris, en 1994,
pour restaurer et entretenir la collection des toiles françaises présentes en
Egypte et surtout celles du musée Mahmoud Khalil et du musée de Guézira. En échange, la collection complète devait être
exposée au musée d’Orsay à Paris vers la fin de la même année, avant de
retrouver l’Egypte.
Outre
les travaux de restauration, la collection susmentionnée, dont la valeur
s’élevait à des millions, a été soumise à une authentification scientifique à
travers laquelle l’historique de chaque toile a été enregistré et soumis aux
experts pour affirmation d’authenticité. Ainsi il a été confirmé que la statue
Balzac de Rodin faisait partie de la collection, bien qu’elle ne porte pas la
signature de son fameux sculpteur.
55 millions il y a 16 ans !
A
cette occasion, la France avait publié un livre important sur cette collection
d’Egypte, intitulé les Toiles oubliées du Caire. A la parution du livre, les
toiles en question ont fait partie du catalogue international des arts,
dressant la chronique des arts du XIXe siècle et du début du XXe. Ce fut, à nos
yeux, une attestation indéniable quant à l’authenticité de la collection. Je ne
peux donc comprendre comment alors en ce moment l’on peut parler de copies et
notamment s’agissant de la toile de Van Gogh ?
Le
prix estimé de la toile, à savoir 55 millions de dollars, est celui indiqué par
les compagnies d’assurance françaises il y a 16 ans. Cela dit, ce chiffre a
sûrement augmenté au fil des ans. La France ne pouvait en aucune façon payer
autant d’argent s’il était question d’une copie.
En
effet, la toile de Van Gogh n’était pas la plus précieuse de la collection, qui
comprenait des chefs-d’œuvre de Monet, de Delacrois,
de Toulouse-Lautrec, de Gauguin, de Picasso, de Rodin … A titre d’exemple, la
fameuse toile de Paul Gauguin « La vie et la mort », d’une valeur de 83
millions de dollars, dépasse de loin celle de Van Gogh.
Le
plus étrange est que les mêmes personnes qui font circuler des mensonges
concernant l’affaire du vol sont celles mêmes qui évoquent les informations
erronées quant à son authenticité. Comment regrette-t-on le vol d’une fausse
pièce ? La toile était authentique selon l’attestation des maisons d’expertise
française. Et le vol fait partie des vols perpétrés partout dans le monde,
ciblant des toiles authentiques signées par les grands noms de la peinture. Par
exemple, trois jours avant le vol de la toile de Van Gogh, une statue de
l’artiste surréaliste Salvador Dali pesant 10 kilos a été volée par un visiteur
du musée belge de Belford à Bruge,
sans être détecté par les caméras ou les signaux d’alarme. Et en mai dernier,
d’autres toiles de Picasso, Matisse, Modigliani et Braque, d’une valeur de 127
millions de dollars, ont disparu du Musée d’art moderne à Paris. En fait, la
France, à elle seule, compte environ 35 vols artistiques par an, la plupart de
ces pièces disparues n’ont pas été retrouvées par les musées français
jusqu’ici. Le nombre de tableaux signés disparus s’élève à environ 200, dont 6
portent la griffe de Van Gogh. Il faut sans doute ajouter à cette longue liste,
la toile perdue du musée Mahmoud Khalil.
Les
experts affirment en tout cas que le vol des toiles n’est pas impossible, en
dépit de toutes les mesures draconiennes de sécurité, par exemple, les voleurs
ont pu s’introduire au Musée d’art moderne à Paris, à travers la seule fenêtre
du bâtiment dépourvue d’alarme, entre deux permanences. Mais toute la
difficulté est de les écouler sur le marché de l’art.
Mohamed Salmawy