Al-Dabaa.
Après des débats houleux, cette localité, dans le
gouvernorat de Matrouh, a été choisie pour construire la
première centrale nucléaire destinée à générer de
l’électricité. Des questions surgissent toutefois sur la
sécurité du site et le financement du projet.
Un projet ambitieux
C’est après plus de 20 ans d’étude que la décision a été
enfin prise. La ville d’Al-Dabaa,
dans le gouvernorat de Matrouh, sur la côte méditerranéenne,
abritera la première centrale nucléaire égyptienne, destinée
à produire de l’énergie. L’annonce a été faite la semaine
dernière à l’issue d’une réunion du Conseil suprême pour
l’usage pacifique de l’énergie nucléaire, présidé par le
chef de l’Etat. Le projet date déjà de plusieurs années.
Depuis les années 1980, l’Egypte songe à se doter d’une
centrale nucléaire, mais l’incident de Tchernobyl en 1986 a
retardé le projet. L’idée resurgit cependant, et le
président Moubarak décide, en 2007, de donner le coup
d’envoi à un programme ambitieux de construction de
centrales nucléaires. Objectif de ce programme : se doter de
cinq centrales nucléaires civiles, sous supervision de
l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). Le
Caire relance ainsi son programme nucléaire après un gel de
20 ans. La récente pénurie d’électricité, qui a donné lieu à
de fréquentes coupures de courant au Caire et dans les
gouvernorats, est venue rappeler l’importance de ce projet.
Les décideurs estiment que cette centrale nucléaire, de 1
000 MW, qui devrait entrer en fonction en 2019, va aider
l’Egypte à subvenir à ses besoins en électricité. En fait,
la demande d’électricité a augmenté en Egypte en moyenne de
7 % entre 1997 et 2004. A présent, la consommation
égyptienne d’électricité augmente de 13 % par an. A ce
train, les stations thermiques consommeront toutes les
réserves de gaz égyptien en 20 ans. D’où la nécessité de
s’orienter vers l’énergie nucléaire, pour générer
l’électricité. Pour Maher Aziz,
conseiller pour les affaires de
l’environnement au ministère de l’Electricité, l’Egypte a
l’ambition de construire les 5 centrales nucléaires d’ici
2027, afin de produire 5 000 MW d’électricité. « Nous
pensons que la première centrale sera opérationnelle d’ici 8
à 10 ans », affirme Aziz. Cependant, des questions
surgissent. D’abord à propos de la sécurité de
l’emplacement. Certains experts affirment, en effet, qu’Al-Dabaa
n’est pas l’endroit idéal pour construire une centrale
nucléaire. C’est notamment l’avis de
Magdi Fawzi, expert en
environnement. « Il faut savoir que les vents dans cette
région se déplacent de l’ouest vers l’est. Cela signifie
qu’en cas d’incident ou de fuite, la ville du Caire serait
menacée », affirme Fawzi. Mais
son hypothèse est rejetée par les responsables
gouvernementaux. « Depuis 1976, toutes les études effectuées
sur Al-Dabaa ont montré que cet
endroit répond à tous les
critères de sécurité. Ce site a été choisi conformément aux
recommandations d’un groupe international d’experts qui a
effectué des études sur le terrain dans différentes régions
du pays », rétorque Maher Aziz.
Le ministre de l’Electricité, Hassan
Younès, a lui aussi défendu le choix de l’emplacement
en affirmant que toutes les garanties de sécurité
nécessaires ont été prises. « Aujourd’hui, les progrès
énormes ont été réalisés en matière de sécurité des
centrales nucléaires. Dans certains pays européens et aux
Etats-Unis, les centrales nucléaires se trouvent dans des
zones peuplées et il n’y a aucun danger pour les populations
», a affirmé Hassan Younès. Et
d’ajouter que le président Moubarak suit de près les étapes
d’exécution du projet à travers les rapports mensuels et les
réunions périodiques du Conseil suprême pour l’usage
pacifique de l’énergie nucléaire.
Al-Dabaa, sujet de concurrence
Selon une source diplomatique ayant requis l’anonymat, «
nous sommes conscients qu’il y a derrière toutes ces rumeurs
sur l’inadaptation d’Al-Dabaa
des gens qui voulaient mettre à profit ce site pour y
établir des projets touristiques. Mais le président Moubarak
a décidé de construire la future centrale nucléaire à Al-Dabaa,
au détriment des activités touristiques », en faisant
allusion à certains hommes d’affaires qui souhaitaient
exploiter l’emplacement pour bâtir des projets touristiques.
En fait, Al-Dabaa était au
centre d’une sourde rivalité entre certains promoteurs
immobiliers proches du pouvoir, désireux de bâtir des
installations touristiques. L’autre grande question qui se
rapporte à Al-Dabaa est celle du
financement. D’ailleurs, cette question figure au même titre
que la catastrophe de Tchernobyl parmi les causes qui ont
retardé le projet nucléaire égyptien. Le Caire affronte
beaucoup de difficultés pour le financement des nouvelles
stations. Il faut savoir que le coût estimé de la première
centrale nucléaire est de près de 4 milliards de dollars, et
le gouvernement va devoir donc trouver une vingtaine de
milliards de dollars pour construire les 5 stations
nucléaires d’ici 2027. La loi sur le nucléaire approuvée au
cours de la précédente session parlementaire interdit
d’associer le secteur privé à la propriété des centrales
nucléaires. Toute participation du secteur privé au
financement semble donc exclue. Dans ces conditions, et
étant donné le coût très élevé du projet, il est probable
que l’Egypte s’oriente vers les institutions internationales
pour assurer le financement. Le Caire a reçu des garanties
de la Russie, de la Chine et de l’Union européenne, afin de
soutenir le développement de son projet nucléaire civil. De
même, en juin dernier, Yukiya
Amano, le patron de l’AIEA,
avait affirmé, après une rencontre avec le président
Moubarak, que son agence était prête à assister l’Egypte
dans la relance de son programme, même si Le Caire refuse de
signer un protocole additionnel renforçant les pouvoirs
d’inspection de l’agence.
Le ministre de l’Electricité a jugé nécessaire de lancer un
appel d’offres mondial pour la construction de cette
centrale nucléaire avant la fin de 2010. L’Egypte a déjà eu
recours à des consultants dans ce domaine, comme la firme
française Areva ou l’américaine
Westinghouse. Outre ces deux firmes, un groupe d’experts de
Rosatom, groupe public russe
gérant les industries nucléaires, se rendra dans quelques
semaines en Egypte pour étudier les questions pratiques
liées au chantier de la centrale et à la production
d’uranium. En fait, lors d’une visite du président égyptien
Hosni Moubarak à Moscou en mars 2008, la Russie et l’Egypte
avaient signé un accord de coopération dans ce domaine.
L’accord, qui autorise la Russie à participer aux appels
d’offres en vue de la construction, en Egypte, de centrales
nucléaires, ouvre de nouveaux horizons aux utilisations
nucléaires pacifiques en Egypte. En 2009, Le Caire avait
invité la Russie à prendre part à un appel d’offres sur la
création de la première centrale nucléaire égyptienne.
Chérif
Ahmed