Présidentielles.
A un an du scrutin, les campagnes de soutien aux candidats
potentiels se multiplient. D’ElBaradei
à Gamal Moubarak, en passant par Aymane
Nour, la rue égyptienne est en
effervescence.
Le marathon des signatures
Quartier de Bab Al-Cheariya
au centre du Caire. Il est 19h. Une dizaine de personnes
font irruption dans un petit café situé sur la place
principale. Munis de drapeaux et de posters de Gamal
Moubarak, fils du président de la République et chef du
comité des politiques du Parti National Démocrate (PND, au
pouvoir), ils se mettent à sortir les chaises de l’intérieur
du café pour les ranger une à une sur le trottoir. Ce sont
les coordinateurs de la coalition populaire de soutien à
Gamal Moubarak pour les élections présidentielles de 2011
qui s’agitent sur fond d’une chanson des années 1960. « Ô
Gamal, nous t’aimons », dédiée à l’origine à l’ancien
président Gamal Abdel-Nasser. Devant le café, les passants
sont interceptés par les activistes de la campagne et
appelés à prendre place sur les chaises. « Venez par ici,
venez élire votre futur président », lance
Yousri Saqr,
coordinateur de la campagne dans le quartier de
Bab Al-Cheariya,
à un groupe de passants. Il les prend par la main et les
prie de s’installer. Le groupe obtempère. Et une fois
installés, Saqr leur passe une
commande de boissons et de chicha.
Les clients du café sont des gens très modestes. Il y a
parmi eux des ouvriers, des manutentionnaires et de simples
employés. La plupart d’entre eux ignorent vraiment ce qui se
passe. Certains d’entre eux croient avoir affaire à un
meeting populaire, surtout que les élections législatives
approchent. « J’étais à la station de bus. Ils m’ont appelée
et m’ont dit de venir voter. Mais pourquoi voter et pour qui
? Les élections sont-elles lancées ? Peut-on voter le soir ?
», explique
Hamama, habitante du quartier qui ignore pour qui
elle va « voter ». « Tant pis, je vais voter pourvu qu’ils
me donnent quelque chose », ajoute-t-elle. Tout ce que
Hamama espère c’est de récupérer
un sac de charité pour passer le reste du mois du Ramadan ou
peut-être une somme d’argent qui l’aiderait à acheter pour
ses enfants les vêtements de la fête. Mais elle n’aura ni
l’un ni l’autre. Seulement une boisson fraîche. « J’ai signé
mais j’espère que ce ne sera pas un piège », dit-elle en
pleurant.
Le temps passe et les gens continuent d’affluer, entraînés
par les activistes de la campagne. Le café affiche désormais
complet. Mais personne ne sait vraiment ce qui se passe. «
Qu’est-ce que nous faisons ici ? », se demande Racha
Mahmoud, employée de propreté qui travaille dans une usine
et dont le salaire ne dépasse pas les 100 L.E. Au bout de
quelque temps, les gens commencent à s’ennuyer. Mais les
activistes de la campagne se hâtent de commander de
nouvelles boissons et de la chicha.
Un bulletin contre une boisson
Quelque temps après, le coordinateur
Yousri Saqr s’adresse à
la foule : « Nous avons organisé cette réunion pour
collecter vos signatures afin de demander à Gamal Moubarak
de se présenter aux élections présidentielles ».
Saqr est interrompu par un
citoyen. « Mais qui est Gamal Moubarak ? », interroge-t-il,
suscitant l’hilarité de la foule. L’homme, un ouvrier
journalier, est sérieux, il ne sait véritablement pas qui
est Gamal Moubarak. A peine eut-il terminé sa phrase que les
gens autour de lui le tirent par la chemise en lui faisant
signe de se taire. « Fais attention, le lieu est infesté
d’agents de la Sûreté de l’Etat ». Et effectivement, tout
autour du café, des agents de la Sûreté de l’Etat en civil
sillonnent le lieu en permanence. Bab
Al-Cheariya est une
circonscription délicate. C’est le quartier d’Aymane
Nour, fondateur du parti d’Al-Ghad
et ancien candidat aux présidentielles.
Il est 22h. Am Sobhi,
propriétaire d’une petite imprimerie, qui travaille avec les
activistes de la campagne, arrive. Avec lui, un millier de
bulletins à signer. Chaque citoyen qui signe un bulletin
obtient une boisson gratuite en plus. Sur chaque bulletin
figure la phrase suivante : « Je délègue la coalition
populaire à demander la candidature de Gamal Moubarak à la
présidence de la République ». La partie basse du bulletin
est réservée aux renseignements personnels : nom, date et
lieu de naissance, adresse, etc. Les gens se ruent vers Am
Sobhi et signent les bulletins.
Certains piétons signent seulement pour la boisson fraîche
gratuite. D’autres, ne sachant pas qui est Gamal Moubarak,
pensent qu’ils donnent leur voix à
Yousri Saqr. Puis devant
les journalistes, Badr Gaafar,
un homme de 71 ans, se présente et signe un bulletin de
soutien à Gamal Moubarak avec son sang ! Il quitte
immédiatement les lieux après avoir été pris en photo. Un
spectacle hallucinant.
Cela fait un mois que la coalition populaire de soutien à
Gamal Moubarak est mobilisée. Objectif : collecter des
signatures des gens, notamment les pauvres pour « obliger »
Gamal Moubarak à se présenter aux élections présidentielles.
L’instigateur de cette campagne est un ancien membre
reconverti du parti du Rassemblement. « Notre seul but est
de faire pression sur Gamal Moubarak pour qu’il accepte de
se présenter aux présidentielles de 2011 et ceci
conformément à la volonté du peuple égyptien », explique Al-Kordi.
Pour lui, les 25 partis politiques égyptiens ne comptent
dans leurs rangs aucun cadre capable d’occuper le poste de
président de la République. « L’Egypte se trouve au seuil
d’une période très critique. Gamal est le seul qui peut nous
sauver. Cela fait plusieurs années qu’il est dans la
politique, il possède d’excellentes relations à l’étranger
et il n’est en conflit avec personne », affirme Al-Kordi.
Selon lui, si Gamal Moubarak ne se présente pas aux
élections, l’Egypte sera livrée aux conflits et elle
deviendra comme l’Iraq ou le Liban. Gamal Moubarak est donc
la soupape de sûreté pour l’Egypte. « Gamal Moubarak n’a
jamais annoncé qu’il se présenterait aux élections. Il a des
ambitions politiques mais il ne peut pas les mettre en œuvre
car il est le fils du président de la République. Donc, nous
devons l’aider et lui faire comprendre que le peuple
égyptien souhaite sa candidature », explique encore Al-Kordi.
La coalition populaire de soutien à Gamal Moubarak compte à
présent 9 000 membres. L’objectif de la coalition est de
collecter 5 millions de signatures. Pour le moment, seules
100 000 signatures de « citoyens pauvres » ont été
collectées dans 14 gouvernorats. La campagne compte à
présent obtenir la signature de personnalités publiques. La
coalition a réussi à obtenir l’approbation de l’opposant
Saadeddine Ibrahim. « Nous
allons faire la même chose avec les dirigeants des Frères
musulmans et le pape Chénouda
III des coptes », assure Al-Kordi.
Les responsables du PND ont rejeté toute relation avec la
campagne de Gamal Moubarak, affirmant que le candidat du
parti n’est pas encore officiellement désigné. La semaine
dernière, le secrétaire général du parti,
Safouat Al-Chérif, avait même
annoncé que le parti soutenait unanimement la candidature du
président Moubarak.
Porte-à-porte et viande
A quelques pas de Bab Al-Cheariya,
dans le quartier de Sayeda
Zeinab, un spectacle similaire à
celui de la campagne de Gamal Moubarak se déroule. Des
jeunes ont installé une table dans la rue et demandent aux
citoyens de signer le communiqué du changement de Mohamad
ElBaradei. Ancien chef de
l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA),
ElBaradei est rentré récemment
en Egypte et se pose comme candidat potentiel aux élections.
L’Association nationale pour le changement qui soutient la
candidature d’ElBaradei compte
15 000 membres dont un certain nombre d’intellectuels. La
campagne d’ElBaradei a une
particularité. Les activistes de la campagne se rendent dans
les maisons. « Nous avons décidé de nous rendre dans les
maisons des électeurs pour briser la peur qui s’empare d’eux
et les convaincre de l’importance du changement », lance
Moustapha Al-Naggar,
coordinateur de la campagne de soutien à
ElBaradei. Et d’assurer que
l’association a réussi à collecter environ 400 000
signatures. Al-Naggar critique
sévèrement la campagne de Gamal Moubarak qui, selon lui,
présente un candidat mais sans programme électoral. « Notre
initiative est sérieuse. L’Association pour le changement a
des principes et un programme électoral bien défini. Nous
demandons, entre autres, la suppression de l’état d’urgence
et l’instauration du contrôle judiciaire sur les élections.
Mais où est le programme de Gamal Moubarak ? »,
interroge Moustapha Al-Naggar.
Gamal Moubarak d’un côté, ElBaradei
de l’autre, la rue égyptienne est dans l’expectative. Et une
troisième campagne a fait irruption sur la scène, celle d’Aymane
Nour, baptisée « L’Egypte est
trop grande pour toi ». Il s’agit en fait d’une campagne
dirigée face à celle de Gamal Moubarak. Ancien candidat aux
présidentielles de 2005, Nour a
été emprisonné pendant 5 ans pour falsification de documents
se rapportant à la fondation de son parti. Il a été libéré
en 2009 sur grâce présidentielle. Si les partisans de Gamal
Moubarak agissent dans les lieux publics et ceux d’ElBaradei
se rendent directement chez les électeurs, les partisans de
Nour, eux, se contentent
d’afficher des posters anti-Gamal Moubarak dans les rues. «
Nous ne sommes contre la candidature de n’importe quel
citoyen. Mais ce qui est étrange, c’est que la campagne de
Gamal Moubarak appelle le fils du président à gouverner le
peuple égyptien », affirme Aymane
Nour. Ce dernier ne peut
théoriquement pas se présenter aux présidentielles car sa
peine de prison le rend inéligible. « Cette campagne de
Gamal Moubarak est étrangement bizarre. Lorsqu’on sait que
l’instigateur de la campagne est un ancien membre du parti
du Rassemblement et du mouvement Kéfaya
qui s’opposent à l’hérédité du pouvoir, on peut se poser des
questions », assure Nour. A
l’approche des élections, les campagnes se multiplient avec
des slogans variés comme « L’Egypte aspire à un nouveau
début », une autre campagne en faveur de Gamal Moubarak
lancée par un groupe d’activistes qui collecte elle aussi
des signatures. La campagne distribue chaque vendredi 50
kilos de viande aux personnes défavorisées. C’est pourquoi
elle est la favorite des citoyens !
Chérif Soliman
Héba
Nasreddine