Al-Ahram Hebdo, Egypte | Le marathon des signatures

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 Semaine du 8 au 14 septembre 2010, numéro 835

 

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Egypte

Présidentielles. A un an du scrutin, les campagnes de soutien aux candidats potentiels se multiplient. D’ElBaradei à Gamal Moubarak, en passant par Aymane Nour, la rue égyptienne est en effervescence.

Le marathon des signatures

Quartier de Bab Al-Cheariya au centre du Caire. Il est 19h. Une dizaine de personnes font irruption dans un petit café situé sur la place principale. Munis de drapeaux et de posters de Gamal Moubarak, fils du président de la République et chef du comité des politiques du Parti National Démocrate (PND, au pouvoir), ils se mettent à sortir les chaises de l’intérieur du café pour les ranger une à une sur le trottoir. Ce sont les coordinateurs de la coalition populaire de soutien à Gamal Moubarak pour les élections présidentielles de 2011 qui s’agitent sur fond d’une chanson des années 1960. « Ô Gamal, nous t’aimons », dédiée à l’origine à l’ancien président Gamal Abdel-Nasser. Devant le café, les passants sont interceptés par les activistes de la campagne et appelés à prendre place sur les chaises. « Venez par ici, venez élire votre futur président », lance Yousri Saqr, coordinateur de la campagne dans le quartier de Bab Al-Cheariya, à un groupe de passants. Il les prend par la main et les prie de s’installer. Le groupe obtempère. Et une fois installés, Saqr leur passe une commande de boissons et de chicha. Les clients du café sont des gens très modestes. Il y a parmi eux des ouvriers, des manutentionnaires et de simples employés. La plupart d’entre eux ignorent vraiment ce qui se passe. Certains d’entre eux croient avoir affaire à un meeting populaire, surtout que les élections législatives approchent. « J’étais à la station de bus. Ils m’ont appelée et m’ont dit de venir voter. Mais pourquoi voter et pour qui ? Les élections sont-elles lancées ? Peut-on voter le soir ? », explique Hamama, habitante du quartier qui ignore pour qui elle va « voter ». « Tant pis, je vais voter pourvu qu’ils me donnent quelque chose », ajoute-t-elle. Tout ce que Hamama espère c’est de récupérer un sac de charité pour passer le reste du mois du Ramadan ou peut-être une somme d’argent qui l’aiderait à acheter pour ses enfants les vêtements de la fête. Mais elle n’aura ni l’un ni l’autre. Seulement une boisson fraîche. « J’ai signé mais j’espère que ce ne sera pas un piège », dit-elle en pleurant.

Le temps passe et les gens continuent d’affluer, entraînés par les activistes de la campagne. Le café affiche désormais complet. Mais personne ne sait vraiment ce qui se passe. « Qu’est-ce que nous faisons ici ? », se demande Racha Mahmoud, employée de propreté qui travaille dans une usine et dont le salaire ne dépasse pas les 100 L.E. Au bout de quelque temps, les gens commencent à s’ennuyer. Mais les activistes de la campagne se hâtent de commander de nouvelles boissons et de la chicha.

Un bulletin contre une boisson

Quelque temps après, le coordinateur Yousri Saqr s’adresse à la foule : « Nous avons organisé cette réunion pour collecter vos signatures afin de demander à Gamal Moubarak de se présenter aux élections présidentielles ». Saqr est interrompu par un citoyen. « Mais qui est Gamal Moubarak ? », interroge-t-il, suscitant l’hilarité de la foule. L’homme, un ouvrier journalier, est sérieux, il ne sait véritablement pas qui est Gamal Moubarak. A peine eut-il terminé sa phrase que les gens autour de lui le tirent par la chemise en lui faisant signe de se taire. « Fais attention, le lieu est infesté d’agents de la Sûreté de l’Etat ». Et effectivement, tout autour du café, des agents de la Sûreté de l’Etat en civil sillonnent le lieu en permanence. Bab Al-Cheariya est une circonscription délicate. C’est le quartier d’Aymane Nour, fondateur du parti d’Al-Ghad et ancien candidat aux présidentielles.

Il est 22h. Am Sobhi, propriétaire d’une petite imprimerie, qui travaille avec les activistes de la campagne, arrive. Avec lui, un millier de bulletins à signer. Chaque citoyen qui signe un bulletin obtient une boisson gratuite en plus. Sur chaque bulletin figure la phrase suivante : « Je délègue la coalition populaire à demander la candidature de Gamal Moubarak à la présidence de la République ». La partie basse du bulletin est réservée aux renseignements personnels : nom, date et lieu de naissance, adresse, etc. Les gens se ruent vers Am Sobhi et signent les bulletins. Certains piétons signent seulement pour la boisson fraîche gratuite. D’autres, ne sachant pas qui est Gamal Moubarak, pensent qu’ils donnent leur voix à Yousri Saqr. Puis devant les journalistes, Badr Gaafar, un homme de 71 ans, se présente et signe un bulletin de soutien à Gamal Moubarak avec son sang ! Il quitte immédiatement les lieux après avoir été pris en photo. Un spectacle hallucinant.

Cela fait un mois que la coalition populaire de soutien à Gamal Moubarak est mobilisée. Objectif : collecter des signatures des gens, notamment les pauvres pour « obliger » Gamal Moubarak à se présenter aux élections présidentielles. L’instigateur de cette campagne est un ancien membre reconverti du parti du Rassemblement. « Notre seul but est de faire pression sur Gamal Moubarak pour qu’il accepte de se présenter aux présidentielles de 2011 et ceci conformément à la volonté du peuple égyptien », explique Al-Kordi. Pour lui, les 25 partis politiques égyptiens ne comptent dans leurs rangs aucun cadre capable d’occuper le poste de président de la République. « L’Egypte se trouve au seuil d’une période très critique. Gamal est le seul qui peut nous sauver. Cela fait plusieurs années qu’il est dans la politique, il possède d’excellentes relations à l’étranger et il n’est en conflit avec personne », affirme Al-Kordi. Selon lui, si Gamal Moubarak ne se présente pas aux élections, l’Egypte sera livrée aux conflits et elle deviendra comme l’Iraq ou le Liban. Gamal Moubarak est donc la soupape de sûreté pour l’Egypte. « Gamal Moubarak n’a jamais annoncé qu’il se présenterait aux élections. Il a des ambitions politiques mais il ne peut pas les mettre en œuvre car il est le fils du président de la République. Donc, nous devons l’aider et lui faire comprendre que le peuple égyptien souhaite sa candidature », explique encore Al-Kordi.

La coalition populaire de soutien à Gamal Moubarak compte à présent 9 000 membres. L’objectif de la coalition est de collecter 5 millions de signatures. Pour le moment, seules 100 000 signatures de « citoyens pauvres » ont été collectées dans 14 gouvernorats. La campagne compte à présent obtenir la signature de personnalités publiques. La coalition a réussi à obtenir l’approbation de l’opposant Saadeddine Ibrahim. « Nous allons faire la même chose avec les dirigeants des Frères musulmans et le pape Chénouda III des coptes », assure Al-Kordi. Les responsables du PND ont rejeté toute relation avec la campagne de Gamal Moubarak, affirmant que le candidat du parti n’est pas encore officiellement désigné. La semaine dernière, le secrétaire général du parti, Safouat Al-Chérif, avait même annoncé que le parti soutenait unanimement la candidature du président Moubarak.

Porte-à-porte et viande

A quelques pas de Bab Al-Cheariya, dans le quartier de Sayeda Zeinab, un spectacle similaire à celui de la campagne de Gamal Moubarak se déroule. Des jeunes ont installé une table dans la rue et demandent aux citoyens de signer le communiqué du changement de Mohamad ElBaradei. Ancien chef de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), ElBaradei est rentré récemment en Egypte et se pose comme candidat potentiel aux élections. L’Association nationale pour le changement qui soutient la candidature d’ElBaradei compte 15 000 membres dont un certain nombre d’intellectuels. La campagne d’ElBaradei a une particularité. Les activistes de la campagne se rendent dans les maisons. « Nous avons décidé de nous rendre dans les maisons des électeurs pour briser la peur qui s’empare d’eux et les convaincre de l’importance du changement », lance Moustapha Al-Naggar, coordinateur de la campagne de soutien à ElBaradei. Et d’assurer que l’association a réussi à collecter environ 400 000 signatures. Al-Naggar critique sévèrement la campagne de Gamal Moubarak qui, selon lui, présente un candidat mais sans programme électoral. « Notre initiative est sérieuse. L’Association pour le changement a des principes et un programme électoral bien défini. Nous demandons, entre autres, la suppression de l’état d’urgence et l’instauration du contrôle judiciaire sur les élections. Mais où est le programme de Gamal Moubarak ? », interroge Moustapha Al-Naggar.

Gamal Moubarak d’un côté, ElBaradei de l’autre, la rue égyptienne est dans l’expectative. Et une troisième campagne a fait irruption sur la scène, celle d’Aymane Nour, baptisée « L’Egypte est trop grande pour toi ». Il s’agit en fait d’une campagne dirigée face à celle de Gamal Moubarak. Ancien candidat aux présidentielles de 2005, Nour a été emprisonné pendant 5 ans pour falsification de documents se rapportant à la fondation de son parti. Il a été libéré en 2009 sur grâce présidentielle. Si les partisans de Gamal Moubarak agissent dans les lieux publics et ceux d’ElBaradei se rendent directement chez les électeurs, les partisans de Nour, eux, se contentent d’afficher des posters anti-Gamal Moubarak dans les rues. « Nous ne sommes contre la candidature de n’importe quel citoyen. Mais ce qui est étrange, c’est que la campagne de Gamal Moubarak appelle le fils du président à gouverner le peuple égyptien », affirme Aymane Nour. Ce dernier ne peut théoriquement pas se présenter aux présidentielles car sa peine de prison le rend inéligible. « Cette campagne de Gamal Moubarak est étrangement bizarre. Lorsqu’on sait que l’instigateur de la campagne est un ancien membre du parti du Rassemblement et du mouvement Kéfaya qui s’opposent à l’hérédité du pouvoir, on peut se poser des questions », assure Nour. A l’approche des élections, les campagnes se multiplient avec des slogans variés comme « L’Egypte aspire à un nouveau début », une autre campagne en faveur de Gamal Moubarak lancée par un groupe d’activistes qui collecte elle aussi des signatures. La campagne distribue chaque vendredi 50 kilos de viande aux personnes défavorisées. C’est pourquoi elle est la favorite des citoyens !

Chérif Soliman
Héba Nasreddine

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