Festival du Film de Locarno.
Trois films primés lors de la 63e édition représentent une
nouvelle ouverture sur le cinéma jeune et asiatique ainsi
que le documentaire.
Découvertes et redécouvertes
Bien
sûr, Locarno, cette ville charmante du Tessin au sud de la
Suisse, a toujours surpris son public de cinéphiles avec ses
sections innovantes et son ouverture aux premiers et
deuxièmes films. Mais cette année, le film Paraboles
d’Emmanuelle Demoris, qui a reçu
le Léopard d’or dans la Compétition Cinéastes du présent,
destinée aux premiers et deuxièmes films de jeunes
réalisateurs émergents du monde entier, a impressionné. Tout
comme la rétrospective intégrale de l’œuvre d’Ernst Lubitsch
et la section Open doors (portes
ouvertes) consacrée cette année à l’Asie centrale.
Paraboles est le cinquième film du cycle «
Mafrouza » d’Emmanuelle
Demoris, projeté en compétition
dans la section Cinéastes du présent tandis que les quatre
premiers films étaient projetés hors compétition. Le cycle
Mafrouza a été tourné sur une
période de deux ans dans le quartier de
Mafrouza d’Alexandrie, construit sur le site d’une
nécropole gréco-romaine. Mafrouza
part des premières rencontres avec les gens du quartier pour
raconter ensuite leurs histoires. Ce documentaire est avant
tout un hommage à la population de
Mafrouza, à leur humanité, leur courage, leur
irrépressible force de vie, qui font
de leur quartier un espace de vitalité. Au centre de la
cinquième partie intitulée « Paraboles - L’art de parler »
apparaît Mohamed Khattab qui
tient l’épicerie de Mafrouza.
Cheikh, il fait aussi le sermon du vendredi dans la mosquée
du quartier. Mais en ces jours de fête, les barbus viennent
s’emparer de ladite mosquée. Les gens de
Mafrouza racontent cette prise
de pouvoir avec lucidité et calme, avec la force d’une
parole qui recourt aux arguments à la fois du cœur et de la
raison. Mohamed Khattab garde sa
dignité, son ironie et le secret sur ses intentions. « Les
gens de Mafrouza semblent portés
par une incroyable force de vivre. Cela tient à leur liberté
de pensée et d’expression, à leur
capacité d’exprimer les sentiments et aussi leur constante
attention à l’autre », dit Emmanuelle
Demoris. La réalisatrice, elle aussi, porte par son
film une constante attention à l’autre, tendre et rempli de
respect. Avec un prix à Locarno, ce film devrait revenir
dans son pays d’origine bientôt.
Amour, loyauté et rire
L’autre découverte a été le cinéma d’Asie centrale, présenté
dans la section Open doors.
Cette initiative, engagée il y a quelques années et
consacrée chaque année à une région (il y a trois ans,
c’était le tour du Moyen-Orient), a pour but de faire mieux
connaître le cinéma des régions peu connu en Europe, mais
surtout de trouver de potentiels partenaires pour le
financement de projets. Cette année, les festivaliers ont pu
découvrir le cinéma fascinant de la route de la soie. Bien
sûr, le cinéma jouait un rôle important en Union soviétique
de laquelle le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan,
le Kazakhstan et le Kirghizistan faisaient partie. A la
disparition de l’Union soviétique, chaque pays a pris un
chemin différent à la recherche d’une propre cinématographie
qui est le miroir de son identité nationale, mais qui
reflète aussi les développements différents de chacun d’eux.
Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan sont bien plus avancés dans
la production cinématographique que les autres pays et les
films produits dans ces pays trouvent déjà leur chemin dans
les festivals de l’ouest. Les films montrés de cinq pays ont
ouvert les yeux du public à leurs cultures, mais aussi à
leur émancipation politique. « Svet
ake » (le voleur de lumière),
projeté sur la Piazza Grande, a enthousiasmé le public par
sa naïveté, son humanité et son humour. Le protagoniste,
joué par le réalisateur lui-même, qu’on appelle dans sa
petite ville natale Monsieur Lumière, n’apporte pas
seulement l’électricité, souvent en panne, à ses
compatriotes pauvres. Il porte aussi de l’amour et de la
loyauté et surtout du rire à ceux qui souffrent des
bouleversements économiques de l’après-Union soviétique. Des
images touchantes d’une société qui se cherche ...
Cette année, Locarno a aussi fait un merveilleux cadeau à
son public : la rétrospective intégrale de l’œuvre du «
prince de la comédie » Ernst Lubitsch (1892-1947). Lubitsch
est né en 1892 à Berlin et émigra en 1922 aux Etats-Unis. La
rétrospective s’est préparée en collaboration avec la
cinémathèque française et sera montrée à l’automne à la
Cinémathèque suisse. Ernst Lubitsch fut sans doute un
précurseur dans plus d’un genre — du film historique à la
satire, du grotesque à la comédie musicale. Si ses films
sont si passionnants, c’est parce qu’ils ont encore beaucoup
de choses à nous dire sur l’art et la vie. Ou, peut-être,
sur l’art de vivre. Rappelons qu’au début de sa carrière,
Lubitsch a tourné plusieurs films inspirés de sujets
orientaux, tels que Les yeux de la momie Ma (1918),
Sumurun (1920) et La Femme du
pharaon (1922). Les organisateurs ne s’attendaient peut-être
pas à ce succès, et ce n’étaient pas seulement les
classiques comme Ninotschka
(1939) avec la divine Greta Garbo qui enthousiasmaient les
spectateurs ! Ce film a été présenté par la fille d’Ernst
Lubitsch, Nicola Lubitsch,
étonnée face à la salle archicomble dont le public n’avait
jamais vu un film de Lubitsch. Le succès de
cette rétrospective fait la
preuve de son génie, qui a bien mérité, tout comme les
organisateurs, l’ampleur des applaudissements reçus.
Fawzi
Soliman