Canicule .
L’été est bien chaud. C’est normal, mais il s’annonce plus
torride encore lors des prochaines semaines. C’est du moins
ce que la météo nous prédit.
Attention, soleil peu bienveillant
A
chaque feu rouge, il lève le bras en toute paresse pour
stopper les voitures et il profite du feu vert pour chercher
sa petite bouteille d’eau qu’il garde à l’ombre d’un arbre.
Et tout au long de la journée, il ne refuse jamais les
bouteilles d’eau glacée que lui glissent de temps en temps
les conducteurs ayant pitié de lui à cause de son uniforme
ruisselant de sueur et son visage de plus en plus sombre
sous le soleil et qu’il essuie à l’aide de la manche de sa
chemise. Fathi est un agent de la circulation qui opère une
des grandes places d’Héliopolis. Il pratique son travail
depuis des années avec compétence et est devenu un visage
assez familier du coin. Ces jours-ci et depuis la dernière
vague de chaleur, il se sent plutôt faible et fatigué. « Je
viens du village de Tahta à Sohag. En Haute-Egypte, nous
sommes habitués à la chaleur, mais cette période de l’été
est insupportable. Passer toutes ces heures sous le soleil
est inhumain », dit Fathi en soupirant. Un simple coup d’œil
sur son allure et ses gestes révèle sa souffrance. Et les
heures qu’il passe quotidiennement sous le soleil
ressemblent à des années de géhenne, tellement l’attente est
difficile à endurer.
Métier oblige : Fathi est
l’un parmi des milliers de citoyens obligés de passer de
longues heures sous le soleil. Et cet été, la mission semble
difficile, puisque la chaleur atteint son maximum en cette
période. Depuis des semaines, la canicule occupe la une des
journaux et est également au top des sujets de discussions.
« La température atteint les 50° sous le soleil et 43° à
l’ombre », alerte la météo. « Il vaut mieux ne pas sortir
pendant la période de 13h jusqu’à 16h pour éviter les coups
de soleil. Les enfants et les personnes âgées sont les
premiers menacés », a-t-on souligné lors des jours où le
soleil et l’humidité se sont montrés intolérants.
Pour les prochaines
semaines, on s’attend à un véritable calvaire. Pour la
première fois depuis 7 ans, on prévoit une hausse de la
chaleur sans précédent. Déjà, 18 incendies se sont
déclenchés dans différentes villes d’Egypte et la chaleur
est, d’après les gouverneurs de ces villes, le premier
accusé.
Or, les gens n’ont pas
besoin d’annonces dans les journaux ni d’avertissements des
experts de la météo pour réaliser que la situation cette
année dépasse toutes les attentes.
Les premières victimes
Soleil accablant, humidité,
transpiration et vertige, l’été est fort et sans pitié.
Déjà, deux surveillants des examens du bac, qui étaient en
mission en Haute-Egypte, ont payé de leur vie leur assiduité
au travail. C’était à Sohag où la température avait atteint
50° le mois dernier et on n’a pas pu les secourir.
Six élèves se sont évanouis
dans les salles d’examens privées d’air conditionné.
Suite à ce genre
d’incidents, le ministère de la Santé a commencé à
multiplier ses avertissements aux citoyens en les
conseillant d’éviter à tout prix ces coups de soleil,
surtout pour ceux qui souffrent d’hypertension et de diabète.
Mais, le fait d’éviter les
coups de soleil est parfois un luxe. Ragab, soldat qui fait
la garde des cortèges, est obligé de se mettre debout, tiré
comme un clou sous la chaleur pendant des heures, armé
seulement de sa gourde d’eau. « Ma seule astuce pour tenir
le coup c’est de boire des litres d’eau à longueur de
journée pour diminuer le risque de mourir sous le soleil »,
dit Farag, qui s’est habitué aux maux de tête, à la fatigue
et aux étourdissements.
Les rues abandonnées de jour
Cet
été, une simple tournée dans les rues du Caire révèle qu’il
s’agit d’une saison assez singulière. Les rues depuis midi
et jusqu’à 16h sont beaucoup moins encombrées que d’habitude.
Rares sont ceux qui osent pointer le nez dehors, surtout que
les élèves et étudiants sont en congé. Le Caire ressemble à
une ville fantôme pendant la journée et reprend son activité
vers le coucher du soleil. Et c’est pendant le soir et
jusqu’à l’aube qu’elle grouille de monde. Echappant à la
chaleur des maisons, les gens préfèrent prendre une bouffée
d’air frais au bord du Nil et les plus fortunés préfèrent
une tournée dans leurs voitures climatisées ou s’enfuient
vers les plages. Quant aux piétons, ils n’ont qu’à chercher
l’ombre d’un arbre ou d’une station d’autobus pour prendre
leur souffle. D’autres couvrent leurs têtes de parasols ou
de journaux mouillés.
Même à l’ombre, on n’est
pas tout à fait à l’abri. « Le climat en Egypte est en
changement perpétuel. On devient comme les pays du Golfe à
la seule différence qu’on n’est pas équipé comme eux de
climatiseurs partout. Les responsables doivent revoir les
horaires de travail et les adapter à la chaleur comme c’est
le cas dans d’autres pays », dit Samar qui a passé 5 ans au
Koweït et qui voit qu’il est temps de changer notre mode de
vie. Pourtant, nombreux sont ceux qui n’ont pas trop
confiance en la météo.
« Ils n’annoncent pas les
vrais degrés de température, car d’après les lois
internationales de travail, les gens ont droit à prendre des
congés et rester chez eux si la température dépasse les 45
degrés », explique Samar.
Même la prière s’en ressent
Pourtant, les choses sont
en train de changer graduellement. Pour la première fois,
les responsables au ministère des Waqfs demandent aux
cheikhs et imams des mosquées d’être plus brefs dans leurs
prêches. La prière du vendredi ne doit pas dépasser les 30
minutes durant cette canicule et ce, pour ne pas exposer les
fidèles au risque des coups de soleil. « La prière à
l’époque du prophète ne dépassait pas un quart d’heure »,
confie cheikh Chawqi Abdellatif, responsable du secteur
religieux au ministère des Waqfs.
Ironie du sort. C’est
lorsqu’il s’agit d’une décision qui les arrange que les
hommes de religion se rendent compte de l’importance de
suivre les dires du prophète. La canicule est une bonne
excuse pour eux. Mais, leur véritable objectif est souvent
de vider vite les mosquées après la prière, d’éviter les
rassemblements et ce qu’ils peuvent engendrer, comme les
manifestations contre le gouvernement.
Même les activistes et les
militants se sont influencés par cette vague de chaleur.
Dans leurs blogs, les jeunes négocient les horaires des
manifestations faisant le maximum pour éviter le soleil. «
Pourquoi organiser une manifestation à 14h sous ce soleil
ardent et non pas attendre jusqu’à 19h ou 20h alors qu’il
fait plus beau ? Les revendications peuvent attendre un peu
et les responsables ne réagissent pas sur-le-champ »,
ironise un blogueur.
Sur le terrain, le nombre
de manifestants est en train de diminuer et après la clôture
de la session parlementaire, les députés et manifestants ont
pris une pause. Si les députés ont échappé à la chaleur et
sont partis à la Côte-Nord, les manifestants, eux, préfèrent
militer sur le net, à l’ombre et dans l’air conditionné.
Le ministère de l’Electricité s’en mêle
L’Egypte a chaud, une
situation qui commence à avoir des conséquences. Hassan
Younès, ministre de l’Electricité, vient d’annoncer que la
consommation des Egyptiens en électricité est en hausse
effrayante. Et ce, à cause de l’usage intensif des
climatiseurs. La chambre d’opération dépendant du ministère
de l’Electricité a enregistré durant le mois de juin un
chiffre record de consommation, à savoir 22 700 mégawatts.
Il s’agit d’une hausse de 13,5 % en comparaison avec la même
période de l’été dernier. Le ministre n’hésite pas de prier
les citoyens de rationaliser leur consommation en
électricité tant que possible.
Mais, le ministère ne tarde
pas d’opter pour la rupture du courant dans certains
quartiers et provinces. Une sorte de lutte contre cette
surcharge sans précédent sur les réseaux d’électricité.
Amina, femme au foyer, souffre de cette rupture de plus en
plus fréquente du courant dans son quartier. « Une fois
privé d’électricité, on n’a non seulement pas droit au
climatiseur et au ventilateur, mais on est aussi privé d’eau,
car les moteurs qui propulsent l’eau dans les tuyaux ont
besoin du courant pour fonctionner », confie Amina, qui a
été obligée de quitter son foyer et de prendre refuge chez
son père qui habite un autre quartier plus « fortuné ».
Cependant les malheurs de
certains font le bonheur des autres. Cette saison de chaleur
torride a permis à certains de faire fortune. Il s’agit de
ceux qui présentent des services anti-chaleur.
Après le coucher du soleil,
lorsque la chaleur devient moins forte et que les gens
commencent à sortir, les cafés grouillent de monde. Boissons
froides, thé à la menthe …, tout est à la disposition des
clients.
Les magasins de jus frais
témoignent d’un encombrement de clients qui cherchent à
refroidir leurs gorges. « Comme chaque été, je travaille
depuis le coucher du soleil sans arrêt jusqu’à l’aube. Mais
cette année, le nombre de clients a doublé. Les gens
viennent prendre un jus frais chez moi et s’approvisionnent
de deux bouteilles de jus qu’ils gardent dans leurs frigos
», confie Sobhi, propriétaire d’un magasin de jus frais.
Adel, directeur d’un
hypermarché, révèle que les ventes de bouteilles d’eau, de
jus et d’eau gazeuse a enregistré un chiffre record cet été.
Un phénomène qui s’applique aussi à la vente des
climatiseurs. Les chiffres du ministère de l’Electricité
montrent qu’en 2006, le nombre d’appareils vendus ne
dépassaient pas les 700 000. Cet été le chiffre de vente a
atteint les 3 millions, alors qu’on est encore en juillet.
Les propriétaires des
entreprises de climatiseurs ont à leur tour profité de ces
vagues de chaleur et augmenté les prix.
« Certains modèles sont
adaptés à cette hausse de température et sont équipés de
matériel et de fils plus résistants à la chaleur », confie
Mamdouh, responsable de marketing dans une entreprise de
vente de climatiseurs.
Pourtant, il confie que
cette hausse du prix ne semble pas empêcher les gens d’en
acheter. Chaque jour, des dizaines de nouveaux appareils
sont vendus et les façades des immeubles sont de plus en
plus décorées de nouveaux postes.
Mais, nombreux sont ceux
qui n’ont pas les moyens pour s’acheter des climatiseurs et
ne peuvent pas se permettre de payer des factures salées
d’électricité ou ceux qui ne peuvent pas circuler dans des
voitures climatisées ou partir à la mer. Ceux-ci ont la vie
plus dure et voient dans la canicule leur seul ennemi. «
Lors de ces jours d’été, je ne supporte personne, je me
bagarre avec tout le monde. Je ne sais pas comment je
pourrai jeûner pendant le Ramadan qui tombe au mois d’août
prochain, alors que les degrés de température atteignent
leur apogée », se révolte Sayed, fonctionnaire, pour qui les
vents qui nous frappent du Sahara africain, des pays du
Golfe et de l’Inde semblent avoir gâché la vie.
Hanaa
El-Mekkawi