Al-Ahram Hebdo, Visages | Névine Abbass Halim

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 Semaine du 16 au 22 juin 2010, numéro 823

 

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Visages

La princesse Névine Abbass Halim fait partie de la dynastie Mohamad Ali pacha, fondateur de l’Egypte moderne. Etablie entre Alexandrie et Lausanne, elle vient de présenter son autobiographie à la Bibliotheca Alexandrina.

Fenêtre sur cour

Un air de grandeur. Des paradoxes, entre réalisme et poésie, des souvenirs d’enfance et visions de sagesse … tous mariés dans une union heureuse. Telle est la vie de la princesse Névine Abbass Halim, dont elle a tracé les grandes lignes dans son autobiographie Diaries of an Egyptian princess. Un désir de revivifier un passé ou de rectifier une image contrefaite ? Une nostalgie ou un défoulement ? « Ecrire des mémoires m’était toujours un plaisir. Et une fois à la retraite, j’ai voulu revoir ce que j’avais écrit au cours des années. J’ai découvert des tas de papiers, y compris les mémoires de ma mère. J’ai montré tout cela à Chérif Boraai, un ami éditeur qui m’a conseillé, très enthousiaste, de les publier », explique-t-elle. Et d’ajouter modestement : « Mais pourquoi vous intéressez-vous à moi ? Cela me surprend vraiment ». C’est que de prime abord, être une princesse d’une Egypte d’antan attire la curiosité.

Du côté paternel, Mohamad Ali pacha, fondateur de l’Egypte moderne, est son arrière-grand-père, et du côté maternel, son arrière-grand-père est Medhat pacha Yeghen, fondateur de la banque Misr avec Talaat Harb, et son premier président. « Mon père Abbass Halim s’est intéressé aux ouvriers, il a même essayé de leur faire un syndicat. Et en 1934, il a publié dans plusieurs journaux une lettre ouverte au roi Fouad le mettant en garde contre le danger ouvrier au cas où il continuerait à négliger les classes défavorisées. Et il l’a payé cher. Le roi Fouad, considérant cet acte comme une offense, a décidé d’ôter à mon père le titre de prince et de le jeter en prison. Il n’a accepté de le libérer que suite à une grève de la faim menée par mon père », explique-t-elle. Le roi a alors promis de lui rendre son titre à condition de renoncer à la cause ouvrière. Abbass Halim a rejeté cette offre. D’ailleurs, il n’a récupéré son titre que sous le règne du roi Farouk. Une raison pour laquelle il a été très apprécié par les petites gens. « Mon frère Mohamad Ali, ma sœur Ulvia Ulfette et moi, avons hérité de mon père la bienveillance et la politesse. Il était très difficile de ne pas aimer mon père. Il traitait le portier et le roi avec la même courtoisie », raconte-t-elle dans son autobiographie.

En effet, son allure, sa façon d’être, son sourire … tout dévoile son identité de princesse. « Etre princesse, ce n’est pas vraiment vivre dans sa tour d’ivoire. Maman m’a toujours dit qu’une princesse doit se tenir de façon convenable. Et même mon père a beaucoup répété à mon frère : tu es né prince, et tu dois apprendre à te comporter comme un gentilhomme », dit-elle.

D’ailleurs, le simple « Madame » ne la dérange pas. Elle comprend parfaitement que tout a changé, même si d’aucuns continuent à l’appeler princesse. En fait, il est difficile de l’appeler autrement. « Dans la famille, on continue, entre nous, à utiliser nos titres de prince et princesse », ajoute-t-elle.

Ce qui est vraiment épatant, et s’ajoute à ses origines nobles, c’est cette personnalité que l’on découvre à travers chaque mot, et chaque sourire. Fermeté, résolution, franchise, cette dame apporte beaucoup à son entourage.

Née en 1930 à Alexandrie, elle a dû poursuivre une formation sévère. « Selon les traditions royales, on devait suivre des leçons chez soi. Des professeurs de français, d’anglais, d’allemand et de turc fréquentaient notre maison à Garden City. Mais comme j’avais l’ambition de m’inscrire à l’université, j’ai été dans l’obligation d’aller au lycée comme tout le monde pour obtenir un baccalauréat. Alors, on m’a envoyée à l’English School d’Héliopolis », explique-t-elle. Plus tard, elle s’est inscrite à l’Université américaine du Caire. Et d’ajouter : « J’ai été obligée de faire de la sociologie. J’aurais préféré faire du journalisme. Mais, en tant que membre de la famille royale, il nous était interdit de faire ce métier. Ainsi, après avoir passé une année à l’AUC, j’ai abandonné mon intérêt pour la sociologie et pour l’Université tout court ».

Ses parents ont refusé de lui faire apprendre l’arabe, dès son âge tendre, de peur d’affecter sa prononciation. Ainsi se trouve-t-elle plus à l’aise dans les quatre langues étrangères qu’elle maîtrise parfaitement. Cette distance par rapport à la langue arabe n’a jamais influencé son sentiment d’appartenance à l’Egypte. « Mon père était un grand passionné de sport. Il y voyait un moyen d’améliorer la condition de l’homme sur les plans physique et social. Notre chauffeur, Sambo, était un boxeur, Loutfiya Al-Nadi était la première femme pilote en Egypte, grâce au soutien de mon père. Ce dernier a aidé plusieurs sportifs à battre des records mondiaux, tel Farid Semeika, qui était classé troisième en plongée. L’hymne national était joué et le drapeau égyptien était levé partout. On en était fier », dit-elle.

58 ans déjà depuis la Révolution, et la princesse demeure étonnée. « Je n’arrive pas à comprendre jusqu’à nos jours comment la Révolution a réussi à rendre le peuple égyptien si haineux à l’égard de la famille royale ? Du jour au lendemain, nous sommes devenus des voleurs ».

En 1961, Névine Abbass Halim a décidé de quitter l’Egypte pour la Suisse. Une destination de prédilection pour la plupart de la famille royale au lendemain de la Révolution. La Raison ? « Bien sûr certains ont réussi à ouvrir des comptes en banque là-bas et transférer leurs capitaux. Mais ce n’était pas mon cas », répond-elle, souriante et en toute simplicité. Divorcée, sans moyens, souffrant du mépris des gens, il fallait absolument partir. C’était la seule issue. « Heureusement, je n’étais pas mariée à un prince, sinon on aurait été tous les deux à la rue », lance-t-elle. Et d’ajouter : « Mon ex-mari était un riche propriétaire terrien. C’est lui qui m’a payé le billet pour la Suisse ».

Sa nouvelle vie était loin d’être paisible. Elle a dû travailler comme secrétaire dans une entreprise privée et accepter de vivre pendant six mois dans une chambre de bonne. « Ce n’était pas le moment de faire la princesse. Une princesse qui ne trouve pas à manger, ça sert à quoi ? ». Le sourire ne la quitte jamais, même en racontant les événements les plus cruels de sa vie. « J’aurai 80 ans le mois prochain. J’ai vécu autant d’années malgré tout. Je me suis rendu compte que le temps a passé juste l’an dernier », dit-elle.

Elle a sans doute une forte personnalité. « Je l’ai héritée de ma mère. Je me suis toujours dit à quoi cela sert de ne pas être courageuse ? De pleurer jour et nuit ? Il faut l’être pour continuer à vivre », dit-elle. Elle se tait pendant un moment et reprend : « Un haut fonctionnaire à l’ambassade britannique du Caire a déclaré un jour que la famille royale a réagi avec dignité face à la Révolution. Cela m’a étonnée : qu’est-ce qu’il voulait qu’on fasse ? Se jeter par la fenêtre ? ».

Joviale comme un enfant, pensive comme une sage, elle n’hésite pas à exprimer son dérangement vis-à-vis des questions posées par quelques-uns, du genre : Comment passiez-vous votre temps au palais royal ? Etait-ce comme les films en noir et blanc ? Vous buviez de l’alcool et dansiez tout le temps ? « C’est vrai que je fais partie de la famille royale, mais quand même le roi c’est le roi. Personne ne pouvait l’approcher ni s’introduire dans le palais sans invitation. Je suis allée au palais royal deux fois ma vie durant : la première pour assister au mariage du roi Farouk avec la reine Farida, et la deuxième lors de son mariage avec Narimane ». Elle ajoute : « Dans notre maison, on faisait surtout des fêtes de charité ».

L’Egypte d’aujourd’hui n’est plus son Egypte. « L’Egypte d’aujourd’hui souffre de problèmes horribles, avec en tête la surpopulation. Je pense qu’autrefois, le pays était beaucoup plus beau ». Pourtant, elle est toujours habitée par l’amour du pays, malgré le temps et les incidents fâcheux. « J’ai toujours voulu être ici, en Egypte. La Suisse a été un endroit sympathique, mais l’Egypte c’est mon pays », affirme-t-elle. Pourquoi alors ne pas s’y installer pour tout de bon, surtout que sous Sadate, l’image de la famille royale a connu une certaine réhabilitation ? « Parce que j’ai dû travailler pour gagner mon pain, et c’était très difficile à l’époque de trouver un travail en Egypte ». Elle raconte que le fils d’une amie lui a conseillé de demander la nationalité suisse pour avoir une vie plus facile, en devenant citoyenne à part entière : « On m’avait demandé de choisir entre les deux nationalités : suisse et égyptienne. Car à l’époque, on ne pouvait pas garder les deux nationalités en même temps. Alors, j’ai renoncé à être suisse et je suis restée égyptienne ». Titulaire aujourd’hui de deux passeports, égyptien et suisse, la princesse vit entre Alexandrie et Lausanne.

Dans son ancien palais à Schutz, entre Bakous et Janaklis, à Alexandrie, où son père avait résidé après la Révolution, elle passe quelques jours de vacances, cultivant son jardin. « Officiellement, je ne possède pas ce palais, puisqu’il a été confisqué après la Révolution, mais on a permis à mon père d’y résider, et selon la loi, je peux m’y installer de mon vivant. Mais après mon décès, l’Etat le récupérera ». Elle a l’air d’en souffrir. Les conséquences de la Révolution, elle les subit encore. « Imaginez que tous les bâtiments du quartier sont reliés au réseau de gaz, sauf le mien. Car je dois avoir l’autorisation de la municipalité », précise la princesse, non sans chagrin, ajoutant : « Autour de moi, tout a changé ; Schutz est aujourd’hui étoffé de grands immeubles. A côté du palais, un immeuble de 11 étages me donne l’impression qu’il va me tomber dessus ».

Elle se remémore toujours l’image de leur maison — et pas un palais — à Garden City, au Caire, qu’elle décrit minutieusement dans son autobiographie. « J’ai rêvé pendant des années de notre maison à Garden City. Dans ce rêve, on découvre que tout ce qui s’est passé n’était qu’une erreur, et à la fin, on y revient comme si de rien n’était », dit-elle.

Lamiaa Al-Sadaty

 

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Jalons

30 juin 1930 : Naissance à Alexandrie.

1951-1952 : Etude de sociologie à l’Université américaine du Caire.

1952 : Mariage avec Salah Al-Orabi.

1958 : Divorce.

1961 : Départ pour la Suisse.

1968 : Premier retour au Caire.

2009 : Publication de son autobiographie en anglais (édition Zeitouna).

 

 




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