Entre
fantaisie et humour, entre un diable et un homme,
Raafat Al-Mihi,
qui est également réalisateur de cinéma et scénariste,
tisse un tableau dans son roman Al-Gamila hatman towafeq (la
belle doit certes acquiescer) où l’action et l’image se
confondent avec le texte littéraire.
La
deuxième défaite du diable
(…) Il
demeura la tête entre les mains, fixant le sol, dans la même
position. Ici, les choses prenaient fin, le bonheur
fleurissait et le nuage du grand-père jetait son ombre sur
tous. Ce beau jeune homme, où se plaçait-il par rapport à
son père qui lui avait tourné le dos, simplement parce qu’il
avait décidé de partir ? Il remarqua le rideau qui se
trouvait à sa gauche, le paon était entré (ou était sorti)
par ici. Il n’était pas aussi beau que quand il l’avait vu.
Il remarqua un point noir sur le devant de la tête et ses
couleurs n’étaient plus celles d’un arc-en-ciel, elles
avaient beaucoup terni. Son cœur se serra. Etait-ce elle,
cette mère revenue et retrouvée par le fils sur son tombeau
? Elle l’avait suivi jusqu’à la maison. Ressentait-elle à ce
point de l’angoisse au sujet de Némat-Allah ? Etait-elle en
colère parce qu’il préférait la belle et que la colère lui
avait fait perdre la beauté de ses plumes et l’élégance de
ses gestes ? Il considérait à ce point sa manière d’agir tel
un péché ? Il voulait se défendre jusqu’au dernier souffle :
— J’ai
vu la Belle et j’ai été épris d’elle ! La passion est un
jugement que le pauvre mortel ne peut réfuter ! Pourquoi
étais-tu partie chez Némat-Allah alors que tu savais que mon
cœur était attaché à la Belle dès l’instant où son visage
apparut derrière le rideau épais ! J’ai été élevé dans une
demeure que tissaient souffrance et tristesse, je ne
supportais plus la tristesse et je rêvais de la compagnie du
bonheur. Puis, Némat-Allah était mariée et était dans
l’attente de son mari. Comment désirais-tu que je désobéisse
au commandement de Dieu ?
Le paon
sursauta et ses jambes devinrent de plus en plus longues, il
apparaissait différent. Il remarqua que le paon avait perdu
toutes ses couleurs et les minarets et les églises qui
scintillaient au fond de ses yeux qui étaient devenus
ovales. Ses ongles s’allongèrent. Le jeune homme se leva et
sentit qu’il se trouvait devant quelque chose de différent.
— Tu ne
peux être la femme qui a tissé ces dessins ! Tu ne peux être
l’épouse de l’homme qui a vaincu le diable !
Le paon
se transforma à nouveau et ses plumes se métamorphosèrent en
pointes aiguës qui brillaient comme le feraient des dents de
fer. Ses ongles ressemblèrent à ceux des rapaces. De sa
gueule sortirent une flamme bleue et un son proche de celui
du cobra.
— C’est
impossible ! La laideur ne peut jamais créer de beau !
La voix
se transforma en des paroles maudites :— Et pourtant, elle,
c’est moi !
— Non,
Tu n’es pas elle !
— Baisse
la voix … Un seul coup de mon bec et ton cœur sera ravagé
avant que quiconque des habitants de cette demeure ne
t’entende !
— Maudit
!
— Maudit
! Je vivais seul ici, acceptant la souffrance du jugement de
Dieu parce que j’avais simplement refusé de m’agenouiller
devant une poignée de boue. J’ai accepté d’accompagner les
renards et les serpents et de me nourrir de la chair des
rats. J’ai accepté, afin que Dieu prenne conscience que sa
boue ne vaut pas toute cette précaution et cette
miséricorde. Puis vint cet homme pour me combattre jour
après jour. Un nouveau défi de Dieu. Il lui octroya la
force, afin qu’il me fasse essuyer une défaite tous les
jours et qu’il s’accapare d’un lopin de terre de mon monde
où l’eau jaillit et la terre se couvre de la couleur verte
qui m’est détestable. Il fit que les rats s’enfuient et que
je sois affamé, que les renards et les serpents courent pour
me délaisser tout seul alors que nous vivions ensemble … Je
ne trouvais plus ce qui me ferait survivre, sois mon
compagnon, afin que je lui donne une leçon dans la manière
de flouer l’homme et de lui asséner une morsure. Lorsqu’il
bâtit des murailles, j’attendis qu’il meure. Et lorsque je
ne pus accéder à son tombeau, car il n’avait pas perdu de
ses forces, j’attendis encore une autre année et me posai
sur le tombeau de sa femme qui s’était affaiblie par la
maladie de la nostalgie qu’elle avait pour son mari.
J’habitais au-dessus de son tombeau sous les dehors et les
couleurs d’un paon dont je déteste la couleur alors que cet
imbécile d’homme apprécie. Le fils me vit et pensa que
c’était elle. Le nuage avait dormi et ne le prévint pas.
C’est moi qui ai privé Némat-Allah de son mari, et c’est moi
qui me dresse face au mariage de la Laide.
— La
Laide ?!
— En
quoi une poignée de boue peut-elle revêtir de la beauté,
imbécile ! Demain, cette poignée de boue va se fendre et se
remplir de crevasses, et de sa bouche ressortira une odeur
nauséabonde ! As-tu senti ton haleine, le matin ? …
Nauséabonde ! As-tu senti tes restes ? Nauséabonds ! T’es-tu
assis près d’un tombeau la nuit de l’enterrement de son
propriétaire alors que son odeur s’exhale de la poussière ?!
Nauséabonde ! Mon seul péché est que j’ai planté en vous, de
derrière le dos de Dieu, la dignité. Maintenant, vous me
faites la guerre avec ce que j’ai planté de mes propres
mains. Il m’arrive de penser que Dieu voyait ce que je
plantais et m’avait laissé faire pour que vous deveniez la
source de ma souffrance ! Mais voici que je déclare ma
victoire. Il faut que la demeure et la terre redeviennent
ruines !
— Je ne
te permettrai pas ! Je te combattrai comme l’avait fait le
grand-père ! Le paon, ou celui qui avait été un paon, se mit
à rire. Il se précipita ensuite tel un éclair dans la
direction du jeune homme qui se jeta dans le bateau qui
l’emmena au loin alors que le paon se cognait au mur de
derrière.
— Tu dis
que tu veux me vaincre comme l’avait fait le maudit ! Sors
donc vers l’espace où je me battais contre lui !
Aujourd’hui, c’est mon jour à moi ! Il n’y a ni murs, ni
bateaux et la lumière verte est cachée à cause de
l’obscurité !
Le jeune
homme, au cœur rempli de colère, sauta hors du bateau. Il
sortit sans remarquer la femme aux cheveux dénoués alors
qu’elle s’était redressée et qu’elle le regardait avec pitié
en le priant de ne pas sortir. Le diable ne peut pas
s’emparer de ce monde parfait ! La perfection mérite qu’on
la défende ! Il était parti 20 années vers la couleur jaune
dans le but de rassembler des billets de banques, alors
pourquoi ne pas perdre sa vie pour la beauté ?
Dans la
cour qui se trouvait devant la demeure ouverte, là où les
lumières des lanternes venant de l’intérieur de la demeure
se recoupaient avec l’obscurité ambiante qui se recoupait à
son tour avec la clarté de la lune, ils décidèrent de se
battre. Le jeune homme enleva ses vêtements comme le faisait
le grand-père (c’était ce que lui avait raconté le père) et
prit une lame de fer et se mit à attaquer le paon qui
pouffait de rire et se protégeait contre ces coups en
l’attaquant et en laissant des tâches de sang sur sa
poitrine. Le jeune homme ne ressentit rien, la souffrance
l’évita. Leurs souffles montaient … ! Ils s’engueulaient …
Chacun face à l’autre … Le paon frappait la poitrine du côté
du cœur et le jeune homme ne ressentait pas la douleur ! Il
cherchait son chemin vers le cou du diable. Enfin, il prit
le paon qui essayait de s’évader de ses bras entourant sa
tête couverte de sable ! Il culbutait entre les tiges de
maïs alors que les lames du paon arrachaient les racines
pour tomber au sol alors que les cris montaient ! Le jeune
homme tenait la vésicule du paon alors que le corps du paon
s’étirait pour se transformer en un gigantesque géant,
presqu’aussi énorme que la demeure ! Le jeune homme
apparaissait infiniment petit tel un verset de Coran
accroché à la poitrine du paon et qui était sur le point de
l’étouffer. Sans savoir comment, le jeune homme se trouva
projeter au loin dans les airs et le géant se trouva enfin
libéré. Soudain, le nuage qui était au-dessus de la demeure
bougea, et dans un événement qui était hors de saison, des
lames de glace s’abattirent sur le géant. Il essaya d’élever
la tête vers les cieux pour les éviter, mais ses pieds
glissèrent sur le sol transformé en une grande mare de boue.
Il tomba sur son postérieur alors que les lames de glace ne
s’arrêtaient pas. Le jeune homme essaya d’arriver à sa
vésicule à nouveau. Le jeune homme devenait de plus en plus
fort alors que le diable qui avait cessé d’être un paon
était martelé par les lames de glace et entouré de boue. A
chaque fois qu’il essayait de faire pénétrer ses pics dans
le jeune homme, il était empêché par les couteaux qui lui
tombaient sur le corps. Le jeune homme sauta à nouveau
au-dessus de lui en répétant :
— Je ne
te permettrai pas d’étendre ta puissance sur le monde de
perfection … Cela fait 20 ans que je suis à sa recherche et
lorsque je le trouve, tu veux le détruire !
— Tu ne
l’habiteras pas !
— Je
l’habiterai !
— Tu
n’épouseras pas la Laide !
— Je me
marierai à la Belle, et la danse de mon mariage se fera ici
au-dessus de ta dépouille !
—
Nauséabond ! Nauséabond ! Nauséabond !
Il
répétait cela avec haine et désespoir, et sa voix couvrit la
terre entière. Puis soudain, une flamme de feu sortit de sa
bouche comme si elle venait de l’enfer. Elle brûla les tiges
de maïs avoisinantes et toucha les mains du jeune homme.
Elle bondit en une longue ligne entre les plantations vertes
puis s’en alla au loin. Le jeune homme ne trouva entre ses
mains que le corps d’un oiseau qui était mort depuis 1 000
ans. Il se mit à frapper durement des pieds les os de
l’oiseau en maudissant tous ceux qui voulaient s’en prendre
à la perfection ! Il tomba ensuite alors que le sang
saignait de sa poitrine et de ses bras.
Traduction de Soheir Fahmi