Alfred Dan Moussa,
président international de l’Union internationale de la
Presse Francophone (UPF), s’exprime sur les missions, les
ambitions et les objectifs de cette organisation qui, avec
plus de 3 000 membres dans 110 pays et régions du monde,
célèbre cette année ses 60 ans.
«
Nous menons campagne pour qu’un journaliste ne se retrouve
pas en prison »
Al-ahram
Hebdo : Comment percevez-vous votre mission en tant que
successeur d’Hervé Bourges, également ancien président de
Radio France Internationale (RFI) ?
Alfred
Dan Moussa :
C’est en effet en 2007 que j’ai succédé à M. Hervé Bourges,
qui est un grand homme de médias et à réputation
internationale. Je tiens ici à lui rendre hommage non
seulement de ma modeste part, mais aussi de la part des
professionnels qui se reconnaissent comme tels. Il m’a fallu
donc prendre pleine possession de mes responsabilités,
approcher les uns et les autres à travers une lettre
circulaire que j’ai pensé nécessaire d’envoyer tous les mois
aux différentes sections de l’Union. Pour moi, cela était
important non seulement parce que je venais d’être porté à
la présidence internationale de l’UPF mais aussi parce que
j’ai réalisé qu’il fallait donner un signal régulier,
c’est-à-dire tous les mois, à tous les membres, de façon à
ce que chacun et chacune se rappelle qu’il a des engagements
vis-à-vis de cette Union et que tous, nous devions
travailler à la conforter, à faire en sorte qu’elle soit au
rendez-vous des organisations professionnelles
internationales et qu’elle puisse tirer son épingle du jeu.
Cette lettre circulaire s’appelle « Trait d’union » parce
que justement, il faut créer entre les membres un trait
d’union. Ensuite, je me suis imposé un calendrier de travail
traduit en actes. Je veux ici prendre un exemple qui
pourrait suffire à voir la dimension des autres projets, et
qui est de numériser le fonds documentaire de l’UFP. Car je
pense qu’il est temps pour ses 60 ans, et à l’heure du
numérique, que tous les documents physiques du siège
puissent être accessibles au plus grand nombre. Cela fait
partie des projets pour lesquels je cherche avec les vice-présidents
internationaux et les autres personnes de bonne volonté, un
financement pour traduire en réalité ce projet.
— L’UPF
est reconnue auprès d’organisations internationales comme
l’OIF et l’Onu. Quelles actions concrètes mène-t-elle auprès
de ces organismes ?
— L’UPF
n’a pas d’action particulière à mener vis-à-vis des
organisations internationales. Ce qu’elle fait, c’est de
s’occuper des journalistes, de leur donner rendez-vous
chaque année, comme elle réussit à le faire à travers les
Assises internationales de l’UPF, pour que chaque
professionnel de l’information se rappelle que c’est un
métier qui se renouvelle d’une année à l’autre et si les uns
ont la chance de se former dans des écoles de formations
professionnelles, d’autres après des diplômes universitaires
atterrissent directement dans les rédactions. Ceux-là ont
besoin d’être aidés, d’être soutenus. Certains ont des
expériences éditoriales réussies, d’autres des expériences
qui ont échoué, mais ces échanges entre ces différentes
expériences devraient pouvoir être des moments de
renforcement de capacités. Je pense que les Assises
internationales sont un appel fort qui est lancé aux
rédactions, aux journalistes, aux confrères et aux consœurs.
Et je voudrais féliciter le bureau international, le comité
international et le secrétaire général qui ont ensemble
redoublé d’efforts pour créer, en l’espace de six mois, deux
Assises internationales. En novembre 2009, nous étions à
Yaoundé au Cameroun et 6 mois plus tard, nous nous
retrouvons au mois de juin 2010 au Maroc, à Rabat. Je pense
que c’est ce genre d’initiatives dont nous avons besoin pour
ramener dans la maison commune tous ceux d’entre nous qui
doutent encore de l’efficacité de notre Union. Elle est
d’ailleurs rejointe par un certain nombre d’organisations
comme le Comité de protection des journalistes qui a une
dimension internationale, la Fédération internationale des
journalistes, Reporters sans frontières et l’Association
mondiale des journaux. Alors l’UPF n’est plus seule, il faut
qu’elle le sache, qu’elle s’en rende compte en posant des
actes forts pour renforcer sa position de leader, de plus
vieille association francophone.
— L’UPF
peut-elle vraiment atteindre ses objectifs sans un
rapprochement ou même simplement des échanges avec les
organisations de la presse anglo-saxonne ?
— L’UPF
entretient des relations diverses avec tout ce qui peut
exister dans ce secteur comme organisations, parce que,
après tout, nous avons en commun non seulement de faire le
même métier avec les mêmes règles mais aussi une
préoccupation et des principes chers des journalistes qui
sont tout le temps en difficulté dans telle région ou telle
autre au moment même où ils s’en vont collecter
l’information pour le plus grand bien du public. A partir de
ce moment-là, les organisations professionnelles, qu’elles
soient francophones ou anglo-saxonnes, ne peuvent pas
s’ignorer. D’ailleurs, elles se connaissent, se fréquentent
et sont aux côtés de tous les journalistes quelles que
soient leur origine ou leur nationalité, qui rencontrent des
difficultés dans l’exercice de leur métier.
— De
nombreux pays, et certains sont membres de l’Organisation
internationale de la Francophonie, exercent des peines
privatives de liberté. Comment luttez-vous contre cela?
— L’UPF
a à cœur de mener ce combat depuis une dizaine d’années, en
saisissant le sommet des chefs d’Etat francophones pour
qu’il en fasse sa préoccupation, mais l’Union va aussi de
pays en pays pour expliquer le bien-fondé de la
dépénalisation des délits de presse. L’emprisonnement d’un
journaliste s’apparente à l’emprisonnement pour délit
d’opinion. Or, nul ne peut emprisonner un journaliste pour
délit d’opinion. Je pense que les Etats qui sont signataires
de la Déclaration universelle des droits de l’homme doivent
s’abstenir d’emprisonner un journaliste pour délit
d’opinion. Même lorsqu’il s’agit de délits de presse, nous
menons campagne pour qu’un journaliste ne se retrouve pas en
prison. Un Etat ne peut avoir un ministère des Affaires
étrangères pour s’occuper de son image et en même temps se
surprendre à emprisonner les journalistes. La sanction des
rédactions et des journalistes doit être le fait des
instances d’autorégulation qui sont des instances mises en
place par les journalistes, qui eux-mêmes savent comment
balayer devant leur porte. Nous avons nos arguments pour
assainir notre profession, alors que les pouvoirs politiques
et les pouvoirs publics fassent confiance aux journalistes
et à leurs organisations professionnelles.
— Mais
une telle mission nécessite aussi que les journalistes
reçoivent une formation adéquate. Pourquoi l’UPF ne
prend-elle pas des mesures dans ce sens ?
— Mais
l’UPF est elle-même une école qui dispense des formations
intenses et de courtes durées. Les Assises que l’UPF
organise sont des espaces de renforcement de capacités.
Lorsqu’un thème comme celui de la responsabilité sociétale
et politique des médias est à l’ordre du jour des 42es
Assises au Maroc en juin 2010, l’UPF fait intervenir des
journalistes chevronnés pour interpréter et expliquer le
thème et après 3-4 jours de débats, un journaliste revient
dans sa rédaction plus fort et plus édifié qu’il ne l’était
avant de venir aux Assises. L’Union est aussi préoccupée par
le fait que le public même qui assiste à ces Assises a
besoin d’être éduqué aux médias.
— Après
les 41es Assises de Yaoundé en 2009, quelles avancées
observez-vous sur le thème de la liberté et de la
responsabilité des journalistes ?
— Comme
je l’ai dit, à partir du moment où ces Assises sont des
espaces de renforcement des capacités, chacun en part avec
des idées. Lorsque vous êtes un responsable d’organisation
professionnelle, que vous retrouvez vos pairs avec lesquels
vous partagez les mêmes préoccupations, vous leur faites
part de ce que vous avez vécu. Les organisations
professionnelles deviennent de cette façon plus fortes, se
nourrissent des idées qui ont été défendues au cours des
Assises. Les journalistes qui y participent se rendent donc
compte que la question de la liberté de la presse est un
débat qui n’est jamais épuisé, que pour mieux revendiquer la
liberté de la presse, il faut soi-même être irréprochable,
il faut rester collé aux règles du métier pour être en très
bonne position de revendiquer cette liberté et pour ne pas
être pris à défaut dans l’exercice de son métier. Les
journalistes comprennent l’appel que l’UPF leur lance à
l’occasion de ces rencontres périodiques organisées d’un
pays à un autre.
— Mais
malgré cela, la crise économique actuelle et les
restrictions budgétaires qu’elle provoque de toutes parts,
n’est-elle pas un danger pour l’existence de la presse
francophone ?
— Les
rédactions n’ont pas à avoir peur de la crise. La notion de
crise est, à mes yeux, permanente et il ne faut pas partir
battus car dans ce cas, on ne fera rien pour renforcer nos
entreprises. Nous devons nous armer d’imagination,
d’initiatives et faire un travail propre qui accroche le
public qui veut nous lire, nous écouter, nous regarder.
Donc, il faut lui proposer un produit qui soit digeste. Donc
les crises sont des appels qui sont lancés pour imaginer un
contenu éditorial qui accroche. C’est important, on ne doit
pas démissionner au nom de la crise. Au contraire, les
crises doivent être là pour réveiller notre attention. Car
le public, lui, attend toujours de savoir. Et nous devons
répondre à cette attente par obligation morale. C’est vrai
qu’il y a de la concurrence et de la compétition entre les
médias, mais à un moment donné, nous devons nous souvenir de
ces impératifs.
—
Au-delà du défi posé par la crise économique, quel est votre
objectif le plus cher ?
— Mon
souci est de faire de l’UPF une Union où la gestion, où le
mode de fonctionnement, est un souci pour chacun et chacune.
Nous pourrons ainsi affronter le cœur vaillant les
difficultés qui pourraient se présenter à nous, et nous
n’avons pas le droit de faillir. Toutes les organisations
qui naissent, pour certaines, n’arrivent pas à traverser les
20, 30 ou 40 ans. L’UPF a réussi à atteindre 60 ans et
s’achemine donc allègrement vers ses 100 ans. Cela doit être
des motivations assez fortes pour nous permettre de penser
et repenser l’UPF. C’est un devoir pour moi et je me bats
pour qu’il en soit ainsi et pour qu’au rendez-vous des
organisations professionnelles des médias, l’UPF n’ait pas
honte.
Taïmour Hubert