Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Le beau à l’épreuve de la réalité
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 19 au 25 mai 2010, numéro 819

 

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Nulle part ailleurs

Education. Musiciens ou danseurs, ce sont des élèves comme les autres, sauf qu’ils doivent jongler entre deux programmes, celui de l’éducation nationale et celui de l’Académie des arts. Leur rêve : devenir artistes.

Le beau à l’épreuve de la réalité

Les esprits sont chahuteurs, les petites têtes gigotent comme des chèvres impatientes. Le chorégraphe attend plusieurs minutes avant que l’attention se fixe pour commencer. « Mettez-vous deux par deux et que chaque fille choisisse rapidement son partenaire », dit monsieur Essam. Les danseurs ont entre 9 et 11 ans et sortent à peine de l’enfance. Ces petits bouts d’hommes et de femmes se placent l’un à côté de l’autre devant la barre qui s’étend parallèlement aux murs tapissés de miroirs. Les pieds posés dans ce qu’ils appellent la première position, ils ont les yeux fixés sur leur professeur. Ils tentent de se maintenir en équilibre avant d’exécuter le mouvement. Au signal du professeur, les petits rats commencent à danser au rythme d’une musique de piano. Le stress commence à monter. Ils savent qu’il n’est pas question de basculer en avant ou de se tromper en faisant un faux pas, sinon ils risquent d’échouer ou d’avoir de mauvaises notes. En fait, cette scène fait partie de l’examen de cinquième primaire de l’institut du ballet dépendant de l’Académie des arts, située au quartier d’Al-Haram. Un examen qui teste leur résistance physique et leur capacité artistique et qui décidera si ces danseurs peuvent continuer et passer à un autre grade. Une responsabilité énorme qui tracera sans doute leur avenir … C’est donc à eux de montrer leurs qualités de danseurs, mais aussi leur sens de la musique, du travail, du rythme, de la chorégraphie et de la discipline. Et pour ces gosses, la pression est énorme et la compétition est rude. Certains se fixent toutefois des défis plus personnels. « Tout commence par un rêve. Quand j’ai commencé, à 9 ans, mon rêve était de danser avec des pointes. Ce sera pour l’an prochain, car il faut avoir les orteils solides pour y arriver, et ce sera le début de mouvements plus compliqués. Beaucoup de techniques, de levers de jambe, surtout d’équilibre. Et toujours recommencer, toujours corriger, toujours améliorer », dit Héba, en tutu blanc, les cheveux coiffés en chignon. C’est avant huit ou neuf ans qu’il est dangereux pour les élèves d’essayer de danser avec des pointes ou d’exécuter certains pas de danse ou de réchauffement. Cela ne doit se faire que graduellement.

A cette phase, les enfants sont donc invités à s’inscrire plutôt à des cours de danse pour débutants, c’est ce qu’on appelle la danse créative ou le préballet. Après le rêve, c’est la discipline. Ces jeunes danseurs qui rêvent d’évoluer jusqu’à la scène doivent apprendre à dépasser le stade de l’émotion. « Apprendre la danse est beaucoup plus spontané que d’apprendre les sciences et d’autres matières. Nos ancêtres dansaient, et cela s’est perpétué d’une génération à l’autre. Mais ici, à l’Académie, les enfants doivent apprendre que la danse est aussi une formation. La différence entre danser dans sa chambre et danser en classe, c’est qu’il faut répéter 1 000 fois le même mouvement pour qu’il soit parfait », explique le chorégraphe Mahmoud Salaheddine. Et d’ajouter : « Ceux qui persistent doivent alors se plier à une certaine rigueur et exécuter un grand nombre de pas précis qui font partie du répertoire classique du ballet et dont le raffinement des gestes n’a pas beaucoup à voir avec les mouvements de la vie quotidienne. Le danseur est un athlète qui doit rajouter de l’expression à ce qu’il fait. Danser, c’est comme jouer des notes avec notre corps. Le danseur doit être très attentif à son corps, c’est son seul instrument ». A la fin de l’examen et avant de sortir, monsieur Mahmoud évoque l’incessant discours : « Un danseur ne doit pas s’arrêter de danser. Un muscle se perd en huit jours : il faut deux mois pour le fortifier de nouveau. Le danseur ne peut se permettre que de courtes pauses ». Un discours venu à temps, puisque Mahmoud sait très bien que ses élèves doivent arrêter pour le moment leurs exercices de ballet pour se consacrer à la révision théorique de leurs leçons.

Double vie d’écolier et d’artiste

En effet, ces enfants mènent un quotidien très rude et doivent se soumettre à des règles de vie bien strictes : danse, chorégraphie, mime ou éducation musicale de 8h jusqu’à 11h, puis à midi commencent les cours de l’éducation nationale jusqu’à 15h.

Outre les performances de danse et l’évolution du corps, les résultats scolaires font également l’objet d’une évaluation en fin d’année. Des heures d’efforts en permanence, peu d’espace pour les divertissements, tel est leur quotidien. Au moment des examens de fin d’année, la tension atteint son paroxysme. Les parents sont mobilisés et les jeunes ne savent plus où donner de la tête avec les cours particuliers. Plusieurs élèves mentionnent que leur double vie d’écoliers et de danseurs les fatigue.

« Après une longue journée partagée entre les cours de danse et l’apprentissage scolaire, je rentre complètement épuisée. Cependant, je dois réviser mes leçons d’arabe, de maths et de sciences, mais aussi les notes de solfège. Sans oublier l’entraînement qui dure au moins une ou deux heures par jour pour perfectionner mes pas de danse. Si l’on néglige les entraînements, la reprise devient rude, car les hanches sont rigides et la souplesse n’est plus évidente », confirme Yasmine, 14 ans, en 2e année préparatoire et énormément habitée par sa passion de la danse classique. Pour elle, il ne s’agit pas seulement de danser pour danser, mais pour exprimer ses sentiments de joie ou de tristesse.

Un travail éreintant pour ces élèves qui rallient enseignement officiel du ministère de l’Education et celui de l’Institut de ballet. Jusqu’à l’an 2004, l’Institut de ballet offrait un programme d’enseignement plus allégé. Mais depuis, le ministère de l’Education a imposé un programme plus chargé comprenant toutes les matières du bac. Chose étrange et inacceptable aussi bien pour les élèves que pour les parents. « Pourquoi accabler nos enfants avec de tels programmes alors que nous les avons inscrits à l’Académie des arts pour devenir des artistes professionnels ? A quoi va leur servir d’apprendre ces matières et d’obtenir un haut pourcentage au bac alors que leur rêve est simple : passer d’un grade à l’autre au sein de l’Académie. Il serait plus sage de revenir au programme simplifié qui convient à leur rythme de vie », se plaint Hassan, père de deux filles en 1re secondaire au Conservatoire, tout en ajoutant qu’après avoir découvert que ses deux filles étaient douées pour la musique, il n’a pas hésité à les inscrire au Conservatoire, dépendant de l’Académie des arts. « Au départ, je n’ai pas songé au professionnalisme, je voulais seulement développer les talents de mes filles. De plus, j’ai été encouragé par les programmes appliqués par l’Académie, c’était pour moi une manière d’échapper au monstre sanawiya amma (le bac). Aujourd’hui, mes filles sont tiraillées entre les cours pratiques et les leçons particulières de chimie, géométrie, etc. ».

Cependant, Dr Sameh Mahrane, directeur de l’Académie des arts, pense qu’il n’existe aucune contradiction entre le programme de l’éducation nationale et celui de l’Académie, puisque l’élève gagne confiance en lui-même et progresse véritablement dans un climat serein et éducatif. « Notre intérêt est d’offrir une pédagogie de haute qualité orientée non seulement dans le développement physique et artistique, mais aussi culturel de l’enfant. De la petite enfance aux jeunes adultes, chaque étudiant bénéficie d’un apprentissage précis, de la technique et du style étudiés et reçoit une attention particulière de la part du corps professoral. Et pour de meilleurs résultats, on doit naturellement ajouter l’éducation », explique Dr Sameh.

Et d’ajouter : « Entre le comportement amateur et le comportement professionnel, il n’y a qu’un pas : l’éducation ! Et l’éducation jumelée à la qualité du travail mène automatiquement à un bon résultat. Par exemple, un danseur éduqué est celui qui comprend ce qu’il fait, celui qui travaille dur, alors que d’autres abandonnent ».

Autre scène, autre image

Dès que l’on pénètre dans la salle de concert, notre regard se porte vers une immense scène, sur laquelle, aux pieds des fauteuils du premier rang, sont posés une vingtaine d’instruments à corde : des flûtes, des contrebasses ainsi que des violons et leur archet, en ordre parfait, qui attendent les petites mains symphoniques qui vont leur donner vie.

Ces petits musiciens âgés de 15 et 17 ans vont, après ces quelques mois de travail harassant mais salutaire, exprimer leur joie et montrer leur savoir devant une salle comble, composée de professeurs et d’enseignants.

Concert, audition, démonstration, résultat d’une autre pédagogie. Un rassemblement dont le noyau est l’Institut de la musique arabe. C’est là que l’oreille se substitue à la vue. D’ailleurs, à chaque cours d’instruments, un temps est consacré à la lecture de notes et de rythmes. Les élèves ont un cahier de solfège et une méthode de théorie, avec une progression pédagogique adaptée à leur niveau et à leur âge. Le but est de permettre à l’élève de devenir autonome et de déchiffrer des partitions. Aujourd’hui, ces jeunes y ont mis beaucoup de cœur et d’efforts pour être à la hauteur de l’orchestre et ne pas rater les morceaux. « C’est bien de jouer tous ensemble. La musique nous fait oublier les soucis et on ne pense qu’à une chose, réussir », confie Chérif Tareq, 16 ans, en 2e secondaire. Accompagné de son sextuor, il serre son violon, le regarde avec passion. La rencontre de l’archet et des cordes de son violon engendre des mélodies superbes. Son rêve est de devenir professeur à l’Institut. Mais pour le réaliser, il lui faut y réussir avec mention et au bac avec un pourcentage de 60 %. « Mon frère m’a conseillé de suivre mes études à l’Institut de musique arabe afin de fuir les hauts pourcentages du bac exigés dans les facultés. Il m’a toujours encouragé et conseillé. Il me demande souvent de rester calme et ne pas avoir les nerfs tendus. Des conseils utiles qui m’ont beaucoup servi ces jours-ci, surtout en période d’examens », conclut-il, tout en se précipitant pour se rendre à ses cours particuliers et se préparer à l’examen du bac.

Chahinaz Gheith

 




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