Femmes.
Les filles de Louqsor viennent de créer une équipe de foot, défiant ainsi
tous les tabous d’une société conservatrice. Elles ont leur
propre style et malgré leurs moyens modestes, leurs rêves
sont sans limites.
Footballeuses version saïdi
«
J’ai choisi le football pour prouver à moi-même et aux
garçons prétentieux qui veulent nous dominer qu’il n’y a pas
de différence entre garçons et filles et que ces dernières
peuvent tout faire, même pratiquer ce sport dit masculin »,
lance avec détermination Marwa, gardienne de but de l’équipe
féminine de football à Louqsor en Haute-Egypte. Cette équipe,
composée de jeunes filles dont l’âge ne dépasse pas les 16
ans, est la benjamine des formations de foot féminin en
Egypte. Depuis la fondation de la Fédération de foot féminin
en 1996, plusieurs équipes sont nées dans différents
gouvernerats. Mais lorsqu’on mentionne le Sud (Al-Saïd), une
région où les coutumes et traditions sont bien ancrées et
résistent à tous les changements, les choses paraissent
différentes. Là, à comparer avec d’autres régions du pays,
les femmes doivent lutter durement pour acquérir le minimum
de leurs droits ou même de leur épanouissement. Et une
équipe de foot au féminin n’est pas une chose qui passe
inaperçue. Et donc, les réactions sont tout à fait
imprévisibles. Dès le premier regard, on remarque que ces
jeunes filles sont singulières. Elles portent toutes des
survêtements, pantalons très larges avec vestes à manches
longues, en plus du voile qui cache leurs cheveux et une
partie de leurs visages. Des joueuses version Haute-Egypte …
Cependant, il ne faut pas beaucoup de temps pour constater
que ces filles veulent prouver que le voile n’est pas une
entrave au progrès, qu’elles sont à la hauteur de la
responsabilité et qu’elles peuvent égaler les hommes. Et
c’est ce qu’elles démontrent à travers leur équipe, fondée
il y a à peine quelques mois.
Abou-Treika, Mohamad Zidane,
Essam Al-Hadari, tous les noms des joueurs de l’équipe
nationale du foot se répètent tout le temps dans le stade du
club Al-Madina al-monawara à Louqsor. Des sobriquets que les
joueuses ont choisis, chacune selon sa position. « Elles
sont très fières lorsqu’on les appelle ainsi, surtout en
constatant que le foot et ses joueurs sont de plus en plus
idolâtrés », dit Ali Ossmane, homme d’affaires, père d’une
joueuse et actuellement responsable de la formation
technique de l’équipe.
Un entraînement avec l’esprit volontaire
Dans le stade, ou plutôt un
jardin avec deux cages à chaque extrémité, les filles
entament la séance d’entraînement qui paraît bien épuisante
mais qui illustre leur détermination. Les entraîneurs hommes
ne sont pas encore fixes, un des parents qui possède du
talent, un professeur de gym qui travaille avec elles un peu,
puis les quitte pour être remplacé par un autre, mais c’est
surtout Emtessal qui les encadre régulièrement et ne les
laisse jamais tomber. Vêtue d’une djellaba, elle encourage
les filles à accomplir leurs exercices d’échauffement, fait
un tour de piste avec elles mais péniblement à cause de son
âge et de son poids, puis elle revêt son survêtement pour
entraîner les joueuses sur le terrain. C’est elle qui
transmet les instructions données par les entraîneurs hommes
qui parfois ne s’adressent pas directement aux joueuses car
elles sont timides. Dribbler comme les professionnels,
empêcher le ballon d’entrer dans la cage, faire passer le
ballon d’une joueuse à l’autre. Le stade est bien animé. Les
filles voilées et en survêtements, chacune à son poste,
s’entraînent sérieusement. Lorsque l’une d’elles a trop
chaud, elle retire sa veste mais reste en tee-shirt à
manches longues. « Nous sommes habituées à porter tous ces
vêtements, même lorsque la chaleur est torride », dit Imane,
ailier droit et surnommée Zidane. En fait, lorsque ces
filles se sont lancées dans ce sport, elles n’ont jamais
songé à porter un short ou à retirer leur voile. « J’ignore
la loi de la FIFA à propos de l’accoutrement, mais on a
l’intention de s’imposer, de prouver nos compétences en
matière de football. L’accoutrement, c’est secondaire », dit
Soha, butteuse surnommée Ahmad Chawqi.
Sous le contrôle de la famille
L’entraînement
dure trois heures, interrompu parfois par quelques
plaisanteries, ou sonneries de téléphones portables. Des
parents qui veulent savoir ce que font leurs filles
assistant à l’entraînement. En effet, l’une de leurs
conditions pour accepter que leurs filles rejoignent cette
équipe était de pouvoir les suivre à n’importe quel moment.
Des appels téléphoniques en permanence aux filles et aux
entraîneurs, ainsi que des visites surprises sont des faits
ordinaires à chaque entraînement qui a lieu trois fois par
semaine.
Selon Hoda Khalil,
responsable de l’équipe et qui sert de coordinatrice entre
les responsables du gouvernorat et l’équipe, ce groupe est
l’un des résultats du plan de développement que le
gouverneur a prévu lorsque cette ville a été baptisée
gouvernorat. « Ce responsable voulait que le projet de
développement touche non seulement les infrastructures mais
aussi les gens. Je n’ai donc pas hésité à lui proposer de
créer une équipe de foot féminin, une idée qui trottait dans
ma tête depuis longtemps », dit Hoda, très convaincue que
c’est le meilleur moyen de montrer l’évolution que vit la
Haute-Egypte et notamment en ce qui concerne les conditions
de la femme. Et si Hoda a eu cette idée de projet et l’a
transformée en réalité, derrière ce projet se cachaient une
passion et un rêve d’enfance. Emtessal, professeur de sport
dans une école de filles, est une fan de football.
Emtessal la militante
« Je n’osais même pas
avouer cette passion que j’avais pour le foot. On vit dans
une société conservatrice qui permet seulement aux hommes de
jouer ou suivre les match de foot », dit Emtessal.
20 ans après la première
Coupe du monde de foot féminin, organisée par le FIFA, et 15
ans après la fondation de la Fédération égyptienne de foot
féminin, Emtessal a pu enfin réaliser son rêve. Elle joue
non seulement au foot, mais entraîne aussi cette équipe. En
fait, elle représente sa cheville ouvrière. Elle leur fait
faire des exercices d’assouplissement, les entraîne au jeu,
mais aussi, et c’est le plus important, elle arrive à
convaincre les parents à envoyer leurs filles au club. «
Tant que abla Emtessal les encadre, on est tranquille »,
répètent les parents qui se sont tous mis d’accord pour
faire confiance à ce professeur de gym qui connaît toutes
les filles et leurs parents. « On la respecte énormément et
on ne peut que lui faire confiance. Avec elle on est rassuré
», dit un père. Ce dernier, comme la plupart des parents, a
été scandalisé lorsque la direction de l’école a annoncé la
création d’une équipe de foot féminin. Pourtant, les jeunes
filles se sont lancées pour s’inscrire, voulant s’essayer
dans un domaine qui leur est interdit d’accès. Selon le
gardien de but Marwa, surnommée Essam Al-Hadari, si les
filles sont devenues avocates et médecins comme les garçons,
alors elles peuvent aussi jouer au foot et elles doivent
prouver qu’elles en sont capables. Estival affirme que les
filles de Louqsor ont toujours pratiqué d’autres sports
comme le karaté et le kung-fu pour se défendre en cas de
danger. Mais il a fallu un peu plus de temps pour convaincre
leurs parents pour le foot. Après des négociations avec la
direction, et surtout avec Emtessal, ils ont accepté de
donner l’occasion à leurs filles de jouer ce sport à
condition de les retirer si quelque chose ne leur plaît pas.
De jour en jour, les
parents constatent les progrès réalisés par cette équipe et
dont les habitants en parlent fièrement. Le niveau de
popularité de ce jeu en Egypte atteint le sommet de sa
gloire, ce qui a facilité l’annonce de la fondation d’une
équipe de foot féminin. Cela a dû sûrement avoir une
influence sur la décision des parents.
« On est conservateurs
comme la majorité des Egyptiens, surtout les habitants de la
Haute-Egypte, mais on n’est pas complètement fermés, car
notre ville est singulière. On est en contact direct et
permanent avec les touristes », dit Abdel-Rahmane, père
d’une joueuse, qui refuse d’être taxé de conservateur parce
qu’il a beaucoup hésité avant d’accepter que sa fille fasse
partie de cette équipe.
En effet, ce sport n’est
pas bien accueilli par tout le monde. Et cela se voit
clairement, lorsque loin des parents, des jeunes, très
curieux, viennent découvrir ce que font ces filles sur le
terrain et lancent à voix basse des moqueries du genre : il
faut peindre le stade en rose ou remplacer le ballon en cuir
par un ballon plus coloré. Sans compter les fatwas qui se
sont opposées à l’idée sous prétexte que les spectateurs
vont remplir le stade pour admirer les filles et non pas le
jeu. Une réflexion prévisible surtout qu’après toutes ces
années, le foot féminin n’a pas eu cette popularité même
dans les grandes villes, comme Le Caire et Alexandrie.
« On a l’intention de
briser un autre tabou dans notre société et réaliser de bons
résultats », s’expriment les joueuses de la Haute-Egypte qui
meurent d’envie de jouer face à de grandes équipes, telles
que Barcelone et Manchester United.
Malgré les conditions
modestes, le manque d’entraîneurs et le maigre budget, ces
adolescentes ne possèdent pour réaliser leur rêve que leur
enthousiasme et leur détermination.
Hanaa
Al-Mékkawi