Patrimoine.
Une récente découverte en France vient de révéler que le
fard des anciens Egyptiens, en plus de son caractère
esthétique, avait des vertus thérapeutiques jusqu’ici peu
connues. Retour sur la valeur religieuse, symbolique et
amoureuse des yeux.
Les
yeux « parlants » de l’Egyptienne
L’Egypte
des pharaons fait toujours parler d’elle même. Elle n’est
pas ancienne, elle reste contemporaine. Non seulement par
ses trésors et ses mystères, mais aussi par des questions
qui peuvent intéresser le quotidien. A titre d’exemple, une
récente révélation faite en France et qui paraît bien
passionnante : le maquillage des yeux de l’ancienne Egypte,
outre son effet esthétique, avait des vertus médicinales, ce
que viennent d’élucider des chimistes français. Et d’ajouter,
selon l’AFP qui a donné l’information : « Les anciens
Egyptiens utilisaient souvent, il y a 4 000 ans, un soupçon
de plomb afin de concevoir des fards pour embellir le
regard, dont les médecins grecs et romains soulignaient les
vertus pour les yeux. De nos jours, le plomb est davantage
connu pour sa toxicité potentielle, et cet usage cosmétique
surprend ». Mais voilà que ce sont nos ancêtres qui avaient
raison. Ainsi, l’équipe scientifique coordonnée par
Christian Amatore, regroupant des chercheurs du CNRS, de
l’Université Pierre et Marie Curie (Paris) et de l’Ecole
normale supérieure, en collaboration avec le Centre de
recherche et de restauration des musées de France (CNRS/ministère
de la Culture), ont évalué l’impact de très faibles
quantités de plomb sur une cellule de la peau. Résultat : à
très faibles doses, le plomb ne tue pas la cellule. Il
induit la production dans l’organisme d’une molécule, le
monoxyde d’azote, connue pour activer le système immunitaire.
L’application de ces fards à base de plomb peut donc
déclencher un mécanisme de défense qui, en cas d’infection
des yeux, limite la prolifération des bactéries, selon ces
travaux qui viennent d’être publiés en ligne dans la revue
spécialisée Analytical Chemistry du 15 janvier. Pour la
démonstration, les chercheurs se sont servis de la
laurionite, un chlorure de plomb qui figure parmi les sels
synthétisés par les anciens Egyptiens, pour observer son
action sur une cellule isolée de la peau à l’aide d’un outil
miniature électrochimique moderne, les ultramicroélectrodes.
Ce dispositif permet d’analyser des signaux très faibles
produits par une seule cellule .Après avoir déposé de très
faibles quantités de solution de laurionite sur la cellule
de peau, ils ont observé la surproduction de quelques
dizaines de milliers de molécules de monoxyde d’azote (NO).
Ce dernier intervient là comme messager du système
immunitaire. Il stimule l’arrivée de cellules-pivot du
système immunitaire, les macrophages. Ces nettoyeurs de
l’organisme sont, en effet, capables d’ingérer bactéries
vivantes et déchets divers.
Ainsi,
au lieu d’être toxiques, ces faibles teneurs en plomb des
fards égyptiens protégeaient les yeux contre des infections
bactériennes. Un peu technique mais compréhensible, cette
explication des scientifiques nous mène à une constatation :
oui, les anciens Egyptiens s’y connaissaient bien en
certains aspects scientifiques, mais aussi en beauté.
Le
rituel esthétique
Et
les yeux avaient tout un sens en ce qui concerne les
attraits féminins. C’est ce que disent historiens et
spécialistes et démontrent les différentes images et scènes
des bas-reliefs et papyrus. L’apparence était un élément
essentiel en Egypte ancienne et la couleur avait un rôle
particulièrement important, car elle était considérée comme
un être vivant : le terme « youn » signifiait à la fois «
couleur » et « caractère » d’un être humain, souligne une
spécialiste, Annie Mollard-Desfour. Elle rappelle que « tous
les Egyptiens se maquillaient : hommes, femmes, enfants de
toutes classes sociales et fonctions ... et l’analyse
chimique des fards égyptiens retrouvés dans les monuments
funéraires a prouvé que ceux-ci possédaient déjà une
véritable maîtrise de la cosmétique ». Et surtout de
démontrer que le maquillage consistait, surtout, à mettre
les yeux en valeur, ce que faisaient déjà les Egyptiens il y
a 4 000 ans. Le maquillage égyptien était raffiné : les
formes (traits ou ombrages), les matières (mates ou
scintillantes) et les couleurs étaient différentes selon les
époques. Source d’embellissement, il avait aussi une valeur
thérapeutique, et les fards, dès l’Ancien Empire, étaient de
véritables soins pour les yeux et la peau. La palette des
fards de l’Egypte antique a été diversement colorée mais
toujours chargée d’une forte symbolique : le vert et le noir
ont été les bases successives du maquillage. Le noir est
traduit par le terme mesdemet qui aurait comme origine
l’expression « rendre les yeux parlants, expressifs » (de
mistim ou stim : qui rend les yeux parlants).
Au
commencement était Kemet
Voire le
terme « cosmétique » viendrait ainsi par le grec ancien du
nom désignant la terre noire des bords du Nil (kemet), qui a
été le nom donné à l’Egypte par les Egyptiens, que lorsque
Horus, dans son combat contre Seth, a perdu un œil, il
aurait inventé les fards et autres pour compenser cette
perte. Et dans cette épopée si passionnante, quasiment un
texte fondateur, Horus le fils a voulu récupérer cet œil,
une façon de récupérer, symboliquement, le pouvoir royal
ravi par Seth. Et toute une symbolique s’est développée
ainsi qui fait que la couleur des yeux révèle le plus
profond de l’être humain. Pour Horus, en l’occurrence, les
yeux sont de couleur lapis, donc d’un bleu très foncé,
symbole d’un important pouvoir de régénération. Dans le
papyrus Ebers, on retrouve des incantations qui étaient
parfois récitées et faisant des fards une sorte de symbole
de la personne, de ses qualités et de sa beauté surtout : «
Viens, malachite ! Viens, la verte ! Viens écoulement de
l’œil d’Horus ! Viens rejet de l’œil d’Atoum ! Viens
sécrétion sortie d’Osiris ! ... », des expressions qui
s’ajoutent dans le même texte aux vertus médicales de
certains fards. « Remède pour soigner la vue : galène, ocre
rouge, plante, partie mâle de la galène. Le tout sera
préparé en une masse homogène et appliquée sur les yeux. Un
contexte religieux », soulignent les spécialistes, qui a
vraisemblablement conduit les Egyptiens à travailler le
contenu des fards pour en faire une véritable médecine.
D’ailleurs, les prêtres attachés au culte de Douaou,
divinité vénérée sous l’Ancien Empire, exerçaient aussi le
métier d’ophtalmologiste !
En fait,
chez les Egyptiens, la beauté, tout en étant une chose de la
vie, était bien rattachée aux croyances religieuses. Ainsi,
les couleurs vues comme symboles adhéraient tant au rituel
culturel que ceux du charme que les jolies égyptiennes
véhiculaient. Les égyptologues comptent plus de 160 recettes
de beauté, et dans les tombes, on trouvait parfois tout un
attirail : pots à onguents, peignes, huiles, khôl dans des
tubes de roseau et miroir de bronze poli.
Amour et
littérature
Les
plus beaux textes d’amour évoquaient les yeux et leur charme
quasiment sorcier, comme dans ce papyrus Cheaster Beatty : «
Du haut de ses dix-sept ans, elle s’affichait comme la femme
la plus convoitée du royaume d’Egypte. (avec) Ses
magnifiques yeux verts toujours.
Et ce
chant,
L’unique,
la bien-aimée, la sans-pareille,
La plus
belle du monde,
Regarde-la;
semblable à l’étoile brillante de l’an nouveau,
Au seuil
d’une belle année.
Celle
dont brille la grâce, dont la peau rayonne,
A des
yeux au regard clair,
Et les
lèvres au doux parler
Des yeux
symboles de beauté, d’amour, de divinité, les
représentations de l’Egypte ancienne et les valeurs poétique,
esthétique et symbolique des yeux fardés ont traversé le
temps, surtout en Egypte et ailleurs en Orient. Le khôl, né
en Egypte ancienne, est resté comme l’emblème du mystère et
de la beauté féminine. Les orientalistes l’ont bien aimé
dans leurs voyages de passion et de découvertes. C’est du
charbon très finement moulu, contenant des traces
d’antimoine. « Les élégantes composaient les rosés de leur
teint à l’aide d’un vermillon habilement nuancé ; le khôl
d’Egypte servait à faire ressortir l’éclat des yeux, la
pierre ponce calcinée, à blanchir les dents. (Emile Jonveaux,
Curiosités de la toilette, La recherche de la beauté, dans
Musée des familles : lectures du soir).
Et
l’écrivaine égyptienne francophone Out Al-Kouloub, à la vie
faite de passion et soumise aux terribles vicissitudes des
avatars politiques des années 1940 et 1950 qui retrace : «
Elle dérobait du khôl à sa mère pour s’en noircir les cils
et donner à ses yeux agrandis la longueur du regard des
gazelles », (Zariffa, dans Trois contes de l’Amour et de la
Mort, 1940).
Ahmed
Loutfi