Al-Ahram Hebdo, Voyages | Les yeux « parlants » de l’Egyptienne
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 Semaine du 27 janvier au 2 février 2010, numéro 803

 

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Patrimoine. Une récente découverte en France vient de révéler que le fard des anciens Egyptiens, en plus de son caractère esthétique, avait des vertus thérapeutiques jusqu’ici peu connues. Retour sur la valeur religieuse, symbolique et amoureuse des yeux.

Les yeux « parlants » de l’Egyptienne

L’Egypte des pharaons fait toujours parler d’elle même. Elle n’est pas ancienne, elle reste contemporaine. Non seulement par ses trésors et ses mystères, mais aussi par des questions qui peuvent intéresser le quotidien. A titre d’exemple, une récente révélation faite en France et qui paraît bien passionnante : le maquillage des yeux de l’ancienne Egypte, outre son effet esthétique, avait des vertus médicinales, ce que viennent d’élucider des chimistes français. Et d’ajouter, selon l’AFP qui a donné l’information : « Les anciens Egyptiens utilisaient souvent, il y a 4 000 ans, un soupçon de plomb afin de concevoir des fards pour embellir le regard, dont les médecins grecs et romains soulignaient les vertus pour les yeux. De nos jours, le plomb est davantage connu pour sa toxicité potentielle, et cet usage cosmétique surprend ». Mais voilà que ce sont nos ancêtres qui avaient raison. Ainsi, l’équipe scientifique coordonnée par Christian Amatore, regroupant des chercheurs du CNRS, de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris) et de l’Ecole normale supérieure, en collaboration avec le Centre de recherche et de restauration des musées de France (CNRS/ministère de la Culture), ont évalué l’impact de très faibles quantités de plomb sur une cellule de la peau. Résultat : à très faibles doses, le plomb ne tue pas la cellule. Il induit la production dans l’organisme d’une molécule, le monoxyde d’azote, connue pour activer le système immunitaire. L’application de ces fards à base de plomb peut donc déclencher un mécanisme de défense qui, en cas d’infection des yeux, limite la prolifération des bactéries, selon ces travaux qui viennent d’être publiés en ligne dans la revue spécialisée Analytical Chemistry du 15 janvier. Pour la démonstration, les chercheurs se sont servis de la laurionite, un chlorure de plomb qui figure parmi les sels synthétisés par les anciens Egyptiens, pour observer son action sur une cellule isolée de la peau à l’aide d’un outil miniature électrochimique moderne, les ultramicroélectrodes. Ce dispositif permet d’analyser des signaux très faibles produits par une seule cellule .Après avoir déposé de très faibles quantités de solution de laurionite sur la cellule de peau, ils ont observé la surproduction de quelques dizaines de milliers de molécules de monoxyde d’azote (NO). Ce dernier intervient là comme messager du système immunitaire. Il stimule l’arrivée de cellules-pivot du système immunitaire, les macrophages. Ces nettoyeurs de l’organisme sont, en effet, capables d’ingérer bactéries vivantes et déchets divers.

Ainsi, au lieu d’être toxiques, ces faibles teneurs en plomb des fards égyptiens protégeaient les yeux contre des infections bactériennes. Un peu technique mais compréhensible, cette explication des scientifiques nous mène à une constatation : oui, les anciens Egyptiens s’y connaissaient bien en certains aspects scientifiques, mais aussi en beauté.

Le rituel esthétique

Et les yeux avaient tout un sens en ce qui concerne les attraits féminins. C’est ce que disent historiens et spécialistes et démontrent les différentes images et scènes des bas-reliefs et papyrus. L’apparence était un élément essentiel en Egypte ancienne et la couleur avait un rôle particulièrement important, car elle était considérée comme un être vivant : le terme « youn » signifiait à la fois « couleur » et « caractère » d’un être humain, souligne une spécialiste, Annie Mollard-Desfour. Elle rappelle que « tous les Egyptiens se maquillaient : hommes, femmes, enfants de toutes classes sociales et fonctions ... et l’analyse chimique des fards égyptiens retrouvés dans les monuments funéraires a prouvé que ceux-ci possédaient déjà une véritable maîtrise de la cosmétique ». Et surtout de démontrer que le maquillage consistait, surtout, à mettre les yeux en valeur, ce que faisaient déjà les Egyptiens il y a 4 000 ans. Le maquillage égyptien était raffiné : les formes (traits ou ombrages), les matières (mates ou scintillantes) et les couleurs étaient différentes selon les époques. Source d’embellissement, il avait aussi une valeur thérapeutique, et les fards, dès l’Ancien Empire, étaient de véritables soins pour les yeux et la peau. La palette des fards de l’Egypte antique a été diversement colorée mais toujours chargée d’une forte symbolique : le vert et le noir ont été les bases successives du maquillage. Le noir est traduit par le terme mesdemet qui aurait comme origine l’expression « rendre les yeux parlants, expressifs » (de mistim ou stim : qui rend les yeux parlants).

Au commencement était Kemet

Voire le terme « cosmétique » viendrait ainsi par le grec ancien du nom désignant la terre noire des bords du Nil (kemet), qui a été le nom donné à l’Egypte par les Egyptiens, que lorsque Horus, dans son combat contre Seth, a perdu un œil, il aurait inventé les fards et autres pour compenser cette perte. Et dans cette épopée si passionnante, quasiment un texte fondateur, Horus le fils a voulu récupérer cet œil, une façon de récupérer, symboliquement, le pouvoir royal ravi par Seth. Et toute une symbolique s’est développée ainsi qui fait que la couleur des yeux révèle le plus profond de l’être humain. Pour Horus, en l’occurrence, les yeux sont de couleur lapis, donc d’un bleu très foncé, symbole d’un important pouvoir de régénération. Dans le papyrus Ebers, on retrouve des incantations qui étaient parfois récitées et faisant des fards une sorte de symbole de la personne, de ses qualités et de sa beauté surtout : « Viens, malachite ! Viens, la verte ! Viens écoulement de l’œil d’Horus ! Viens rejet de l’œil d’Atoum ! Viens sécrétion sortie d’Osiris ! ... », des expressions qui s’ajoutent dans le même texte aux vertus médicales de certains fards. « Remède pour soigner la vue : galène, ocre rouge, plante, partie mâle de la galène. Le tout sera préparé en une masse homogène et appliquée sur les yeux. Un contexte religieux », soulignent les spécialistes, qui a vraisemblablement conduit les Egyptiens à travailler le contenu des fards pour en faire une véritable médecine. D’ailleurs, les prêtres attachés au culte de Douaou, divinité vénérée sous l’Ancien Empire, exerçaient aussi le métier d’ophtalmologiste !

En fait, chez les Egyptiens, la beauté, tout en étant une chose de la vie, était bien rattachée aux croyances religieuses. Ainsi, les couleurs vues comme symboles adhéraient tant au rituel culturel que ceux du charme que les jolies égyptiennes véhiculaient. Les égyptologues comptent plus de 160 recettes de beauté, et dans les tombes, on trouvait parfois tout un attirail : pots à onguents, peignes, huiles, khôl dans des tubes de roseau et miroir de bronze poli.

Amour et littérature

Les plus beaux textes d’amour évoquaient les yeux et leur charme quasiment sorcier, comme dans ce papyrus Cheaster Beatty : « Du haut de ses dix-sept ans, elle s’affichait comme la femme la plus convoitée du royaume d’Egypte. (avec) Ses magnifiques yeux verts toujours.

Et ce chant,

L’unique, la bien-aimée, la sans-pareille,

La plus belle du monde,

Regarde-la; semblable à l’étoile brillante de l’an nouveau,

Au seuil d’une belle année.

Celle dont brille la grâce, dont la peau rayonne,

A des yeux au regard clair,

Et les lèvres au doux parler

Des yeux symboles de beauté, d’amour, de divinité, les représentations de l’Egypte ancienne et les valeurs poétique, esthétique et symbolique des yeux fardés ont traversé le temps, surtout en Egypte et ailleurs en Orient. Le khôl, né en Egypte ancienne, est resté comme l’emblème du mystère et de la beauté féminine. Les orientalistes l’ont bien aimé dans leurs voyages de passion et de découvertes. C’est du charbon très finement moulu, contenant des traces d’antimoine. « Les élégantes composaient les rosés de leur teint à l’aide d’un vermillon habilement nuancé ; le khôl d’Egypte servait à faire ressortir l’éclat des yeux, la pierre ponce calcinée, à blanchir les dents. (Emile Jonveaux, Curiosités de la toilette, La recherche de la beauté, dans Musée des familles : lectures du soir).

Et l’écrivaine égyptienne francophone Out Al-Kouloub, à la vie faite de passion et soumise aux terribles vicissitudes des avatars politiques des années 1940 et 1950 qui retrace : « Elle dérobait du khôl à sa mère pour s’en noircir les cils et donner à ses yeux agrandis la longueur du regard des gazelles », (Zariffa, dans Trois contes de l’Amour et de la Mort, 1940).

Ahmed Loutfi

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