Femmes.
Des taxis de couleur rose pour femmes et conduits par des
femmes vont bientôt circuler dans les rues du Caire. L’idée,
à peine lancée, fait des émules.
Sous la
casquette de la protection
«
Compagnie de taxis recherche jeunes femmes diplômées
universitaires maîtrisant l’anglais et possédant un permis
de conduire pour poste de chauffeur de taxi. Salaire
attrayant ». Inès, qui est tombée sur cette annonce publiée
dans le journal, a décidé de se présenter ; pourtant, elle
n’a jamais entendu parler de chauffeurs de taxis femmes en
Egypte.
Aujourd’hui et après
quelques mois d’exercice, Inès (35 ans) ne regrette pas son
choix. Mariée et ayant deux enfants à sa charge, cette
dernière a dû convaincre sa petite famille. La mission n’a
pas été aisée.
« Comment les gens vont-ils
admettre l’idée de voir une femme au volant d’un taxi ? »,
la question que lui a posée son mari, pas du tout réjoui de
la décision de sa femme, sans oublier le refus de la famille.
Mais Inès a tenu tête à tout le monde.
Même si Inès a réussi à
convaincre ses parents et son mari, ce n’était pas le cas
avec ses voisines. « Elles font tout pour m’éviter », lance
madame la chauffeur.
En Egypte, la société n’est
pas habituée à voir les femmes travailler dans le secteur
des transports en commun. D’autant plus qu’on devient de
plus en plus sensible à tout sujet concernant la femme,
créature à l’origine de tous les maux. Les femmes aspirent à
plus de liberté dans un environnement hostile.
Sa collègue qui a choisi le
pseudonyme de Amal confie n’avoir pas eu le même courage.
Chez elle, personne ne sait qu’elle exerce le métier de
chauffeur de taxi. Elle a la peur au ventre à chaque fois
qu’elle circule dans les rues de la ville, craignant de
croiser une connaissance ou un proche parent.
« Je n’éprouve aucune honte
à exercer ce métier mais je préfère le cacher jusqu’à ce que
la société s’habitue à cette nouveauté », dit Amal, qui
désire par ce métier améliorer son revenu.
Et même si les avis
divergent, cinq femmes tentent en ce moment cette expérience.
C’est le premier groupe à s’être présenté à la direction de
la circulation afin d’extraire un permis de conduire
professionnel.
Emad, le responsable de la
Compagnie du Taxi de la Capitale (CTA), initiatrice du
projet, voit les choses du côté des usagères : « Les femmes
méritent d’être plus chouchoutées et mieux protégées ».
L’idée en fait est venue
lorsque les responsables du projet du Taxi de la capitale,
lancé il y a quelques années et recevant les commandes par
téléphone, ont constaté que 60 % de leurs clients étaient
des femmes. Celles-ci préfèrent se trouver dans un taxi
qu’elles ont commandé au lieu d’attendre dans la rue les
vieux taxis noir et blanc.
Offrir à la femme un moyen
de transport confortable et sûr où elle peut se sentir tout
à fait à l’aise, enlever chez elle ce sentiment d’angoisse
qu’on a souvent envers les chauffeurs hommes, tel est
l’enjeu de ce nouveau projet.
En effet, ce sont les
femmes, les jeunes filles, les enfants, les familles et les
touristes arabes des pays du Golfe qui sont les catégories
les plus ciblées par ce projet.
Et d’après un responsable
dans le centre d’appel, à peine le projet lancé, les appels
ne cessent de parvenir de la part de clientes pour commander
un taxi pour femmes et féliciter la compagnie pour cette
nouvelle initiative.
Aujourd’hui, certains
voient dans cette idée la solution miracle qui va protéger
les femmes, surtout avec la hausse du taux de harcèlement
dont sont victimes les femmes. La mauvaise réputation des
chauffeurs de taxis hommes y est aussi pour beaucoup. Afifi,
père de trois filles, confie n’avoir jamais laissé l’une de
ses filles prendre un taxi seule, même pas avec ses sœurs.
Aujourd’hui, ses filles trouvent dans ce taxi pour femmes
une aubaine, puisque chacune d’elle est autorisée à le
prendre seule. « J’ai l’esprit tranquille depuis l’existence
de ces taxis femmes. Avec un taux de crimes en
recrudescence, il était temps de prendre une telle
initiative », dit Afifi.
La rage des féministes
Mais ce n’est pas seulement
la sécurité de la passagère qui est prise en compte. Le côté
religieux a aussi son mot à dire dans l’histoire. Le fait de
laisser une femme toute seule dans un véhicule avec un
chauffeur homme est considéré comme une khelwa, à savoir un
homme et une femme seuls dans un endroit clos.
Salama, ingénieur,
considère que dans un pays qui suit la charia islamique, il
a fallu impérativement séparer les femmes des hommes dans
les moyens de transport, surtout dans les taxis où une femme
voyage seule avec un homme.
Scandalisées, les
activistes dans le domaine de la femme voient les choses
autrement. Elles affirment que le simple fait de citer le
mot khelwa dans le contexte de moyens de transport est une
exagération et un terme mal placé. Fardos Al-Bahnassi,
activiste, pense qu’il s’agit là d’un retour en arrière, à
l’époque du harem. « Un tel projet risque de confiner les
femmes, d’autant plus que ces dernières sont victimes depuis
des années de toutes sortes de discrimination qui leur sont
imposées par le courant conservateur », confirme Bahnassi.
Mais l’idée d’avoir des
taxis pour femmes n’est pas nouvelle. Elle a vu le jour dans
d’autres pays de la région tels que le Liban et l’Iran.
Pourtant, la sociologue Azza Korayem pense que le fait
d’isoler les femmes sous prétexte de les protéger n’est pas
sain car on ne fait ainsi qu’élargir le fossé qui existe
déjà entre les deux sexes en oubliant de traiter les vrais
problèmes.
D’après Korayem, toutes les
femmes ne sont pas des anges. Elles aussi sont capables de
commettre des crimes aussi crapuleux que les hommes ...
Pourtant, les défenseurs de
l’idée sont déterminés à mettre en œuvre ce service. D’après
eux, ce n’est pas la première fois que l’on sépare les
hommes des femmes dans les moyens de transport.
Il existe déjà depuis bien
longtemps dans le métro un wagon pour femmes. L’idée ayant
réussi, la proposition de l’appliquer dans les trains et
même les cliniques semble intéresser une grande tranche de
la société.
« Pourquoi tout ce bruit
autour de ce nouveau taxi ? L’expérience est d’ailleurs
appliquée dans d’autres pays du monde comme le Liban, Dubai,
le Koweït, et même dans certaines capitales en Europe comme
Londres où elle a réalisé un grand succès », s’interroge
Emad dont l’entreprise compte mettre 70 véhicules au service
des femmes. Et pour rassurer les clientes, l’entreprise va
interdire aux chauffeurs femmes de circuler dans les zones
lointaines et les bidonvilles. L’entreprise collectera
également tous les renseignements nécessaires sur la
chauffeur.
Et ce, pour garantir le
maximum de sécurité.
Pourtant, d’après
l’écrivain Sékina Fouad, cette situation révèle que la
société est incapable de régler les problèmes de la femme. «
Ce n’est pas en isolant les femmes que l’on réglera leurs
problèmes. Nous avons peut-être besoin d’une nouvelle Hoda
Chaarawi pour donner une impulsion à la cause féminine », se
révolte Fouad.
D’après elle, toutes ces
initiatives sont des indices qui prouvent le degré de recul
culturel et intellectuel qui a frappé la société.
Elle cite en exemple la
façon dont on a tendance à traiter d’autres problèmes plus
cruciaux tels que la grippe aviaire ou porcine. Elle se
demande si un jour on ne verra pas des taxis pour les
chrétiens et d’autres pour les musulmans pour éviter toute
friction.
Sameh, un chauffeur de
taxi, n’est pas du tout réjoui de voir des femmes sous la
même casquette et grignoter son gagne-pain. « Elles ne
pourront pas supporter ce métier pénible », note-t-il.
Un prétexte que trouvent
les hommes pour décourager les femmes voulant se lancer dans
ce métier. « La femme a prouvé qu’elle est capable d’exercer
n’importe quel métier et d’endurer plus de souffrances »,
affirme Sanaa, une des défenseurs de l’idée.
Malgré tout, ces taxis
existent déjà et l’on en verra de plus en plus circuler dans
les rues de la capitale avec ces chauffeurs femmes
conduisant des véhicules peints en rose pour mieux les
distinguer.
Hanaa
Al-Mékkawi