Port-Saïd. De bonnes nouvelles ont été annoncées lors de la dernière visite du président de la République. Le but : faire sortir la ville de l’oubli. Mais le souhait des habitants c’est de voir ces projets réalisés le plus tôt possible. Visite.

Entre l’euphorie et le doute

Maintenir le régime de la zone franche jusqu’en 2012, transformer la ville jumelle de Port-Fouad en une cité historique, transformer l’Université du Canal de Suez à Port-Saïd en une université indépendante, sans compter la création d’une ville annexe qui portera le nom de « Porto Moubarak », la construction d’un hôpital militaire moderne, d’un complexe de pétrochimie, d’une usine de prêt-à-porter et le lancement d’une série de projets de développement ayant pour objectif d’enrayer les bidonvilles. Des promesses, quasiment féeriques, qui ont rassuré, c’est le moins que l’on puisse dire. Ils devraient être plutôt euphoriques, les Port-Saïdis, avec toutes ces perspectives. De plus, elles ne viennent pas de n’importe qui : c’est une série de décisions annoncées par le président Moubarak lors de sa dernière visite dans cette ville portuaire avec la promesse de voir ces projets réalisés dans les mois à venir.

Des hommes d’affaires, des investisseurs ainsi que des dirigeants politiques étaient présents ce jour-là pour accueillir le chef d’Etat. Ils devraient donc s’y mettre pour concrétiser ces promesses.

De toute façon, et en attendant, c’est la satisfaction générale dans la ville. Les rues de Port-Saïd ressemblent à une belle mariée qui se prépare pour ses nuits de noces. Les youyous fusent et une joie indescriptible règne dans le quartier commercial. Nous sommes dans la rue Al-Hamidi, spécialisée dans la vente des tissus et du prêt-à-porter. Ici, les banderoles envahissent les rues et recouvrent les façades des bâtiments. On peut y lire : « Les citoyens de Port-Saïd vous remercient », « Notre gouvernorat va de nouveau revivre », « Vous avez enfin sauvé les habitants de Port-Saïd », « La bonne décision au bon moment » …

Des messages que veulent transmettre les habitants de Port-Saïd au chef de l’Etat. « Ils ont enfin compris que nous sommes des êtres humains et que nous avons des besoins à satisfaire », dit un des commerçants qui possède un grand magasin de prêt-à-porter dans la rue commerçante.

Enfin, le gouvernorat de Port-Saïd figure sur la liste des priorités des responsables. Ces derniers ont tenu compte de la crise économique qui secoue notre ville depuis des années. Somme toute, tous les habitants de la ville ne font pas exception par rapport au reste des Egyptiens. Mais on les considérait, il y a quelques années, comme des privilégiés, leur ville étant une zone franche. « Reste à savoir si ces promesses vont être tenues », s’écrie un jeune diplômé de la faculté de commerce, section anglaise, et titulaire d’un magistère. Ce jeune homme est en chômage depuis plus de sept ans, et la seule solution, pour lui, a été de travailler comme vendeur, le métier exercé par toute sa famille.

Une ville commerçante par excellence

En effet, le discours du président a surpris le citoyen port-saïdi, et la décision de prolonger le système de la zone franche pour 3 ans a réjoui non seulement les commerçants, mais surtout les modestes citoyens. Car une réalité est évidente dans cette ville : les habitants ont pour activité principale le commerce. Et les chiffres le prouvent. D’après les dernières statistiques en 2007, la majorité de la population de Port-Saïd (554 757 habitants ; soit 469 533 habitants au recensement de 1996) ne connaissent d’autres métiers que le commerce. Ils sont commerçants de père en fils. Même les jeunes, une fois leurs études terminées, exercent des activités commerciales ou se lancent dans le prêt-à-porter. 70 % des habitants travaillent dans le commerce, qu’ils soient propriétaires d’usines, de magasins, de petites échoppes ou de simples marchands ambulants.

Nous sommes dans la rue Al-Togari (la rue commerçante), et comme l’indique son nom, il s’agit du centre commercial principal de la ville. Cette artère est bordée de part et d’autre de magasins de prêt-à-porter, et c’est là où un grand nombre de vendeurs de friperie et de vêtements neufs écoulent leurs marchandises. Le long des trottoirs sont exposés des tas de pantalons, pull-overs, robes et manteaux de différents styles. Jadis, c’était pratiquement le seul endroit où l’on pouvait trouver toutes sortes de marchandises importées, à commencer par le chocolat suisse jusqu’aux équipements et appareils électroménagers importés du Japon. Les marchands vendaient des vêtements signés et de grande marque tels Nike, Addidas, Timberland, Reebock et beaucoup d’autres. « Nos bénéfices étaient bien plus importants qu’aujourd’hui », confie un vieux commerçant. Et d’ajouter : « Sans le commerce, nous sommes comme des poissons, une fois sorti de l’eau, on meurt », ajoute-t-il.

Aujourd’hui, tous les habitants de Port-Saïd se posent les mêmes questions : quand est-ce que tous ces projets vont voir le jour ? Quand le Port-Saïdi pourra-t-il récolter le fruit de tous ces projets ? Et quand les habitants pourront-ils en tirer profit ?

Un doute inquiétant

Pourtant, les Port-Saïdis voudraient bien croire à toutes ces déclarations. Quelques jours plus tard, ils ont commencé à douter, craignant que tous ces projets ne tombent à l’eau ou, dans le meilleur des cas, de n’être reportées à une date ultérieure. Leurs doutes sont justifiés puisqu’aucun délai n’a été avancé concernant la date d’exécution de ces projets.

En effet, les habitants de cette ville rencontrent, depuis des années, énormément de problèmes qui entravent leur gagne-pain. La majorité des jeunes diplômés sont en chômage et ne peuvent pas se permettre de s’offrir un logement pour fonder un foyer.

« Je cherche désespérément un appartement qui convient à mes revenus : Je gagne 300 L.E. par mois et il faut verser 15 000 L.E. d’avance, sans compter le payement des traites », se plaint Adel, un jeune. Après 8 ans d’attente, sa fiancée a fini par le quitter à cause de ses problèmes financiers. Ce dernier attend le lancement de la première phase du projet d’habitat Al-Rihab qui va comprendre 912 unités de logement pour en bénéficier.

Les jeunes, des laissés-pour-compte

Moustapha Cherdi, membre du parti Al-Wafd, natif de Port-Saïd, confirme ce taux de chômage qui sévit dans la ville. « Au cours des quatre dernières années, 4 000 demandes d’emploi m’ont été adressées. Selon l’Organisme central de statistique, 91 % des jeunes diplômés sont en chômage. On espère alors que ces projets verront le jour et offriront des emplois à ces jeunes qui sont en chômage depuis des années ».

Et dans le but de calmer les jeunes chômeurs de Port-Saïd, le gouverneur, Moustapha Abdel-Latif, a annoncé que l’Etat prévoyait 2 000 offres d’emploi pour les jeunes au sein du nouveau complexe industriel qui sera inauguré en 2010. Construit sur une superficie de 80 feddans, son coût s’élève à 950 millions de dollars et sa capacité de production sera de 350 000 tonnes par an. « A mon avis, le fait de construire une usine est bien plus rentable que de prolonger le système de la zone franche. Une usine intéresse tout le monde puisqu’elle offre des chances d’emploi, alors que la zone franche n’intéresse qu’une minorité », lance un citoyen en chômage.

Au gré de l’Histoire

D’ailleurs, cette belle ville d’Egypte, fondée en 1859 par la compagnie du Canal de Suez, lors des travaux de percement du canal sous la direction de Ferdinand de Lesseps, a vécu plusieurs tournants importants au cours de son histoire. Pendant les guerres successives de 1956 et 1967, des millions d’habitants avaient fui la ville. Mais après la guerre de 1973, l’ancien président Anouar Al-Sadate a décidé de créer à Port-Saïd une zone franche afin d’attirer les citoyens. Ce dernier a réussi à relancer l’activité économique et résorber le chômage dans cette ville portuaire. Cela a permis aux habitants de Port-Saïd de tirer profit de cet avantage et d’améliorer leurs conditions de vie durant plusieurs décennies.

En effet, c’est depuis 1985 que l’Egypte a commencé à imposer des restrictions sur l’importation. Depuis cette date, et avec la libéralisation progressive de l’économie, les importateurs ont senti que Port-Saïd a perdu sa poule aux œufs d’or. Beaucoup de magasins ont fermé leurs portes et des vendeurs, des ouvriers spécialisés, expérimentés et talentueux sont partis à la recherche d’un horizon plus prospère ailleurs. Un grand nombre de Port-Saïdis ont fini par quitter la ville et fonder des foyers dans d’autres gouvernorats ou sont venus au Caire à la recherche d’un gagne-pain. Certains ont vendu leurs magasins et d’autres se sont contentés de vendre des CD, téléphones portables et autres. Beaucoup de propriétaires de magasins éprouvent du mal à se lancer dans une nouvelle activité alors qu’ils ne connaissent d’autre métier que le commerce. « Comment laisser tomber ce métier, celui de mes grands-parents, pour exercer un autre, à mon âge ? », se demande un propriétaire d’un magasin de vêtements.

Aujourd’hui, tout le monde craint que le même scénario ne se répète. « L’important c’est que ces projets soient réalisables. Nous voulons des plans d’action bien précis pour nous rassurer sur notre avenir et celui de nos enfants. Sinon, dans trois ans, on va se retrouver dans la même crise », lance un employé port-saïdi, dont le salaire ne dépasse pas 700 L.E. par mois. Ce dernier ajoute en se plaignant qu’il existe une grande différence entre les salaires des travailleurs égyptiens et ceux des étrangers qui dépassent parfois 5 000 L.E. Ces derniers travaillent à Port-Saïd et viennent pour partager notre gagne-pain et nous concurrencer dans notre métier hérité de père en fils. Cet état de fait ne permet ni aux ouvriers ni aux employés d’arrondir leur fin de mois.

Une angoisse qui pèse sur les citoyens de cette ville qui ont été soulagés par la décision du président de l’Etat, celle de maintenir le système de la zone franche jusqu’en 2012. « Les marchandises importées ont toujours été exemptes d’impôts et de droits de douane », raconte un antiquaire. « Si l’on va nous imposer des taxes supplémentaires sur nos marchandises, cela voudra dire qu’on ne parviendrait ni à vendre ni à réaliser des bénéfices comme c’était le cas auparavant », s’indigne un propriétaire d’un magasin. Et d’ajouter : « On va importer les produits chers puis on va les revendre, en ajoutant notre marge bénéficiaire. Conséquence : un nombre élevé de citoyens va quitter la ville. C’est ce qui s’est passé jadis ».

D’ailleurs, le citoyen port-saïdi s’est toujours senti marginalisé. Les bidonvilles poussent comme des champignons et la ville manque de beaucoup d’infrastructures.

Les responsables ont enfin décidé de calmer la vague de colère et de protestations qui règne dans la ville et qui touche à la fois les commerçants, les jeunes diplômés et le simple citoyen.

Une ville intégrée

Jusqu’à l’heure actuelle, la ville ne possède ni hôpital moderne, ni aéroport, ni université. Elle se présentait purement et simplement comme un centre commercial. Et voici qu’elle pourrait devenir une ville intégrée.

Pour poursuivre leurs études, la plupart les jeunes sont obligés de quitter la ville pour s’inscrire dans les universités des alentours. Ces jeunes Port-Saïdis dépensent énormément d’argent dans les transports et ont du mal à trouver un appartement où loger. D’où la nécessité de construire une université indépendante à Port-Saïd regroupant toutes les spécialités : pharmacie, droit, médias, arts plastiques ... et autres. « Je n’oublierai jamais le jour où on a décerné un prix d’excellence à un jeune Ismaïli et non pas à un Port-Saïdi », se souvient un jeune qui a fait ses études ailleurs.

Cette université va donner la chance aux jeunes étudiants de trouver des postes convenant à leurs spécialités et pourra également contribuer au développement de la ville, et par la suite, améliorer le niveau de vie des habitants. Quant aux services de santé, la ville en souffre énormément. Des femmes, des enfants et des gens âgés meurent à cause de la négligence du personnel hospitalier et la médiocrité des services.

Aujourd’hui, un plan propose aux habitants de cette ville laissée pour compte de construire un hôpital public, Al-Zohour, au cœur de la ville de Port-Saïd, dont le coût va s’élever à 75 millions de L.E. On projette aussi de construire un hôpital militaire sur une superficie de 5 000 m2, sur 7 étages.

De belles promesses en attendant une aube réelle.

Manar Attiya