Al-Ahram Hebdo, Monde Arabe | Les Somaliens dans le collimateur
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 Semaine du 27 janvier au 2 février 2010, numéro 803

 

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Yémen. Engagées dans une vaste campagne contre le réseau d’Al-Qaëda, les autorités renforcent les mesures de sécurité, dont un contrôle des centaines de milliers de réfugiés somaliens.

Les Somaliens dans le collimateur

Le combat entre le Yémen et le réseau terroriste d’Al-Qaëda a pris une nouvelle dimension après l’annonce faite dimanche par Ossama Bin Laden qui a revendiqué l’attentat manqué sur un avion de ligne américain le jour de Noël et qui a menacé les Etats-Unis de nouvelles attaques s’ils poursuivent leur soutien à Israël. Dans un bref enregistrement audio diffusé par la chaîne qatari Al-Jazeera, le chef d’Al-Qaëda a rendu hommage au « héros » Umar Farouk Abdulmutallab, le jeune Nigérian qui a tenté, il y a près d’un mois, de faire exploser l’avion effectuant un vol entre Amsterdam et Detroit. Selon lui, le message qu’a voulu transmettre le Nigérian est le même que ceux délivrés par « les héros du 11 septembre » 2001, qui ont attaqué les tours jumelles du World Trade Center à New York et le siège du Pentagone à Washington, faisant près de 3 000 morts. « Ce message est que les Etats-Unis ne pourront pas aspirer à la sécurité avant qu’elle ne soit une réalité en Palestine. Il est injuste que vous ayez une vie tranquille alors que nos frères à Gaza vivent dans les pires conditions », a assuré Bin Laden. Il a ajouté, à l’intention des Etats-Unis, que les attaques d’Al-Qaëda les visant se poursuivraient « tant que votre soutien aux Israéliens se poursuivra ».

Réagissant au message du chef d’Al-Qaëda, David Axelrod, le principal conseiller du président américain Barack Obama, a averti : « Nous serons offensifs contre Bin Laden et Al-Qaëda ». De son côté, le centre de surveillance des sites islamistes, IntelCenter, a estimé que le dernier message ressemble à ceux du chef d’Al-Qaëda précédant des attentats et pourrait être le signe d’un attentat « dans les douze prochains mois ».

Le message de Bin Laden intervient à quelques jours d’une réunion internationale sur le Yémen, prévue ce mercredi 27 janvier à Londres. 21 pays, dont les Etats-Unis, se réunissent ainsi afin d’assurer le Yémen de leur soutien dans ses efforts pour contrer la menace d’Al-Qaëda. La « réunion internationale », comme Londres l’a baptisée pour indiquer un niveau inférieur à une « conférence » et a fortiori à un « sommet », ne durera que deux heures, et ne devrait pas déboucher sur des résultats concrets. Le but affiché est de permettre « aux pays amis » du Yémen de l’assurer de leur solidarité dans son combat difficile contre le terrorisme.

La réunion sur le Yémen a été convoquée par le premier ministre britannique Gordon Brown après la tentative d’attentat du 25 décembre dernier. Barack Obama a accusé Al-Qaëda dans la péninsule arabique (AQPA) d’avoir « entraîné » et « équipé » au Yémen le Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab, qui a tenté de faire détoner un explosif à bord de l’avion américain. AQPA a revendiqué l’attentat avorté, tout comme l’a fait dimanche Ossama Bin Laden.

Le Yémen, secoué par une rébellion dans le nord et un mouvement sécessionniste dans le sud, fait figure de sanctuaire pour les extrémistes islamistes. Sa situation économique alimente également les extrémistes : déjà l’une des nations les plus pauvres du monde, le Yémen fait face au déclin de ses réserves pétrolières qui représentent 75 % de ses revenus.

La réunion de Londres portera sur « l’aide à apporter au gouvernement du Yémen afin d’améliorer la sécurité, déraciner Al-Qaëda et promouvoir le développement social et économique », a expliqué une porte-parole du ministère britannique des Affaires étrangères. « Il y a un véritable problème au Yémen », a expliqué dimanche le ministre britannique des Affaires étrangères David Miliband. Seront notamment présents les Etats-Unis — qui pourraient être représentés par la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton — ainsi que l’Union européenne, les pays voisins du Yémen et le Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Sanaa a annoncé qu’il serait représenté par son premier ministre, Ali Mohammad Mujawar, à cette conférence. Il y appellera à un soutien à son pays dans sa lutte contre Al-Qaëda mais aussi contre les rebelles nordistes et les autonomistes sudistes. Le premier ministre britannique Gordon Brown avait souhaité un tel forum peu après la tentative d’Umar Farouk Abdulmutallab de faire sauter l’avion dans lequel il avait pris place, à l’approche de Detroit.

De plus en plus sous la pression des pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, le Yémen est engagé dans une vaste offensive contre Al-Qaëda. Il a annoncé ces derniers jours la suspension de l’octroi de visas d’entrée aux étrangers dans ses aéroports afin d’empêcher une infiltration d’extrémistes dans le pays. « Les visas seront uniquement délivrés dans les ambassades yéménites après consultation avec les responsables de la sécurité pour une vérification de l’identité des voyageurs », a indiqué un responsable militaire non identifié. Cette mesure, « prise dans le cadre des efforts intensifs déployés par notre pays pour lutter contre le terrorisme, vise à prévenir l’infiltration de tout élément terroriste suspect », a-t-il dit, cité par l’édition en ligne du quotidien 26 Septembre publié par le ministère de la Défense. Outre l’aéroport international de Sanaa, le Yémen compte six aéroports accueillant des vols internationaux, dont celui d’Aden (sud). Aucune explication n’a été donnée dans l’immédiat sur les personnes visées par cette mesure, mais jusqu’à présent, les ressortissants de la plupart des pays, notamment occidentaux et arabes, pouvaient obtenir un visa à l’aéroport, une décision destinée à encourager le tourisme.

Les Somaliens sous surveillance

Les autorités yéménites surveillent désormais plus particulièrement les réfugiés somaliens qui se trouvent par centaines de milliers au Yémen, depuis les menaces des djihadistes somaliens de se joindre à Al-Qaëda dans ce pays. Début janvier, l’un des chefs des insurgés islamistes somaliens, les shebab, a annoncé « à nos frères musulmans au Yémen, nous allons traverser la mer (...) et arriver jusqu’à vous pour les aider à combattre les ennemis d’Allah ». Les autorités yéménites n’ont, pour l’instant, fait état d’aucun Somalien repéré, capturé ou tué dans les rangs d’AQPA, mais regardent désormais d’un autre œil les centaines de milliers de réfugiés somaliens installés, pour certains depuis longtemps, sur son sol. « Nous prenons la menace au sérieux, nous avons pris des mesures », a confié Ali Al-Anisi, président du Conseil de sécurité nationale. « Le Yémen est le seul pays à avoir accepté tous les Somaliens. Aujourd’hui, ils sont plus de 800 000. Ils posent des problèmes économiques, sociaux, et maintenant, de sécurité », a-t-il ajouté.

Après avoir, pendant des années, pratiqué une politique de porte ouverte aux Somaliens fuyant leur pays, qui sont présents dans tout le Yémen et survivent souvent de petits boulots, Sanaa leur a donné deux mois pour se faire enregistrer et exerce sur eux une surveillance chaque jour plus stricte. Autour du camp de réfugiés de Kharaz, qui accueille quelque 25 000 Somaliens sur la côte, à l’est d’Aden (sud), des barrages de police ont été mis en place la semaine dernière. Il est désormais interdit aux Somaliens de passer d’un camp à l’autre, de s’installer dans une autre province ou de s’éloigner du camp. A la sortie d’Aden, les policiers font sortir des voitures tous les Somaliens, facilement reconnaissables grâce à leur physique différent de celui des Yéménites, pour des interrogatoires poussés, alors qu’ils ont souvent fui la Somalie pour échapper à l’enrôlement forcé dans les milices shebab. Les adolescents et les jeunes hommes sont désormais soupçonnés d’avoir été envoyés en mission au Yémen.

« Les déclarations des chefs djihadistes somaliens constituent la preuve qu’ils ne se soucient pas du sort des gens, de leur propre peuple », a dit le général Yahia Saleh, chef de l’unité antiterroriste yéménite. « Aujourd’hui, chaque Yéménite va se méfier du Somalien qui lave sa voiture. Et cela va leur rendre la vie plus difficile. Mais ça, Al-Qaëda s’en fiche ! ». Pour l’expert yéménite Saïd Al-Jemhi, auteur d’un livre sur Al-Qaëda dans son pays, il ne fait pas de doute que des shebab sont déjà là. « Ils ne vont pas prendre de bateaux, les remplir d’armes et traverser le détroit de Bab Al-Mandeb, au risque de se faire intercepter », dit-il. « Ils disposent dans les camps d’immenses réservoirs de volontaires potentiels. Et plus leur vie sera difficile ici, plus ils seront faciles à radicaliser ». En revanche, selon le journaliste Abdelelah Shaea, réputé être l’un des journalistes yéménites les mieux informés sur la mouvance djihadiste dans son pays, cet envoi de renforts depuis la Somalie est, avant tout, de la rhétorique. « D’abord, dans l’idéologie du djihad, il faut aller aider ses frères menacés partout dans le monde, dit-il, Ensuite, dans la mythologie islamiste, le Yémen est un pays à part. Ils croient que c’est de là que doit partir un jour l’armée qui libérera la Palestine et la Grande Mosquée de Jérusalem ». Selon le Haut commissariat de l’Onu pour les réfugiés, plus de 74 000 clandestins ont fait, en 2009, la traversée entre les côtes somaliennes et le Yémen, soit 50 % de plus qu’en 2008.

Hicham Mourad

 

 

 

 

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