Yémen.
Engagées
dans une vaste campagne contre le réseau d’Al-Qaëda, les
autorités renforcent les mesures de sécurité, dont un
contrôle des centaines de milliers de réfugiés somaliens.
Les
Somaliens dans le collimateur
Le
combat entre le Yémen et le réseau terroriste d’Al-Qaëda a
pris une nouvelle dimension après l’annonce faite dimanche
par Ossama Bin Laden qui a revendiqué l’attentat manqué sur
un avion de ligne américain le jour de Noël et qui a menacé
les Etats-Unis de nouvelles attaques s’ils poursuivent leur
soutien à Israël. Dans un bref enregistrement audio diffusé
par la chaîne qatari Al-Jazeera, le chef d’Al-Qaëda a rendu
hommage au « héros » Umar Farouk Abdulmutallab, le jeune
Nigérian qui a tenté, il y a près d’un mois, de faire
exploser l’avion effectuant un vol entre Amsterdam et
Detroit. Selon lui, le message qu’a voulu transmettre le
Nigérian est le même que ceux délivrés par « les héros du 11
septembre » 2001, qui ont attaqué les tours jumelles du
World Trade Center à New York et le siège du Pentagone à
Washington, faisant près de 3 000 morts. « Ce message est
que les Etats-Unis ne pourront pas aspirer à la sécurité
avant qu’elle ne soit une réalité en Palestine. Il est
injuste que vous ayez une vie tranquille alors que nos
frères à Gaza vivent dans les pires conditions », a assuré
Bin Laden. Il a ajouté, à l’intention des Etats-Unis, que
les attaques d’Al-Qaëda les visant se poursuivraient « tant
que votre soutien aux Israéliens se poursuivra ».
Réagissant au message du chef d’Al-Qaëda, David Axelrod, le
principal conseiller du président américain Barack Obama, a
averti : « Nous serons offensifs contre Bin Laden et Al-Qaëda
». De son côté, le centre de surveillance des sites
islamistes, IntelCenter, a estimé que le dernier message
ressemble à ceux du chef d’Al-Qaëda précédant des attentats
et pourrait être le signe d’un attentat « dans les douze
prochains mois ».
Le
message de Bin Laden intervient à quelques jours d’une
réunion internationale sur le Yémen, prévue ce mercredi 27
janvier à Londres. 21 pays, dont les Etats-Unis, se
réunissent ainsi afin d’assurer le Yémen de leur soutien
dans ses efforts pour contrer la menace d’Al-Qaëda. La «
réunion internationale », comme Londres l’a baptisée pour
indiquer un niveau inférieur à une « conférence » et a
fortiori à un « sommet », ne durera que deux heures, et ne
devrait pas déboucher sur des résultats concrets. Le but
affiché est de permettre « aux pays amis » du Yémen de
l’assurer de leur solidarité dans son combat difficile
contre le terrorisme.
La
réunion sur le Yémen a été convoquée par le premier ministre
britannique Gordon Brown après la tentative d’attentat du 25
décembre dernier. Barack Obama a accusé Al-Qaëda dans la
péninsule arabique (AQPA) d’avoir « entraîné » et « équipé »
au Yémen le Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab, qui a tenté
de faire détoner un explosif à bord de l’avion américain.
AQPA a revendiqué l’attentat avorté, tout comme l’a fait
dimanche Ossama Bin Laden.
Le Yémen,
secoué par une rébellion dans le nord et un mouvement
sécessionniste dans le sud, fait figure de sanctuaire pour
les extrémistes islamistes. Sa situation économique alimente
également les extrémistes : déjà l’une des nations les plus
pauvres du monde, le Yémen fait face au déclin de ses
réserves pétrolières qui représentent 75 % de ses revenus.
La
réunion de Londres portera sur « l’aide à apporter au
gouvernement du Yémen afin d’améliorer la sécurité,
déraciner Al-Qaëda et promouvoir le développement social et
économique », a expliqué une porte-parole du ministère
britannique des Affaires étrangères. « Il y a un véritable
problème au Yémen », a expliqué dimanche le ministre
britannique des Affaires étrangères David Miliband. Seront
notamment présents les Etats-Unis — qui pourraient être
représentés par la secrétaire d’Etat américaine Hillary
Clinton — ainsi que l’Union européenne, les pays voisins du
Yémen et le Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Sanaa a
annoncé qu’il serait représenté par son premier ministre,
Ali Mohammad Mujawar, à cette conférence. Il y appellera à
un soutien à son pays dans sa lutte contre Al-Qaëda mais
aussi contre les rebelles nordistes et les autonomistes
sudistes. Le premier ministre britannique Gordon Brown avait
souhaité un tel forum peu après la tentative d’Umar Farouk
Abdulmutallab de faire sauter l’avion dans lequel il avait
pris place, à l’approche de Detroit.
De plus
en plus sous la pression des pays occidentaux, notamment les
Etats-Unis, le Yémen est engagé dans une vaste offensive
contre Al-Qaëda. Il a annoncé ces derniers jours la
suspension de l’octroi de visas d’entrée aux étrangers dans
ses aéroports afin d’empêcher une infiltration d’extrémistes
dans le pays. « Les visas seront uniquement délivrés dans
les ambassades yéménites après consultation avec les
responsables de la sécurité pour une vérification de
l’identité des voyageurs », a indiqué un responsable
militaire non identifié. Cette mesure, « prise dans le cadre
des efforts intensifs déployés par notre pays pour lutter
contre le terrorisme, vise à prévenir l’infiltration de tout
élément terroriste suspect », a-t-il dit, cité par l’édition
en ligne du quotidien 26 Septembre publié par le ministère
de la Défense. Outre l’aéroport international de Sanaa, le
Yémen compte six aéroports accueillant des vols
internationaux, dont celui d’Aden (sud). Aucune explication
n’a été donnée dans l’immédiat sur les personnes visées par
cette mesure, mais jusqu’à présent, les ressortissants de la
plupart des pays, notamment occidentaux et arabes, pouvaient
obtenir un visa à l’aéroport, une décision destinée à
encourager le tourisme.
Les
Somaliens sous surveillance
Les
autorités yéménites surveillent désormais plus
particulièrement les réfugiés somaliens qui se trouvent par
centaines de milliers au Yémen, depuis les menaces des
djihadistes somaliens de se joindre à Al-Qaëda dans ce pays.
Début janvier, l’un des chefs des insurgés islamistes
somaliens, les shebab, a annoncé « à nos frères musulmans au
Yémen, nous allons traverser la mer (...) et arriver jusqu’à
vous pour les aider à combattre les ennemis d’Allah ». Les
autorités yéménites n’ont, pour l’instant, fait état d’aucun
Somalien repéré, capturé ou tué dans les rangs d’AQPA, mais
regardent désormais d’un autre œil les centaines de milliers
de réfugiés somaliens installés, pour certains depuis
longtemps, sur son sol. « Nous prenons la menace au sérieux,
nous avons pris des mesures », a confié Ali Al-Anisi,
président du Conseil de sécurité nationale. « Le Yémen est
le seul pays à avoir accepté tous les Somaliens.
Aujourd’hui, ils sont plus de 800 000. Ils posent des
problèmes économiques, sociaux, et maintenant, de sécurité
», a-t-il ajouté.
Après
avoir, pendant des années, pratiqué une politique de porte
ouverte aux Somaliens fuyant leur pays, qui sont présents
dans tout le Yémen et survivent souvent de petits boulots,
Sanaa leur a donné deux mois pour se faire enregistrer et
exerce sur eux une surveillance chaque jour plus stricte.
Autour du camp de réfugiés de Kharaz, qui accueille quelque
25 000 Somaliens sur la côte, à l’est d’Aden (sud), des
barrages de police ont été mis en place la semaine dernière.
Il est désormais interdit aux Somaliens de passer d’un camp
à l’autre, de s’installer dans une autre province ou de
s’éloigner du camp. A la sortie d’Aden, les policiers font
sortir des voitures tous les Somaliens, facilement
reconnaissables grâce à leur physique différent de celui des
Yéménites, pour des interrogatoires poussés, alors qu’ils
ont souvent fui la Somalie pour échapper à l’enrôlement
forcé dans les milices shebab. Les adolescents et les jeunes
hommes sont désormais soupçonnés d’avoir été envoyés en
mission au Yémen.
« Les
déclarations des chefs djihadistes somaliens constituent la
preuve qu’ils ne se soucient pas du sort des gens, de leur
propre peuple », a dit le général Yahia Saleh, chef de
l’unité antiterroriste yéménite. « Aujourd’hui, chaque
Yéménite va se méfier du Somalien qui lave sa voiture. Et
cela va leur rendre la vie plus difficile. Mais ça, Al-Qaëda
s’en fiche ! ». Pour l’expert yéménite Saïd Al-Jemhi, auteur
d’un livre sur Al-Qaëda dans son pays, il ne fait pas de
doute que des shebab sont déjà là. « Ils ne vont pas prendre
de bateaux, les remplir d’armes et traverser le détroit de
Bab Al-Mandeb, au risque de se faire intercepter », dit-il.
« Ils disposent dans les camps d’immenses réservoirs de
volontaires potentiels. Et plus leur vie sera difficile ici,
plus ils seront faciles à radicaliser ». En revanche, selon
le journaliste Abdelelah Shaea, réputé être l’un des
journalistes yéménites les mieux informés sur la mouvance
djihadiste dans son pays, cet envoi de renforts depuis la
Somalie est, avant tout, de la rhétorique. « D’abord, dans
l’idéologie du djihad, il faut aller aider ses frères
menacés partout dans le monde, dit-il, Ensuite, dans la
mythologie islamiste, le Yémen est un pays à part. Ils
croient que c’est de là que doit partir un jour l’armée qui
libérera la Palestine et la Grande Mosquée de Jérusalem ».
Selon le Haut commissariat de l’Onu pour les réfugiés, plus
de 74 000 clandestins ont fait, en 2009, la traversée entre
les côtes somaliennes et le Yémen, soit 50 % de plus qu’en
2008.
Hicham Mourad