Intempéries.
Des pluies torrentielles ont frappé cette semaine plusieurs
régions d’Egypte, provoquant d’énormes dégâts. Reportage à
Al-Arich au Nord-Sinaï, l’une des régions les plus touchées.
L'amertume
Ceux
qui ont assisté à la scène s’en souviendront toujours.
C’était un énorme déluge, de 7 ou peut-être 10 mètres de
haut, déferlant à une vitesse terrifiante. « Il a tout
emporté, nos biens et nos commerces », affirme Fatma, une
habitante d’Al-Arich, sur un ton amer. C’était le lundi 18
janvier, les habitants n’ont été prévenus qu’à la dernière
minute. « Quelques heures seulement avant le déluge, on a vu
des voitures munies de microphones sillonner la ville pour
nous avertir qu’un énorme torrent allait arriver et nous
demander d’évacuer rapidement les lieux », poursuit Fatma.
Et d’ajouter : « Nous avons à peine eu le temps de partir et
de sauver nos âmes. On a vu ensuite ce tsunami arriver. En
partant, on a laissé derrière nous tous nos biens », lance
pour sa part Kamel Ibrahim, propriétaire d’un petit kiosque
qui a été emporté par le torrent. « Lorsque l’eau est
arrivée, elle s’est heurtée aux habitations et à une grande
muraille, sur laquelle il y avait un portrait du chef de
l’Etat. Elle a inondé les rues et les maisons », raconte ce
citoyen. Selon lui, les responsables au gouvernorat avaient
été prévenus préalablement de ces intempéries. « Ils
auraient pu au moins démolir cette énorme muraille de béton
qui a gêné le passage du torrent et a amplifié la
catastrophe ». Quelques jours après le déluge, la situation
est toujours difficile. La ville a été scindée en deux
parties totalement isolées l’une de l’autre. Les eaux ont
envahi la plupart des rues. Habitations, écoles et échoppes
sont inondées. Et même l’hôpital d’Al-Arich n’a pas été
épargné. Les familles des patients ont été priées de
transférer leurs proches vers l’hôpital d’Ismaïliya, dans le
gouvernorat voisin. Les rues d’Al-Arich sont encore le
théâtre de voitures renversées, confirmant la violence des
pluies diluviennes. Les routes asphaltées ont été ravagées.
Les lignes électriques et les services de télécommunication
et de téléphonie mobile sont coupés. La station de drainage
sanitaire a été mise hors service. Quant aux terrains
agricoles, ils sont submergés et des centaines de têtes de
bétail et de volaille sont noyées. Les inondations ont
entraîné également le naufrage d’un certain nombre de
chalets de cette ville estivale. Maintenant que l’eau du
torrent, qui a atteint trois mètres de haut, a commencé à
reculer, les habitants se mettent à la recherche de ce qui
reste de leurs biens. « J’ai perdu ma fille, mes papiers,
mon argent, mes meubles. Il ne reste plus rien. Que Dieu
inflige aux responsables le plus grand châtiment », se
lamente Mohsen Abbass. Les autorités ne donnent aucun bilan
précis. On sait seulement qu’il y a une vingtaine de morts,
sans compter les personnes portées disparues. Environ 1 500
familles se retrouvent sans abris après l’effondrement de
leurs habitations. Elles sont rassemblées dans les écoles et
les mosquées. Certaines sont sur les terrasses des maisons,
avec leurs enfants, drapés de couvertures et frissonnant de
froid et assiégés par les eaux du torrent. Pour venir à leur
secours, d’autres habitants ont dû louer des barques
pneumatiques. Les habitants tentent de s’organiser tant bien
que mal. Manches retroussées et couvertes de boue, certains
d’entre eux se pressent d’évacuer l’eau de leurs maisons
avec des seaux. D’autres ont fait venir des bulldozers pour
faciliter la tâche. « C’est grâce à l’intervention d’une
grande famille d’Al-Arich, Al-Fawakhreya, que des bulldozers
sont venus pour sauver les citoyens et limiter les dégâts.
Les membres de cette famille possèdent un certain nombre de
bulldozers », explique Ahmad Al-Khalily, fonctionnaire. Ces
engins forment des barrières de sable devant chaque maison
pour ralentir la ruée de l’eau et empêcher son accès dans
les rues. Ils évacuent l’eau et la boue et transportent
également les gens. Ce n’est qu’au quatrième jour du drame
que les forces armées ont été dépêchées pour installer deux
ponts reliant les deux parties de la ville. Des hélicoptères
ont aussi sillonné la ville afin de secourir les personnes
bloquées par les eaux. Des camps de secours ont été montés
pour les sans-abri. Le ministère de la Santé a envoyé un
convoi médical pour aider les malades jusqu’à ce que
l’hôpital d’Al-Arich rouvre ses portes, mais les habitants
sont en colère. Deux jours après la
catastrophe, le premier ministre a décidé de visiter la
ville afin de constater l’ampleur des dégâts. Une visite qui
s’est limitée uniquement à la rencontre du gouverneur. A la
fin de sa visite, le chef du gouvernement a décidé de verser
des indemnités immédiates aux habitants touchés : 5 000 L.E.
à la famille d’une personne décédée, 1 000 L.E. pour chaque
blessé, et 15 000 L.E. pour les sans-abri. Pour le moment,
les familles sinistrées affirment n’avoir reçu que des
couvertures. Beaucoup d’entre elles se demandent pourquoi
cela leur est arrivé. N’aurait-il pas pu être évité ?
Négligence des autorités
Comme
d’autres régions, notamment au sud de l’Egypte et dans le
Sinaï, Al-Arich est une zone frappée par les inondations. «
Deux grandes inondations avaient frappé la ville en 1975 et
1981 », explique Yaqoub Khedr de la Direction de
l’irrigation à Al-Arich. Et d’expliquer que suite à ces
inondations, un grand ravin avait été creusé pour évacuer
les eaux du torrent vers la Méditerranée. « Mais voyant
qu’il n’y avait plus de torrents depuis 1981, l’ancien
gouverneur d’Al-Arich, le général Ahmad Abdel-Hamid, a
décidé d’utiliser cette zone d’une largeur de 700 mètres et
proche de la mer dans le développement urbain », ajoute-t-il.
On a construit dans ce ravin un complexe sportif (le village
olympique) de même qu’un village touristique et un marché
pour les vendeurs ambulants. Or, après trente ans, le déluge
a tout emporté. Ce gouverneur a été limogé lors du dernier
remaniement des gouverneurs, il y a deux semaines. Le
nouveau gouverneur, lui, n’a fait aucune déclaration aux
médias. « Le gouvernorat envisage de déplacer les
constructions qui se trouvent dans le ravin vers un autre
lieu. Toutes les personnes touchées par le torrent seront
indemnisées », affirme Mohamad Al-Haqiqi, secrétaire du
gouvernorat d’Al-Arich. « Quel gâchis », s’insurge le député
d’Al-Arich, Hassan Nachaat. Il accuse l’ancien gouverneur de
négligence. « C’est lui qui a décidé d’exploiter le terrain
du ravin, il n’a pas voulu entendre les mises en garde des
députés et des chefs des familles locales à Al-Arich. Ce
qu’il a fait est contraire aux lois du ministère de
l’Irrigation qui stipulent que toute habitation située sur
l’itinéraire d’un torrent doit être évacuée », affirme le
député. Il réclame l’ouverture d’une enquête afin de juger
les responsables de cette catastrophe.
Héba
Nasreddine