Ministre algérienne de la Culture, Khalida Toumi évoque
les priorités de son action. Elle insiste surtout sur le rôle primordial du
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« Le livre est le
fondement de tous les systèmes de formation »
Al-ahram hebdo : Quelles sont vos priorités au ministère de
la Culture ?
Khalida Toumi : En Algérie, tout est prioritaire dans la culture. Nous
sommes dans un pays qui a souffert de 132 ans de colonisation de peuplement,
c’est-à-dire 132 ans de génocide physique et culturel. Cela ne fait pas
longtemps que l’on est indépendant, 47 ans. Quand vous savez que la culture
c’est la façon particulière qu’a un peuple d’être au monde, à ses autres et
d’être dans le monde, d’habiter le monde. C’est cela la culture, et vous
connaissez l’histoire de l’Algérie, alors, le patrimoine devient fondamental.
Celui qui n’a pas de mémoire ne peut pas avoir de clef pour l’avenir. Donc, le
patrimoine, sa conservation, sa préservation, sa restauration, qu’il soit
matériel ou immatériel, tangible ou intangible, est une priorité. Je reviens à
ma définition de la culture « façon d’être au monde dans le monde »,
c’est-à-dire qu’il n’y a que le patrimoine, il y a aussi les créateurs. Les
créations que vous devez promouvoir, que vous devez accompagner, que vous devez
encourager dans tous les domaines, et à travers tous les canaux, tout est
prioritaire. Ajouter à cela une complication : une trentaine d’années après
l’indépendance, l’Algérie a vécu une crise horrible, le terrorisme qui s’est
attaqué aux êtres, aux choses, au pays et à la culture. C’est commun à tous les
totalitaires du monde, ce n’est pas une spécialité des intégristes islamistes.
— C’est la phrase de Goebbels qui disait que, dès que
j’entends le mot culture, je dégaine ...
— Oui, pour moi, j’essaye
de comprendre pourquoi ils sont comme ça, et j’ai fini par me dire qu’ils ont
compris que la culture est la campagne fidèle de la vérité et de la diversité,
et la vérité est la base de la démocratie. Les totalitaires ne peuvent pas
vivre dans une démocratie, il y a des microbes anaérobiques, c’est-à-dire si
vous leur mettez de l’oxygène, ils meurent. Vous ajoutez ces complications,
tout devient prioritaire et c’est pour cela que le ministère était obligé de
s’occuper de tout en même temps et aucun domaine de la culture ne devait être
délaissé. De ce fait, le livre est fondamental, et qui dit livre, dit lecture
publique, bibliothèques, système éducatif. J’ai la faiblesse de croire que nous
n’arriverons jamais à nous développer si nous ne développons pas la lecture
publique et si nous ne faisons pas rentrer le livre dans le système éducatif.
Je ne parle pas de livre parascolaire, technique ou scientifique, je parle de
la littérature. C’est pour cela que le
ministère de la Culture a entamé avec le ministère de l’Intérieur une opération
colossale de construction d’au moins une bibliothèque publique par commune. En
Algérie, il y a 1 541 communes. Au terme de la programmation de 2005, on a
prévu 1 800 bibliothèques, nous avons réceptionné entre 2005 et aujourd’hui à
peu près la moitié. C’est colossal mais c’est nécessaire. Vous ne pouvez pas
développer le livre sans le réseau de bibliothèques de lecture et sans le
soutien direct de l’Etat. Sur une base simple, puisque nous construisons des
bibliothèques de lecture publique, il faut les équiper en livres d’abord, donc
l’Etat devient client auprès des éditeurs nationaux des livres qu’ils vont
éditer. Et comme la mine ne s’arrête pas, pour ne pas attendre que les 1 800
bibliothèques se terminent, et parce que nous savons que dans une commune il y
a plusieurs villages, je pense notamment aux communes de montagnes, des
hauts-plateaux. Nous avons acheté 34 bibliothèques ambulantes. Je vous prends
un exemple, une commune dans la wilaya des Aurès, à Batna, dans la montagne,
vous allez trouver 10 villages, même si je mets ma bibliothèque de lecture
publique sur le lieu de la commune, il y a 10 villages qui vont s’en servir.
Ce qui compte pour moi,
pour le moment, c’est de terminer mon programme de bibliothèques. Ce que je
vous disais sur la politique de soutien direct aux éditeurs par l’Etat-client
qui achète par l’intermédiaire de spécialistes, il faut que cela devienne une
politique, c’est pour cela que l’on a créé le Centre National du Livre (CNL)
qui doit également travailler pour encourager la traduction vers l’arabe et de
l’arabe vers d’autres langues, il doit encourager la création. Il faut laisser
les choses pérennes continuer. On attend que l’Etat désigne le directeur du
CNL. La première chose qu’il faut attaquer c’est la distribution. Au-delà des
bibliothèques qui vont être partout dans le pays, il faut qu’il y ait des
librairies où l’Algérien, qu’il soit à Tamanrasset ou à Batna, doit avoir la
possibilité d’acheter le livre, c’est ça qui va développer l’industrie du
livre. En Algérie, le livre n’est pas taxé comme le reste des choses. Il faut
aussi développer la création, même si pour nous, nous savons que le livre est
roi. Que ce soit dans la formation, l’éducation, la culture, le livre est roi,
et tous les systèmes de formation en dépendent. Il n’y a que pour se cultiver,
il faut aussi s’occuper du cinéma, du théâtre et de la musique. Il y a toute
une politique de soutien à la création.
— Justement, est-ce que l’Etat soutient la création pour le
cinéma et la musique ?
— Oui bien sûr, nous avons
un fonds d’aide à la création artistique et littéraire qui nous permet d’aider
le livre, le théâtre et la musique. Et nous avons un deuxième fonds d’aide à la
création cinématographique. Bien sûr, aucun film ne se fait depuis les années
2000 si l’Etat ne le soutient pas à travers ce fonds. L’aide à la production et
à la réalisation se fait, mais il y a deux graves problèmes qui sont celui de
l’exploitation et celui de la distribution qui ne pourront être réglés que le
jour où le ministère de la Culture pourra récupérer les salles de cinéma
existant et qui sont fermées et qui sont entre les mains des mairies qui n’ont
pas les moyens de les gérer. On veut les récupérer non pas pour les gérer, mais
on veut en faire comme pour le livre, c’est-à-dire mettre en place un cahier
des charges et former des jeunes, nous savons le faire. Notre objectif est
d’arriver d’ici 3 à 4 ans à ouvrir au moins une centaine de salles dans notre
pays et permettre au cinéma de ne plus dépendre exclusivement du fonds d’aide
cinématographique où l’Etat met de l’argent à fond perdu et s’autofinancer par
les ventes créées dans les salles. Nous développons une très grande politique
de formation, nous avons l’Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel et
des arts de spectacle où l’on forme des jeunes, que ce soit pour le théâtre ou
pour le cinéma. Malheureusement, à cause des conditions difficiles que nous
avons vécues pendant la décennie noire, beaucoup de réalisateurs sont partis,
et pendant ce temps, les Algériens étaient en train de résister pour défendre
leur pays. Tout est à faire, il y a un très grand programme de formation avec
nos cinéastes qui sont à l’étranger. Je parle de cinéastes confirmés et qui ont
50 ans, de grands réalisateurs et qui reviennent en Algérie pour faire un film
et le ministère fait avec eux des conventions, on vous aide à condition que
vous produisiez. Pour le théâtre, nous avons ouvert, depuis que je suis au
ministère, en plus du Théâtre national, une dizaine de théâtres régionaux à
travers le pays, et il y a une autre dizaine qui va être encore ouverte. La
formation pour le théâtre est bien assurée dans notre Institut. Il n’y a pas de
développement culturel si l’Etat ne soutient pas financièrement, ce n’est pas
du perdu, car c’est un investissement dans l’être humain, c’est lui qui va
construire et non pas détruire. On ne peut pas nous demander de faire ce que
font les Américains, car nous avons une histoire différente.
Nous développons la
formation dans tous les domaines : le théâtre, le cinéma, les beaux-arts, la
musique, le métier du patrimoine bien sûr. Pour le patrimoine, il a fallu le
prendre en charge. La première chose qu’il fallait faire était de mettre en
place certains dispositifs, des lois et des règlements. C’est une tâche énorme.
Le patrimoine est la chose qui n’a pas de prix et est tellement fragile. Il
fallait agir dans un cadre très réglementé et entamer l’inventaire qui ne se
termine jamais, il y a tous les jours des découvertes. Par exemple, à la place
des Martyrs, on a découvert une ville sous la ville. La
— Ils sont récupérés par les autres …
— Merci de le dire.
Au-delà du droit constitutionnel, il y a la culture qui n’a pas de prix, il y a
aussi l’objectif fondamental de construire un ciment national, autour du ciment
sacré qui est l’histoire de la guerre de la libération algérienne qui
fonctionne. Ce ciment commun ne peut être donné que par la culture, ce ne sont
ni les routes, ni les immeubles, ni les usines qui nous le donnent. Seule la
culture donne un ciment national, un minimum commun culturel qui sera à la
portée de tous les Algériens. On n’a pas besoin d’avoir un père ministre ou
grand propriétaire pour accéder à la culture. Si nous ne faisons pas cela,
comme vous l’avez dit, il y aura d’autres qui vont venir remplir ce vide. A
côté de cela, il faut s’occuper des artistes qui ont été touchés par le
terrorisme et qui ont été d’une dignité, d’une grandeur, d’un courage
exemplaires.
— Ils étaient les premières victimes ?
— L’artiste n’est pas un
fonctionnaire. Il a fallu créer des événements pour permettre à la fois au
créateur d’exprimer sa création des événements qui permettent d’encourager
cette création, notamment chez les jeunes, et pourquoi pas mettre en valeur notre
patrimoine. Tout est lié, c’est pour cela qu’il y a une politique
d’institutionnalisation des Festivals en Algérie. On est au 110e festival
institutionnalisé et d’autres vont arriver. Cela ne veut pas dire que c’est
l’Etat qui organise. L’Etat prône un commissariat où il y a des gens d’horizons
divers et des gens du domaine qui sont conventionnés avec l’Etat sur la base
d’un cahier des charges. On dit voilà le financement, et voilà ce que nous
voulons.
Propos recueillis par
Ahmed Youssef