Patrimoine.
Achraf Al-Achmaoui,
conseiller juridique du Conseil Suprême des Antiquités (CSA)
et membre du comité préparant les nouvelles législations,
explique les raisons d’un durcissement des lois sur les
antiquités.
« La loi
actuelle facilite la violation de différents sites »
Al-Ahram
Hebdo : Pourquoi une nouvelle loi ou du moins des
amendements aussi profonds maintenant ?
Achraf Al-Achmaoui :
Il existe beaucoup de lacunes dans la loi actuellement
appliquée. Il est en fait temps de promulguer une nouvelle
législation. La première loi sur les monuments et les
antiquités égyptiens remonte à 1835. Celle-ci a été amendée
cinq fois, mais jamais de manière fondamentale, à part en
1912 et puis 1983 qui est actuellement appliquée. Si une
nouvelle loi intervient quelques décennies en retard, cela
ne nie pas son importance et la nécessité de son
application. La loi actuelle facilite la violation de
différents sites archéologiques et les peines appliquées ne
dépassent pas le paiement d’une centaine de livres d’amende,
ce qui encourage les agressions et pas le contraire. C’est
en fait à partir de ce point qu’a surgi la base de la
nouvelle loi qui consiste à combler les lacunes existantes
dans cette loi actuelle, à aggraver les peines et à mettre
le plus d’obstacles possibles devant tout violateur pour
l’empêcher de nuire aux monuments et aux sites
archéologiques. Mais les commissions du Parlement ont
modifié quelques clauses et ont refusé de promulguer une
nouvelle loi au vrai sens du terme se limitant à changer des
clauses.
— Que pensez-vous des contrepropositions faites par certains
députés ?
— Avant la discussion au
Parlement, Ahmad Ezz a fait une déclaration signalant qu’il
y a des points fondamentaux qui ne se trouvent pas dans la
nouvelle loi proposée par le ministère de la Culture et qui
ne vont pas de pair avec les lois internationales. Il a
soumis une étude comparative des lois des antiquités dans
quatre pays, la France, la Grèce, l’Italie et la Turquie. Ce
qui a été présenté au président de l’Assemblée, Fathi Sorour,
et aux vice-présidents Amal Osman et Moufid Chéhab. Ezz
estime, pour sa part, que la définition proposée du «
monument » est imprécise et qu’il faudrait, comme tous les
autres pays, classer les monuments en catégories ; monument
patrimonial, monument à valeur historique et monument à
valeur culturelle. Il a, à cet égard, souligné la
possibilité du commerce pour les monuments culturels. Pour
ma part, j’estime que le patrimoine égyptien ne peut pas
être divisé.
— Quels sont les changements fondamentaux dans la nouvelle
législation ?
— Il a été décidé d’élargir
le rôle du comité du CSA de sorte que celui-ci soit
responsable des sites archéologiques de tous les points de
vue. Le comité du CSA sera responsable de toute activité
culturelle, touristique, sportive ou d’investissement qui se
déroule sur n’importe quel site et cela pour diminuer le
rôle des autres ministères et éviter leur intervention dans
les sites et que le CSA ait le seul monopole sur ces lieux.
Une fois la loi promulguée, tous les loyers des kiosques se
trouvant dans des sites archéologiques ou des anciennes
villas de valeur historique louées par des ministères, des
écoles ou autres seront considérés comme périmés dans un an
et cela dans le but de les restaurer et les réutiliser selon
les besoins du CSA. Dorénavant, le ministre de la Culture
aura plein droit d’arrêter directement toute violation sur
n’importe quel site sans le besoin d’avoir recours au
tribunal. Une telle clause est importante pour pouvoir
arrêter les choses dès le début. Le fait d’intenter des
procès prend beaucoup de temps et donne l’occasion au
violateur de poursuivre ses actes et rend la tâche du CSA
presque impossible.
— Qu’en est-il des collectionneurs et des missions étrangères
?
— Les collectionneurs
privés peuvent toujours garder les pièces qu’ils possèdent
tant que le CSA n’estime pas nécessaire de les récupérer. Le
collectionneur a droit de vendre ce qu’il possède mais
devrait prévenir le CSA puisque ce dernier a priorité
d’achat. L’important pour le CSA est de pouvoir faire le
suivi de la pièce et savoir où elle se trouve. Alors qu’en
ce qui concerne les missions étrangères et leur droit de
garder des pièces après leur découverte, cette clause a
aussi été changée. Il serait interdit à toutes les missions
étrangères opérant en Egypte de prendre n’importe quelle
pièce découverte lors des fouilles. En fait, les missions
avaient droit de prendre 10 % des pièces découvertes, à
condition que celles-ci soient des doubles. Ce qui, en fait,
ouvrait la porte au trafic des antiquités. Toutes les pièces
découvertes seront dorénavant la possession de l’Etat
égyptien. De la vigilance bien nécessaire pour un pays qui,
par la richesse inouïe de son patrimoine, a fait parfois
l’objet de pillage en règle.
— Et les marques commerciales ?
— En préparant la loi, on a
découvert qu’en 1920, un tribunal égyptien a donné à un
commerçant le droit d’utiliser la tête de Cléopâtre sur sa
marchandise qui n’était qu’une marque de détergent. Une
chaîne de télévision israélienne utilise comme logo les
pyramides et un exportateur d’oranges met la photo de
Néfertiti sur son produit. Tout cela nous a poussés à
ajouter cette clause dans la loi. Il faut savoir exploiter
nos monuments et ne pas nuire à l’image de notre
civilisation. La clause 36 de la nouvelle loi porte sur la
possibilité d’exploiter les photos et les répliques du
patrimoine égyptien en tant que marques commerciales. Les
députés ont accepté la clause dans le but de protéger
l’utilisation du patrimoine égyptien dans des buts illégaux
ou commerciaux sans aucun gain pour le pays. La nouvelle loi
pour la préservation des monuments a prévu une clause basée
sur des traités internationaux sur le droit de propriété
intellectuelle, donnant uniquement au CSA l’exclusivité de
la reproduction des pièces archéologiques avec la même
échelle avec un sceau spécial du CSA. Une telle mesure va
augmenter les revenus du Conseil, puisqu’il serait le seul
point de distribution et de vente, mais aussi va aider à
cerner le problème du trafic et des pièces dont
l’authenticité est douteuse. Il faut bien exploiter nos
richesses.
Propos
recueillis par Hala Fares