Al-Ahram Hebdo, Enquête | Des trésors en danger ?
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
Nos Archives

 Semaine du 27 janvier au 2 février 2010, numéro 803

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Livres

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Enquête

Patrimoine. Un débat houleux au Parlement oppose des partisans d’une libéralisation relative du commerce des antiquités et le Conseil Suprême des Antiquités (CSA). Celui-ci y voit une porte ouverte au trafic, y compris vers l’étranger.

Des trésors en danger ?

Les pyramides sont-elles à vendre ? Peut-on échanger une fresque islamique ou des icônes coptes ? C’est l’impression que donnent les débats actuels sur les nouvelles législations qui sont discutées par le Parlement. En gros, ce qu’on relève de toute l’affaire c’est qu’il serait possible de faire du commerce des antiquités à l’intérieur du pays. Ce qui a provoqué un vrai choc et des batailles rangées. On a évoqué surtout le fait que c’est le député et homme d’affaires très influent, membre du PND, Ahmad Ezz, qui est derrière cette initiative. Et l’on a vu de l’autre côté le ministre de la Culture, Farouk Hosni, et le secrétaire général du Conseil Suprême des Antiquités (CSA) menacer de démission au cas où une telle loi serait adoptée. Beaucoup de bruits somme toute, avec des revirements et des négations. De quoi obnubiler la vraie question et l’objectif essentiel du débat.

Y a-t-il moyen de mettre les points sur les i ? Ezz a démenti avoir proposé un projet de loi sur les monuments. Il y a en fait des débats à l’Assemblée sur de nouvelles législations concernant cette question vitale pour l’Egypte (Lire page 5). Ezz, quant à lui, n’a pas parlé de commerce des antiquités sous la coupole, du moins pas ouvertement. Il a présenté une étude comparative des législations sur les antiquités dans certains pays riches en œuvres du patrimoine, comme la France, l’Italie, la Turquie et la Grèce. Dans cette étude, il a mis le point sur la nécessité de classer les articles archéologiques et culturels. Pour lui, il y a des œuvres archéologiques qui ont une valeur patrimoniale ou nationale. Celles-ci sont intouchables, alors que d’autres produits culturels ou historiques d’une moindre valeur devraient obéir à d’autres critères législatifs en ce qui concerne leur échange et leur commerce. De l’importance de cette classification est intervenue le refus de Ezz sur le concept ou le statut de monument présenté par le CSA.

A ce sujet, Ahmad Ezz a insisté sur l’importance de mieux préciser ce que c’est un monument afin de ne pas appliquer la loi sur une personne ignorant la véritable nature du monument. Eviter que les choses soient vagues donc. Or, le CSA, lui, riposte en affirmant que pour la première fois dans le cadre de la loi, les termes ont été identifiés et bien précisés : qu’est-ce qu’un monument et qu’est-ce qu’une enceinte du site qui, elle aussi, fait objet d’interdiction et de protection ? Pour les responsables archéologiques, il y a trois normes principales pour définir une pièce. Tout d’abord, il doit dépasser les 100 ans, ensuite avoir une valeur historique ou artistique pour les archéologues et enfin appartenir à la civilisation égyptienne. Une définition précise c’est vrai, mais qui s’applique à des pièces innombrables et qui exige aussi des examens minutieux faits par des experts. Si les pièces pharaoniques, par exemple, sont les plus claires et faciles à déterminer, les autres baignent dans une sorte de flou artistique.

C’est ce qui donne de l’importance à la nouvelle loi, ou la loi amendée plutôt. Cela devrait mettre fin à une période d’incurie et de négligence marquée par de nombreuses violations. Au départ, les amendements prévoient donc d’aggraver les peines face aux agressions qui ne cessent de nuire au patrimoine et à la civilisation de notre pays.

Zahi Hawas lui rejette même la notion de comparaison avec d’autres pays. « Des pays comme la France et l’Angleterre possèdent des propriétés culturelles qui n’ont pas la valeur archéologique que possèdent nos œuvres du patrimoine. Ceux qui font de telles comparaisons ignorent la vraie valeur de notre civilisation égyptienne ». De plus, Hawas souligne que ces pays occidentaux « dans leurs ventes aux enchères, ils vendent plutôt les œuvres des autres pays et jamais les leurs. C’est l’Egypte tout d’abord et ensuite l’Iraq ». Le patron de l’archéologie est bien sensible à un état de fait indéniable : le trafic des antiquités a augmenté de façon remarquable, les vols aussi. « C’est devenu partout ». Abdel-Halim Noureddine, égyptologue de renommée et ancien secrétaire général du CSA, appuie ce point de vue et affirme que « cette tendance doit s’arrêter. Le trafic des antiquités rapporte plus de bénéfices que le trafic de la drogue », lance-t-il pour relever que l’initiative attribuée à Ezz « n’est qu’un soutien au trafic des antiquités ». Pour le CSA, de toute façon, l’autre front a refusé l’identification du statut de monument ou objet sans donner de contre-propositions. Il est clair que le différend va au-delà d’une simple définition.

Dans cette initiative aussi, Ezz relève que dans d’autres pays, le commerce des antiquités est permis à condition que les autorités soient au courant de l’itinéraire de la pièce, même si elle fait l’objet de vente. Et c’est justement ce point qui ajoute à la complexité de la chose pour l’Egypte. Tous les observateurs craignent que le commerce ne soit une porte légitime ouverte au trafic.

Si dans les cinq dernières années le CSA a réussi à récupérer plus de 6 000 pièces sorties de façon illégale du territoire, il y a une crainte, avec de nouvelles législations libéralisant le commerce, de mettre fin aux efforts déployés par le ministère de la Culture et Zahi Hawas qui viennent de récupérer les pièces sorties de façon illégale. Ceci d’autant plus que l’Egypte organisera en avril une conférence regroupant de différents pays voulant récupérer les pièces volées.

Il s’agit d’une logique d’une préservation du patrimoine qui s’est élaborée notamment après la promulgation de la loi 117 de 1983, quand le CSA a commencé à étendre son monopole en interdisant toute vente de pièces archéologiques. C’était une vieille tradition. On se souvient de magasins d’antiquités au centre-ville, juste devant le Musée du Caire, avec sur leur devanture « Genuine pieces (pièces authentiques) ». A Nazlet Al-Semmane, des familles, comme celle de Farag ou Al-Gabri, étaient connues pour avoir fait fortune en vendant des antiquités également authentiques. Comme le commerce était autorisé, on voyait par exemple des procès intentés par des personnes ayant acheté des pièces fausses supposées être vraies.

Les derniers reliquats de ce commerce, c’était justement en 1983. Zahi Hawass rappelle qu’il existait alors 16 commerçants dont l’Etat a pris la plupart des pièces contre des compensations. Dans les registres actuels du CSA, 42 personnes entre collectionneurs et anciens commerçants possèdent 37 000 pièces sur 97 000 qu’ils avaient au départ. Collectionneurs ou commerçants ne peuvent vendre ces pièces qu’après autorisation du CSA afin de pouvoir suivre leur itinéraire. S’agit-il d’une étape transitoire ? Le CSA ne se prononce pas encore. Mais dans les cercles archéologiques, le concept de possession privée est refusé. Abdel-Halim Nourreddine ainsi dit qu’il faut « annuler définitivement le système qui permet la possession de pièces ». Ce que dénoncent surtout les collectionneurs. Salah Hafez, collectionneur et ancien président de l’Organisme des affaires de l’environnement, affirme qu’il faut « qu’il y ait une loi pour l’acquisition et une autre différente pour les antiquités, comme il en est le cas dans les autres pays, ceux d’Europe surtout. Le commerce intérieur est une chose valable afin que les inspecteurs des services archéologiques ne soient pas comme des inquisiteurs ». D’où son rejet des nouvelles législations qui « exposent tout collectionneur à des peines de prison s’il enfreint la loi sur les antiquités ».

Un autre collectionneur, Elwi Farid, s’oppose à la période de cent ans qui fait d’un objet une pièce antique. « Il faut reconsidérer cette question, sinon les chariots, les fiacres, les anciennes voitures et même un pilon dans une vieille cuisine deviendront des antiquités ». Et de se mettre en garde contre des peines abusives que peuvent encourir les collectionneurs.

S’il est vrai qu’une certaine précision doit être trouvée en ce qui concerne la distinction entre objets réellement œuvres du patrimoine national et autres justes anciens, il est évident que cette tâche exige beaucoup d’expérience et de recherche. Ahmad Ezz a évoqué à cet égard l’importance de recourir à des experts étrangers.

De toute façon, la problématique de l’Egypte est que tout son sous-sol est plein d’antiquités pharaoniques, gréco-romaines (c’est toute Alexandrie et même au fond de la mer) de quoi pousser souvent à des fouilles illicites. Des archéologues de fortune s’improvisent parfois et ont même recours à des procédés bizarres dont la magie pour creuser. Une clause de la loi interdit maintenant ce genre de fouilles, auparavant c’était juste une décision du CSA. Il faut que ce soit des missions étrangères reconnues ou des missions d’universités qui peuvent fouiller, mais toujours sous la surveillance du CSA.

Mettre de l’ordre donc face parfois à des traditions tenaces. De nombreux habitants des villages dans l’enceinte de lieux historiques, comme Saqqara à Guiza et Gournah à Louqsor, ont la profonde conviction qu’ils sont les propriétaires de ces pièces, puisque ce sont celles de leurs « ancêtres ». Les habitants de Gournah ont été déménagés, déportés selon certains d’entre eux, afin d’éviter ce genre de fouilles. On rappelle à cet égard un très beau film égyptien d’anthologie, La momie de Chadi Abdel-Salam, qui évoque les fouilles de Gournah au XIXe siècle faites par les habitants de la région. Pour eux, il ne s’agissait pas de trafic autant que d’un droit de propriété. Difficile à admettre de nos jours, mais qui représente l’indice d’une situation complexe que sans doute seul le CSA pourrait gérer.

Hala Fares

Retour au sommaire

 

Des peines aggravées

— Faire sortir une pièce hors du pays : 15 ans de prison et une amende de 1 million de L.E.

— Vol de pièces : 10 ans de prison et une amende jusqu’à 500 000 L.E.

— Fouille illicite : 7 ans de prison et une amende jusqu’à 250 000 L.E.

— Les violations sur des sites archéologiques : 5 ans de prison et une amende jusqu’à 100 000 L.E.

 

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.