Patrimoine.
Un débat houleux au Parlement oppose des partisans d’une libéralisation
relative du commerce des antiquités et le Conseil Suprême
des Antiquités (CSA). Celui-ci y voit une porte ouverte au
trafic, y compris vers l’étranger.
Des
trésors en danger ?
Les
pyramides sont-elles à vendre ? Peut-on échanger une fresque
islamique ou des icônes coptes ? C’est l’impression que
donnent les débats actuels sur les nouvelles législations
qui sont discutées par le Parlement. En gros, ce qu’on
relève de toute l’affaire c’est qu’il serait possible de
faire du commerce des antiquités à l’intérieur du pays. Ce
qui a provoqué un vrai choc et des batailles rangées. On a
évoqué surtout le fait que c’est le député et homme
d’affaires très influent, membre du PND, Ahmad Ezz, qui est
derrière cette initiative. Et l’on a vu de l’autre côté le
ministre de la Culture, Farouk Hosni, et le secrétaire
général du Conseil Suprême des Antiquités (CSA) menacer de
démission au cas où une telle loi serait adoptée. Beaucoup
de bruits somme toute, avec des revirements et des négations.
De quoi obnubiler la vraie question et l’objectif essentiel
du débat.
Y a-t-il moyen de mettre
les points sur les i ? Ezz a démenti avoir proposé un projet
de loi sur les monuments. Il y a en fait des débats à
l’Assemblée sur de nouvelles législations concernant cette
question vitale pour l’Egypte (Lire page 5). Ezz, quant à
lui, n’a pas parlé de commerce des antiquités sous la
coupole, du moins pas ouvertement. Il a présenté une étude
comparative des législations sur les antiquités dans
certains pays riches en œuvres du patrimoine, comme la
France, l’Italie, la Turquie et la Grèce. Dans cette étude,
il a mis le point sur la nécessité de classer les articles
archéologiques et culturels. Pour lui, il y a des œuvres
archéologiques qui ont une valeur patrimoniale ou nationale.
Celles-ci sont intouchables, alors que d’autres produits
culturels ou historiques d’une moindre valeur devraient
obéir à d’autres critères législatifs en ce qui concerne
leur échange et leur commerce. De l’importance de cette
classification est intervenue le refus de Ezz sur le concept
ou le statut de monument présenté par le CSA.
A ce sujet, Ahmad Ezz a
insisté sur l’importance de mieux préciser ce que c’est un
monument afin de ne pas appliquer la loi sur une personne
ignorant la véritable nature du monument. Eviter que les
choses soient vagues donc. Or, le CSA, lui, riposte en
affirmant que pour la première fois dans le cadre de la loi,
les termes ont été identifiés et bien précisés : qu’est-ce
qu’un monument et qu’est-ce qu’une enceinte du site qui,
elle aussi, fait objet d’interdiction et de protection ?
Pour les responsables archéologiques, il y a trois normes
principales pour définir une pièce. Tout d’abord, il doit
dépasser les 100 ans, ensuite avoir une valeur historique ou
artistique pour les archéologues et enfin appartenir à la
civilisation égyptienne. Une définition précise c’est vrai,
mais qui s’applique à des pièces innombrables et qui exige
aussi des examens minutieux faits par des experts. Si les
pièces pharaoniques, par exemple, sont les plus claires et
faciles à déterminer, les autres baignent dans une sorte de
flou artistique.
C’est ce qui donne de
l’importance à la nouvelle loi, ou la loi amendée plutôt.
Cela devrait mettre fin à une période d’incurie et de
négligence marquée par de nombreuses violations. Au départ,
les amendements prévoient donc d’aggraver les peines face
aux agressions qui ne cessent de nuire au patrimoine et à la
civilisation de notre pays.
Zahi Hawas lui rejette même
la notion de comparaison avec d’autres pays. « Des pays
comme la France et l’Angleterre possèdent des propriétés
culturelles qui n’ont pas la valeur archéologique que
possèdent nos œuvres du patrimoine. Ceux qui font de telles
comparaisons ignorent la vraie valeur de notre civilisation
égyptienne ». De plus, Hawas souligne que ces pays
occidentaux « dans leurs ventes aux enchères, ils vendent
plutôt les œuvres des autres pays et jamais les leurs. C’est
l’Egypte tout d’abord et ensuite l’Iraq ». Le patron de
l’archéologie est bien sensible à un état de fait indéniable
: le trafic des antiquités a augmenté de façon remarquable,
les vols aussi. « C’est devenu partout ». Abdel-Halim
Noureddine, égyptologue de renommée et ancien secrétaire
général du CSA, appuie ce point de vue et affirme que «
cette tendance doit s’arrêter. Le trafic des antiquités
rapporte plus de bénéfices que le trafic de la drogue »,
lance-t-il pour relever que l’initiative attribuée à Ezz «
n’est qu’un soutien au trafic des antiquités ». Pour le CSA,
de toute façon, l’autre front a refusé l’identification du
statut de monument ou objet sans donner de contre-propositions.
Il est clair que le différend va au-delà d’une simple
définition.
Dans cette initiative aussi,
Ezz relève que dans d’autres pays, le commerce des
antiquités est permis à condition que les autorités soient
au courant de l’itinéraire de la pièce, même si elle fait
l’objet de vente. Et c’est justement ce point qui ajoute à
la complexité de la chose pour l’Egypte. Tous les
observateurs craignent que le commerce ne soit une porte
légitime ouverte au trafic.
Si dans les cinq dernières
années le CSA a réussi à récupérer plus de 6 000 pièces
sorties de façon illégale du territoire, il y a une crainte,
avec de nouvelles législations libéralisant le commerce, de
mettre fin aux efforts déployés par le ministère de la
Culture et Zahi Hawas qui viennent de récupérer les pièces
sorties de façon illégale. Ceci d’autant plus que l’Egypte
organisera en avril une conférence regroupant de différents
pays voulant récupérer les pièces volées.
Il s’agit d’une logique
d’une préservation du patrimoine qui s’est élaborée
notamment après la promulgation de la loi 117 de 1983, quand
le CSA a commencé à étendre son monopole en interdisant
toute vente de pièces archéologiques. C’était une vieille
tradition. On se souvient de magasins d’antiquités au
centre-ville, juste devant le Musée du Caire, avec sur leur
devanture « Genuine pieces (pièces authentiques) ». A Nazlet
Al-Semmane, des familles, comme celle de Farag ou Al-Gabri,
étaient connues pour avoir fait fortune en vendant des
antiquités également authentiques. Comme le commerce était
autorisé, on voyait par exemple des procès intentés par des
personnes ayant acheté des pièces fausses supposées être
vraies.
Les derniers reliquats de
ce commerce, c’était justement en 1983. Zahi Hawass rappelle
qu’il existait alors 16 commerçants dont l’Etat a pris la
plupart des pièces contre des compensations. Dans les
registres actuels du CSA, 42 personnes entre collectionneurs
et anciens commerçants possèdent 37 000 pièces sur 97 000
qu’ils avaient au départ. Collectionneurs ou commerçants ne
peuvent vendre ces pièces qu’après autorisation du CSA afin
de pouvoir suivre leur itinéraire. S’agit-il d’une étape
transitoire ? Le CSA ne se prononce pas encore. Mais dans
les cercles archéologiques, le concept de possession privée
est refusé. Abdel-Halim Nourreddine ainsi dit qu’il faut «
annuler définitivement le système qui permet la possession
de pièces ». Ce que dénoncent surtout les collectionneurs.
Salah Hafez, collectionneur et ancien président de
l’Organisme des affaires de l’environnement, affirme qu’il
faut « qu’il y ait une loi pour l’acquisition et une autre
différente pour les antiquités, comme il en est le cas dans
les autres pays, ceux d’Europe surtout. Le commerce
intérieur est une chose valable afin que les inspecteurs des
services archéologiques ne soient pas comme des inquisiteurs
». D’où son rejet des nouvelles législations qui « exposent
tout collectionneur à des peines de prison s’il enfreint la
loi sur les antiquités ».
Un autre collectionneur,
Elwi Farid, s’oppose à la période de cent ans qui fait d’un
objet une pièce antique. « Il faut reconsidérer cette
question, sinon les chariots, les fiacres, les anciennes
voitures et même un pilon dans une vieille cuisine
deviendront des antiquités ». Et de se mettre en garde
contre des peines abusives que peuvent encourir les
collectionneurs.
S’il est vrai qu’une
certaine précision doit être trouvée en ce qui concerne la
distinction entre objets réellement œuvres du patrimoine
national et autres justes anciens, il est évident que cette
tâche exige beaucoup d’expérience et de recherche. Ahmad Ezz
a évoqué à cet égard l’importance de recourir à des experts
étrangers.
De toute façon, la
problématique de l’Egypte est que tout son sous-sol est
plein d’antiquités pharaoniques, gréco-romaines (c’est toute
Alexandrie et même au fond de la mer) de quoi pousser
souvent à des fouilles illicites. Des archéologues de
fortune s’improvisent parfois et ont même recours à des
procédés bizarres dont la magie pour creuser. Une clause de
la loi interdit maintenant ce genre de fouilles, auparavant
c’était juste une décision du CSA. Il faut que ce soit des
missions étrangères reconnues ou des missions d’universités
qui peuvent fouiller, mais toujours sous la surveillance du
CSA.
Mettre de l’ordre donc face
parfois à des traditions tenaces. De nombreux habitants des
villages dans l’enceinte de lieux historiques, comme Saqqara
à Guiza et Gournah à Louqsor, ont la profonde conviction
qu’ils sont les propriétaires de ces pièces, puisque ce sont
celles de leurs « ancêtres ». Les habitants de Gournah ont
été déménagés, déportés selon certains d’entre eux, afin
d’éviter ce genre de fouilles. On rappelle à cet égard un
très beau film égyptien d’anthologie, La momie de Chadi
Abdel-Salam, qui évoque les fouilles de Gournah au XIXe
siècle faites par les habitants de la région. Pour eux, il
ne s’agissait pas de trafic autant que d’un droit de
propriété. Difficile à admettre de nos jours, mais qui
représente l’indice d’une situation complexe que sans doute
seul le CSA pourrait gérer.
Hala
Fares