Al-Ahram Hebdo, Afrique | Instrumentalisation politique
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 Semaine du 27 janvier au 2 février 2010, numéro 803

 

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Afrique

Nigeria. La ville de Jos (centre) vit toujours dans le traumatisme des récents affrontements religieux. Des raisons multiples expliquent cette flambée, récurrente, de violences.

Instrumentalisation politique

Traumatisés par les tueries qui ont fait des centaines de morts, des habitants de Jos (centre du Nigeria) et des villages environnants continuaient de fuir la région, malgré le retour au calme après plusieurs jours d’affrontements entre chrétiens et musulmans. Plusieurs véhicules chargés de sacs, transportant nombre de femmes et enfants, quittaient Jos ces derniers jours. Une longue file de voitures et d’autobus était visible en périphérie, où les soldats contrôlaient les passagers et les véhicules. « Les derniers jours ont été très traumatisants pour moi et mes deux enfants. Mon mari est à l’étranger et nous sommes restés cloîtrés à la maison sans eau ni nourriture, pendant que les tueries et les incendies faisaient rage dehors », a raconté une habitante qui s’apprêtait à partir. Un commerçant de 28 ans entassait des bagages dans un taxi. « Je pars rassurer ma famille qui vit à Jigawa (nord) et qui s’est terriblement inquiétée pour ma sécurité », a-t-il dit.

Les affrontements interconfessionnels, récurrents dans cette région, ont éclaté la semaine dernière à Jos et se sont étendus aux environs, pendant quatre jours. Aucun bilan officiel n’a été établi, mais il pourrait dépasser les 400 morts, selon des sources religieuses et des secouristes. Samedi soir, l’organisation Human Rights Watch a déclaré qu’« au moins 364 musulmans » sont morts dans les affrontements, après un décompte effectué auprès des responsables musulmans de Jos. Samedi, 150 corps ont été retirés de puits à Kuru Karama, un village musulman situé à 30 km de Jos. Vingt-huit corps supplémentaires ont été découverts dimanche, a annoncé le chef de Kuru Karama, Umar Baza. De son côté, le secrétaire de l’Association des chrétiens du Nigeria (CAN), le révérend Chung Dabo, a estimé qu’au moins 55 membres de sa communauté avaient été tués. L’Agence nationale de gestion des situations d’urgence (NEMA) a indiqué dimanche avoir recensé à cette date 213 femmes devenues veuves des suites des violences et 1 265 orphelins. Par ailleurs, selon l’agence, 4 000 personnes ont été accueillies dans des camps installés dans l’Etat de Bauchi, limitrophe de l’Etat de Plateau.

Un différend foncier entre deux propriétaires, l’un chrétien l’autre musulman, aurait déclenché les violences, mais les responsables des deux communautés ont dénoncé la carence du pouvoir fédéral et l’instrumentalisation des rivalités ethnico-religieuses au profit d’ambitions personnelles. Des renforts militaires ont été envoyés dans la région. Pour éviter un cycle de représailles, la sécurité a été renforcée dans plusieurs villes du nord (Kano, Kaduna, Maiduguri), une région à majorité musulmane, dominée par l’ethnie haoussa.

Raisons multiples

Les éruptions brutales de violences inter-religieuses et inter-ethniques au Nigeria, comme celles de Jos, sont une constante de la vie du Nigeria, qui compte 150 millions d’habitants sur fond de misère endémique et d’instrumentalisation politique. Une petite étincelle suffit à réveiller des clivages et déclencher des journées sanglantes : en novembre 2008, c’est le résultat contesté d’une élection locale, toujours à Jos, qui avait fait plus de 200 morts selon des sources officielles, 700 selon Human Right Watch. En septembre 2001, plus de 900 personnes avaient péri dans la même ville. Plus au nord, à Kaduna, 2 000 à 3 000 personnes ont été tuées dans des affrontements lors d’une manifestation de chrétiens contre la charia, la loi islamique.

Quelles que soient les raisons des flambées de violence récurrentes, le pouvoir fédéral est condamné à frapper fort, conscient des répercussions sur l’équilibre du pays, réparti pour moitié entre musulmans au nord et chrétiens au sud, estiment de nombreux diplomates et experts en sécurité. « C’est une crise de trop, capable de distendre un peu plus les liens de notre pays », déclarait le vice-président Goodluck Jonathan. Chrétien du sud, il assure l’intérim du pouvoir en l’absence depuis deux mois du président Umaru Yar’adua, musulman du nord, hospitalisé en Arabie saoudite depuis la fin novembre. C’est lui qui a envoyé l’armée à Jos et donné des consignes de fermeté, visiblement pour empêcher des représailles : la majorité des morts sont musulmans mais aussi, et peut-être surtout, d’ethnie haoussa, le grand groupe du nord.

L’Etat du Plateau, dont Jos est la capitale, est situé dans la région connue comme la « Middle Belt », où les plaques tectoniques religieuses et ethniques se soulèvent régulièrement. L’immigration haoussa vers cette zone centrale n’est pas nouvelle, mais dans un contexte de paupérisation croissante au nord, où douze Etats ont de surcroît instauré la loi islamique (charia) en 2000, la cohabitation devient de plus en plus difficile, juge un spécialiste. « Il ne s’agit pas d’une crise religieuse. La population de Jos est profondément divisée entre ethnies », affirme le secrétaire général du Conseil suprême des affaires islamiques du Nigeria, Lateef Adegbite. Et pour l’archevêque de Jos, Mgr Ignatius Ayau Kaigama, les véritables raisons sont à rechercher dans des luttes d’influence politico-économiques entre notables locaux. « Les Nigérians sont très croyants et certains personnages sans scrupules n’hésitent pas à utiliser la religion ou à jouer sur le levier ethnique », affirme-t-il. Et à chaque poussée de fièvre, des voix s’élèvent à longueur d’éditoriaux dans la presse pour dénoncer la carence du pouvoir fédéral et l’instrumentalisation des rivalités ethnico-religieuses au profit d’ambitions personnelles. Abuja, siège du pouvoir fédéral, est souvent accusé d’avoir trop longtemps fermé les yeux sur la montée au nord d’un fondamentalisme islamiste alors que, pour de nombreux observateurs, « le terreau est fertile ». « Ces manipulations politiques constituent une menace sérieuse pour l’unité nationale », avertit Shehu Sani, auteur d’un livre récent sur la violence religieuse dans le nord du Nigeria.

Hicham Mourad

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