Nigeria.
La ville de Jos (centre) vit toujours dans le traumatisme des récents
affrontements religieux. Des raisons multiples expliquent
cette flambée, récurrente, de violences.
Instrumentalisation politique
Traumatisés
par les tueries qui ont fait des centaines de morts, des
habitants de Jos (centre du Nigeria) et des villages
environnants continuaient de fuir la région, malgré le
retour au calme après plusieurs jours d’affrontements entre
chrétiens et musulmans. Plusieurs véhicules chargés de sacs,
transportant nombre de femmes et enfants, quittaient Jos ces
derniers jours. Une longue file de voitures et d’autobus
était visible en périphérie, où les soldats contrôlaient les
passagers et les véhicules. « Les derniers jours ont été
très traumatisants pour moi et mes deux enfants. Mon mari
est à l’étranger et nous sommes restés cloîtrés à la maison
sans eau ni nourriture, pendant que les tueries et les
incendies faisaient rage dehors », a raconté une habitante
qui s’apprêtait à partir. Un commerçant de 28 ans entassait
des bagages dans un taxi. « Je pars rassurer ma famille qui
vit à Jigawa (nord) et qui s’est terriblement inquiétée pour
ma sécurité », a-t-il dit.
Les affrontements
interconfessionnels, récurrents dans cette région, ont
éclaté la semaine dernière à Jos et se sont étendus aux
environs, pendant quatre jours. Aucun bilan officiel n’a été
établi, mais il pourrait dépasser les 400 morts, selon des
sources religieuses et des secouristes. Samedi soir,
l’organisation Human Rights Watch a déclaré qu’« au moins
364 musulmans » sont morts dans les affrontements, après un
décompte effectué auprès des responsables musulmans de Jos.
Samedi, 150 corps ont été retirés de puits à Kuru Karama, un
village musulman situé à 30 km de Jos. Vingt-huit corps
supplémentaires ont été découverts dimanche, a annoncé le
chef de Kuru Karama, Umar Baza. De son côté, le secrétaire
de l’Association des chrétiens du Nigeria (CAN), le révérend
Chung Dabo, a estimé qu’au moins 55 membres de sa communauté
avaient été tués. L’Agence nationale de gestion des
situations d’urgence (NEMA) a indiqué dimanche avoir recensé
à cette date 213 femmes devenues veuves des suites des
violences et 1 265 orphelins. Par ailleurs, selon l’agence,
4 000 personnes ont été accueillies dans des camps installés
dans l’Etat de Bauchi, limitrophe de l’Etat de Plateau.
Un différend foncier entre
deux propriétaires, l’un chrétien l’autre musulman, aurait
déclenché les violences, mais les responsables des deux
communautés ont dénoncé la carence du pouvoir fédéral et
l’instrumentalisation des rivalités ethnico-religieuses au
profit d’ambitions personnelles. Des renforts militaires ont
été envoyés dans la région. Pour éviter un cycle de
représailles, la sécurité a été renforcée dans plusieurs
villes du nord (Kano, Kaduna, Maiduguri), une région à
majorité musulmane, dominée par l’ethnie haoussa.
Raisons multiples
Les éruptions brutales de
violences inter-religieuses et inter-ethniques au Nigeria,
comme celles de Jos, sont une constante de la vie du
Nigeria, qui compte 150 millions d’habitants sur fond de
misère endémique et d’instrumentalisation politique. Une
petite étincelle suffit à réveiller des clivages et
déclencher des journées sanglantes : en novembre 2008, c’est
le résultat contesté d’une élection locale, toujours à Jos,
qui avait fait plus de 200 morts selon des sources
officielles, 700 selon Human Right Watch. En septembre 2001,
plus de 900 personnes avaient péri dans la même ville. Plus
au nord, à Kaduna, 2 000 à 3 000 personnes ont été tuées
dans des affrontements lors d’une manifestation de chrétiens
contre la charia, la loi islamique.
Quelles que soient les
raisons des flambées de violence récurrentes, le pouvoir
fédéral est condamné à frapper fort, conscient des
répercussions sur l’équilibre du pays, réparti pour moitié
entre musulmans au nord et chrétiens au sud, estiment de
nombreux diplomates et experts en sécurité. « C’est une
crise de trop, capable de distendre un peu plus les liens de
notre pays », déclarait le vice-président Goodluck Jonathan.
Chrétien du sud, il assure l’intérim du pouvoir en l’absence
depuis deux mois du président Umaru Yar’adua, musulman du
nord, hospitalisé en Arabie saoudite depuis la fin novembre.
C’est lui qui a envoyé l’armée à Jos et donné des consignes
de fermeté, visiblement pour empêcher des représailles : la
majorité des morts sont musulmans mais aussi, et peut-être
surtout, d’ethnie haoussa, le grand groupe du nord.
L’Etat du Plateau, dont Jos
est la capitale, est situé dans la région connue comme la «
Middle Belt », où les plaques tectoniques religieuses et
ethniques se soulèvent régulièrement. L’immigration haoussa
vers cette zone centrale n’est pas nouvelle, mais dans un
contexte de paupérisation croissante au nord, où douze Etats
ont de surcroît instauré la loi islamique (charia) en 2000,
la cohabitation devient de plus en plus difficile, juge un
spécialiste. « Il ne s’agit pas d’une crise religieuse. La
population de Jos est profondément divisée entre ethnies »,
affirme le secrétaire général du Conseil suprême des
affaires islamiques du Nigeria, Lateef Adegbite. Et pour
l’archevêque de Jos, Mgr Ignatius Ayau Kaigama, les
véritables raisons sont à rechercher dans des luttes
d’influence politico-économiques entre notables locaux. «
Les Nigérians sont très croyants et certains personnages
sans scrupules n’hésitent pas à utiliser la religion ou à
jouer sur le levier ethnique », affirme-t-il. Et à chaque
poussée de fièvre, des voix s’élèvent à longueur
d’éditoriaux dans la presse pour dénoncer la carence du
pouvoir fédéral et l’instrumentalisation des rivalités
ethnico-religieuses au profit d’ambitions personnelles.
Abuja, siège du pouvoir fédéral, est souvent accusé d’avoir
trop longtemps fermé les yeux sur la montée au nord d’un
fondamentalisme islamiste alors que, pour de nombreux
observateurs, « le terreau est fertile ». « Ces
manipulations politiques constituent une menace sérieuse
pour l’unité nationale », avertit Shehu Sani, auteur d’un
livre récent sur la violence religieuse dans le nord du
Nigeria.
Hicham
Mourad