Santé.
La contamination des canalisations d’eau potable a entraîné
une épidémie de typhoïde dans deux villages du gouvernorat
de Qalioubiya. Leurs habitants dénoncent le manque de
responsabilité des autorités. Reportage.
La
typhoïde sème la zizanie
C’est
à 60 Km du Caire dans le gouvernorat de Qalioubiya que se
trouvent Al-Baradea et Al-Kherqaniya. Depuis quelques jours,
la terreur se répand parmi les habitants de ces deux
villages. Raison : l’apparition d’une vague de typhoïde. «
Au début, il y a eu un cas. Nous avons cru qu’il était isolé.
Mais au fil des jours, le nombre de personnes atteintes par
cette maladie a nettement augmenté », déclare Amr Saqr, un
des habitants d’Al-Baradea. Il explique que pas une seule
maison de son village n’a été épargnée. « La maladie s’est
propagée comme une traînée de poudre et tout le monde y
passe », affirme Amr Saqr.
Tout
commence lorsque plusieurs habitants du village sont
atteints par des vomissements et des diarrhées, notamment
les femmes et les enfants. Des analyses montrent qu’ils sont
atteints de la typhoïde. Cette maladie infectieuse et
contagieuse, caractérisée par des troubles digestifs graves,
se transmet par contact direct à partir de malades ou
porteurs de germes, ou le plus fréquemment d’une manière
indirecte par l’eau et les aliments contaminés. Selon les
premiers rapports officiels établis par le ministère de la
Santé, il y aurait 60 cas, la plupart ont été hospitalisés
dans les hôpitaux de Qalioub et d’Imbaba et sont dans un
état stable. Mais pour les habitants, il y aurait beaucoup
plus de personnes atteintes.
Comme
beaucoup de villages du Delta, Al-Baradea vit de
l’agriculture. Le village, qui compte environ 40 000
habitants, n’a jamais eu accès à l’eau potable. Un réseau
d’eau avait été construit dans les années 1980, mais en
raison de défaillances (faisant que l’eau potable se
mélangeait à celle du drainage), il n’a jamais été
opérationnel. Il y a quelques mois, le gouvernorat de
Qalioubiya a annoncé que des travaux allaient avoir lieu
afin d’installer un nouveau réseau d’eau potable. Ces
travaux ont été confiés à la compagnie des Entrepreneurs
arabes. La compagnie a achevé les travaux et annoncé que
désormais les habitants pourraient utiliser l’eau potable. «
Mais lorsque nous avons ouvert les robinets, nous avons
constaté que l’eau avait une couleur jaunâtre », assure
Fouad Al-Olémi, instituteur. Et d’expliquer que les
habitants se sont plaints aux responsables. Mais la seule
réponse qu’ils ont obtenue a été : « Les travaux sont en
cours pour changer les tuyaux et remettre les choses en
ordre ». Durant deux semaines, les habitants ont consommé de
l’eau polluée, vraisemblablement mélangée à de l’eau de
drainage. Ceci pendant que les responsables de la compagnie
en charge des travaux se refusent à tout commentaire, se
contentant d’indiquer que « le réseau d’eau potable n’a pas
été encore mis en place », et que le gouvernorat de
Qalioubiya rejette toute responsabilité. Les responsables du
gouvernorat affirment en effet que la propagation de la
maladie est due à « l’utilisation des pompes à eau dont se
servent les habitants des deux villages ». C’est ce qu’a
affirmé d’ailleurs le gouverneur Adli Hussein. « Durant le
processus de renouvellement des vieux conduits d’eau
potable, les habitants ont utilisé des pompes primitives qui
utilisent les eaux souterraines. Des eaux généralement
contaminées par la présence de fosses septiques du drainage
», a affirmé le gouverneur. Même son de cloche chez Ibrahim
Abdel-Moëmin, chef de la municipalité qui fait porter la
responsabilité aux citoyens, car ils utilisent des sources
d’eau impropres ! « Le gouvernorat a décidé de supprimer les
pompes à eau qui se trouvent dans tous les foyers »,
explique-t-il. En effet, le gouvernorat a déjà fait retirer
13 pompes à eau cette semaine.
Mais
selon les habitants, il s’agit d’un prétexte. « Si la
maladie s’est propagée, c’est parce que nous avons consommé
de l’eau polluée. Si ce que les responsables disent est vrai
et que les pompes à eau en sont la cause, pourquoi donc
cette maladie ne s’est pas propagée dans nos villages par le
passé ? Ces pompes ont toujours existé. Pourquoi la maladie
n’a-t-elle fait son apparition qu’après le soi-disant
achèvement du nouveau réseau ? », demande Abdel-Raouf
Guirguis, un habitant d’Al-Baradea. Il ajoute que son
village utilise les pompes à eau pour cultiver la terre et
faire boire les animaux.
Centre
médical débordé
Guirguis, comme les autres habitants, critique les
responsables qui ignorent les problèmes des citoyens. « Cela
faisait des années que nous présentions des plaintes pour
installer un réseau d’eau potable et la décision n’a été
prise que récemment », assure-t-il. Quant à Ahmad
Abdel-Hamid, père d’un enfant infecté, il refuse le point de
vue officiel, selon lequel les pompes à eau sont
responsables de la maladie. « Les pompes à eau sont
innocentes dans toute cette affaire. Les responsables
cachent la vraie raison, les erreurs qu’ils commettent »,
affirme-t-il. Quant à Amr Qandil, chef de l’administration
centrale de la prévention au ministère de la Santé, il
affirme que le ministère a prélevé des échantillons d’eau
potable à partir de différentes sources et de maisons dans
les deux villages contaminés et que ces échantillons sont en
cours d’examen dans les laboratoires. Les résultats seront
annoncés dans les jours qui viennent.
Quoi
qu’il en soit les habitants se disent déçus, car leur
bonheur d’avoir un nouveau réseau d’eau potable n’a pas
duré. « Nous allons désormais revenir aux jerricans d’eau et
aux bidons vendus à des prix élevés après l’apparition de
cette maladie. La mafia de vente de l’eau potable reviendra
à nouveau dans notre village. On paye le jerrican 2 L.E. »,
assure Oum Ibrahim, habitante d’Al-Baradea. « Après la
grippe aviaire et la grippe porcine, voici la typhoïde »,
affirme pour sa part Adel Yéhia.
Le
centre médical d’Al-Baradea est de son côté débordé. Une
centaine d’habitants y sont hospitalisés pour seulement deux
ou trois jeunes médecins et deux infirmières. « La période
d’incubation du virus est de 7 à 10 jours. Il faut donc
s’attendre à ce que de nouveaux cas apparaissent la semaine
prochaine », explique le chef de l’unité médicale, Mohamad
Fargani. Il ajoute que le ministère lui a envoyé des
médicaments pour faire face à la crise, mais le centre
médical n’a pas la capacité d’accueillir tous les malades. A
l’hôpital d’Al-Kherqaniya qui doit recevoir les habitants,
les responsables ont fermé la porte de l’hôpital aux
journalistes et aux nouveaux malades, faute de place. Saïd
Marzouq, un villageois qui a été infecté, assure qu’il a été
hospitalisé avec sa famille après avoir eu une forte fièvre,
des vomissements et de la diarrhée, mais l’hôpital de
Qaliyoub ne lui donne aucun traitement car, selon lui, il
n’en a pas les moyens. « Je me suis rendu avec ma famille à
l’hôpital d’Imbaba pour recevoir le traitement. Mais on nous
a dit qu’il n’y avait pas de place. Alors j’ai été obligé de
payer plus de 500 L.E. pour avoir le traitement à mes
propres frais », affirme Saïd. Il ajoute que la plupart des
villageois sont pauvres et n’ont pas les moyens de payer le
traitement.
La
typhoïde affecte chaque année 16 millions de personnes dans
le monde. Environ un demi-million en meurent. La maladie
touche les enfants en particulier, notamment dans la tranche
d’âge allant de 5 à 19 ans. Dans la plupart des cas, la
fièvre de la typhoïde n’est pas fatale et peut être traitée
avec des antibiotiques. Mais en cas d’absence de traitement,
la fièvre dure entre trois semaines et un mois, et la mort
survient dans la proportion comprise entre 10 et 30 % des
cas qui n’ont pas reçu de traitement.
Ola
Hamdi