Irrigation.
Les paysans de la province Hafir Chéhabeddine, dans le
gouvernorat de Daqahliya, manifestent pour la cinquième fois
contre une pénurie d’eau d’irrigation qui persiste depuis un
mois. Reportage.
Le
Delta menacé de désertification
Jeudi,
une centaine de paysans de la province Hafir Chéhabeddine se
sont rassemblés devant le siège du gouvernorat de Daqahliya
afin de protester au nom de 6 000 paysans contre
l’interruption de l’eau d’irrigation depuis un mois. Ceci a
provoqué le dessèchement d’une superficie de 30 000 feddans
des terrains agricoles de cette province, et la
détérioration de la culture, notamment de riz, de maïs et de
coton.
C’est la
cinquième manifestation du genre à Hafir Chéhabeddine au
cours des deux dernières semaines. Les paysans réclament une
rencontre avec le gouverneur de Daqahliya pour qu’il
intervienne, en personne, à leur faveur et régler ce
problème récurrent, une fois pour toutes. « A chaque fois
que nous essayons de rencontrer le gouverneur, la sécurité
nous empêche. Nous ne savons pas à qui nous adresser pour
sauver nos terres. Nous avons envoyé des plaintes au
président de la République et à nos députés parlementaires.
En vain. Nous n’avons reçu aucune réponse. Personne ne veut
réagir », lance Mahmoud Al-Saïd, un manifestant. Il explique
qu’il ne s’agit pas uniquement de leurs terres et de leurs
cultures. « C’est toute notre vie qui est en jeu. Les 6 000
paysans de Hafir ont tous des dettes à rembourser à la
coopérative agricole et à l’Organisme de la bonification des
terres. Ils comptent sur leurs récoltes pour honorer ces
échéances. Cette pénurie d’eau d’irrigation peut simplement
les amener en prison », se lamente Al-Saïd.
Un
paysage digne d’un désert
En
sillonnant le village, on constate que les espaces verts se
raréfient. Lézardés de fissures, les terrains agricoles
offrent une image désolée. A défaut de verdure, ce sont des
étendues couvertes de végétations mortes qui s’offrent aux
yeux. Le désespoir des habitants est apparent. « Même si
l’eau nous parvient aujourd’hui, la terre est morte. Elle ne
sera pas cultivable avant l’hiver et les engrais nécessaires
à sa fertilisation nous coûteront cher », souligne Abdel-Hafez
Ali, paysan et propriétaire de 5 feddans. Il y avait déjà
investi la somme de 10 000 L.E. en préparation pour cette
saison d’été. « Je ne sais pas comment ma famille et moi
allons survivre les prochains mois, ni comment je
parviendrai à rembourser mes dettes dont les intérêts
annuels s’élèvent à 14,5 % ! », s’interroge Ali.
En dépit
des objections et des plaintes incessantes, le problème de
la pénurie d’eau d’irrigation persiste. Face à
l’intransigeance du gouverneur et des responsables qui
refusent de rencontrer les paysans et de régler leur
problème, la colère de ceux-ci a atteint son apogée.
Certains menacent d’entamer une grève de la faim, d’autres
envisagent de couper l’autoroute pour attirer l’attention
des responsables et surtout des médias.
Les
paysans de Hafir Chéhabeddine avaient bénéficié de la
réforme agraire entreprise sous l’ancien président Gamal
Abdel-Nasser. Ils sont propriétaires chacun de 5 feddans
qu’ils cultivent. Pour l’irrigation, ils dépendent du canal
Al-Islah provenant du Nil. Le problème d’irrigation s’est
manifesté il y a 15 ans, lorsque le gouvernorat de Daqahliya
avait décidé de distribuer les eaux du canal à deux autres
agglomérations, celles de Demyana et de Satamoni, réduisant
ainsi sensiblement le quota de Hafir.
Les
paysans en difficulté n’ont qu’une seule explication à cette
décision. « Les deux agglomérations qui ont eu leur quota
aux dépens de nous abritent des terrains appartenant à des
députés du PND (Parti National Démocrate, au pouvoir) »,
affirme Mohamad Al-Charqawi, paysan. Une explication
plausible pour la majorité des gens. Charqawi ajoute que le
manque d’eau leur a porté un grand préjudice, surtout que le
riz, leur principale culture, consomme des quantités
importantes d’eau. Pour remédier au problème, le
gouvernement a obligé le gouvernorat limitrophe de Kafr Al-Cheikh
de combler le manque en eau « des voisins ». Une solution
qui dépassait la courtoisie entre voisins et qui,
naturellement, n’a réglé le problème de Hafir que sur le
papier. « La province de Hafir dépend officiellement de
Daqahliya. Son problème d’irrigation ne concerne plus Kafr
Al-Cheikh. Nous n’avons pas de surplus d’eau à donner. Ce
serait au détriment de nos paysans qui cultivent également
du riz », confirme le responsable du département
d’irrigation à Kafr Al-Cheikh.
Pour
aggraver davantage une situation déjà précaire, le
gouvernorat de Daqahliya a décidé, en 2001, de réduire le
quota de Hafir des eaux du canal Al-Islah. « Le problème
s’aggrave en été, entre mai et août. Durant cette période,
les responsables d’irrigation ont pris l’habitude de nous
donner des promesses en l’air. Ils essayent de nous faire
taire en ouvrant le robinet pendant 3 ou 4 jours
supplémentaires, qui sont habituellement suivis par une ou
deux semaines de sécheresse quasi absolue », s’insurge Abdel-Nasser
Allouch, paysan dont sa récolte du riz se détériore de jour
en jour.
Conversion
Comme
beaucoup de paysans, Allouch a pris la décision de ne plus
cultiver de riz et d’opter pour d’autres cultures comme le
maïs qui consomme moins d’eau.
Une
conversion qui représente pour eux une vraie faillite, étant
donné le rendement financier relativement très avantageux de
la riziculture. Un feddan de riz rapporte 36 000 L.E.
pour un investissement d’à peine 500 L.E.
Côté
gouvernemental, Al-Husseini Ibrahim, secrétaire du
gouvernorat de Daqahliya, affirme que les paysans ne vont
jamais résoudre leur problème à travers les manifestations.
« Le problème de Hafir Chéhabeddine est plutôt d’ordre
géographique. La province se trouve à cheval entre les
gouvernorats de Daqahliya et de Kafr Al-Cheikh », se défend
le responsable qui promet une solution sans en révéler les
détails. Sauf une peut-être, « toute indemnisation est
exclue ».
Héba
Nasreddine