Enfance.
Une ligne téléphonique de secours concernant cette tranche
d’âge existe depuis trois ans. Les appels reçus reflètent un
aspect important du malaise social ambiant.
SOS 16 000
1,23
million d’appels reçus sur la ligne de secours de l’enfant
au cours des trois dernières années. Depuis 2006, la ligne
est en fonction. C’est au numéro 16 000 qu’on peut appeler
pour s’informer ou porter assistance à un enfant contre
n’importe quel danger, maltraitance ou violence. La ligne,
qui couvre les 29 gouvernorats de l’Egypte, dépend du
Conseil national de l’enfance et de la maternité. Dans une
petite pièce au troisième étage sont réunies une dizaine de
personnes. Des psychologues et sociologues des deux sexes,
les yeux fixés sur un écran, la main posée sur le combiné,
ils reçoivent les appels. Une sonnerie brise le silence
régnant dans la pièce et la personne qui reçoit le signal
rouge sur son écran décroche. C’est à Radwa de répondre : un
père téléphone pour savoir comment réagir avec son fils en
crise d’adolescence. Il a découvert qu’il se droguait,
volait de l’argent et passait des mois hors de la maison.
Après l’avoir bien écouté, Radwa lui pose quelques
questions, puis lui demande d’attendre pour organiser un
entretien immédiat avec lui en présence d’un psychiatre et
d’elle-même. Une fois l’appel terminé, Radwa vérifie si elle
a bien inscrit toutes les informations sur son ordinateur. «
Je dois suivre ce cas durant quelques jours pour savoir
comment évoluent les choses avec le père et vérifier si les
conseils du psychiatre ont porté leurs fruits, ou si le père
a encore besoin de notre aide », dit Marwa, en ajoutant
qu’elle ne peut clore aucun dossier tant que le problème
n’est pas résolu. Selon Chérif Abou-Chadi, chercheur en
statistiques, les consultations psychiatriques sont à la
tête des appels, elles en représentent 55 %. Ce genre
d’appels, ainsi que ceux qui concernent les enfants de la
rue et les urgences médicales, sont les trois genres de
coups de fil qui nécessitent un entretien à trois. Une
nouvelle sonnerie retentit, c’est Ali qui décroche, personne
au bout du fil, la ligne reste pourtant ouverte. Ali attend
quelques minutes avant de poser le combiné. « Même si la
personne ne répond pas, ou désire faire du harcèlement par
téléphone, on ne ferme pas la ligne tout de suite, car
peut-être cela peut nous mener à détecter un cas d’enfant
qui a besoin d’assistance et c’est ce qui arrive le plus
souvent », dit Ali. Il cite l’exemple d’une dame qui les a
appelés pour signaler que probablement sa voisine et son
mari ont tué leur petite fille. Cette femme a précisé
qu’elle entendait beaucoup de bruit chez eux, l’enfant
criait tout le temps et appelait au secours. Puis, un jour,
les parents ont annoncé la mort de leur fille après être
tombée de son lit. Ali confie n’avoir pas négligé cette
histoire. Et bien que la fille ait été enterrée, la police a
déterré le corps pour faire une autopsie. Résultat : la dame
qui a appelé avait raison, la fille a succombé, victime de
la maltraitance de la part de son beau-père. Ce dernier a
été condamné à 10 ans de prison. Ali affirme que dans ce
local, chaque appel est pris au sérieux et l’on fait tout le
nécessaire, même si par la suite l’on découvre que rien
n’est vrai, car il n’est pas question de courir le risque de
ne pas sauver un enfant.
Douze responsables reçoivent les coups de fil, en plus des
volontaires, 35 coordinateurs entre le conseil et les
différents ministères, et 179 délégués travaillant pour
différentes ONG partout dans le pays. Une équipe qui
travaille de plein cœur et à longueur de journée. Pas de
congés ni de jours fériés, sauf un système de permanences,
afin de reposer le staff. Le téléphone n’arrête pas de
sonner, des problèmes de maltraitance, d’abus sexuels, de
harcèlement, des crises d’adolescence, les supplices des
enfants sont nombreux, ils éclatent dans cette petite pièce.
Manal Chahine, responsable de la ligne de secours des
enfants, explique qu’après trois ans de travail et avec tous
les appels reçus, cette ligne de secours est devenue comme
un miroir qui reflète l’état de la famille et la société
toute entière. Elle ajoute que la catégorie d’âge d’enfants
la plus confrontée aux problèmes se situe entre un jour et
six ans, c’est presque 30 % des appels. En général, ces
derniers souffrent du manque de couveuses, du manque
d’hygiène ou de problèmes de rentrée scolaire. 17 % entre 7
et 9 ans et 24 % concernent les enfants entre 10 et 12 ans
qui souffrent de maltraitance de la part de la famille ou
des enseignants et du problème de l’excision. Quant à ceux
qui ont entre 13 et 15 ans, ils représentent 18 % des
appels. Ce sont surtout des problèmes dus à la crise
d’adolescence ou à la drogue.
L’importance de la médiatisation
En
effet, ces chiffres diffèrent et varient suite à la
couverture médiatique réservée à une question qui est mise
en exergue. Cela a été confirmé lorsque tous les médias
parlaient de harcèlement. Le nombre d’appels reçus avait
dépassé les normes, tous se plaignaient de cela. La même
chose s’est répétée lorsqu’on avait abordé le sujet des
crimes d’enfants ou du problème de l’excision.
« Dès qu’on reçoit un appel, on contacte immédiatement le
ministère ou la direction concernés par le problème, à
travers nos représentants se trouvant dans les quatre coins
du pays. On doit recevoir une réponse immédiate, car si le
problème n’est pas résolu rapidement, on demande à ce qu’une
enquête soit faite dans cette direction pour en connaître la
raison », dit Chahine en appuyant sur l’importance de cette
ligne et sa contribution auprès du Conseil de l’enfance et
de la maternité sous la surveillance de la première dame.
Chahine confie que ce prestige donne un grand pouvoir aux
délégués de la ligne pour donner une confiance à tout le
monde et résoudre les problèmes.
Mais on ne nie pas qu’il y a quand même des ministères qui
ne déploient pas de grands efforts pour collaborer, à
l’exemple de la Solidarité sociale qui met trop de temps et
dresse des obstacles avant de réagir. Les aides psychiques
présentées à travers la ligne constituent les 40 %, donc la
majorité. Ensuite viennent les services d’informations
autour de l’excision, puis ceux autour de l’hygiène, de
l’assurance sociale et l’éducation. Cependant, il y a des
gens qui appellent juste pour parler, s’éclater et c’est
tout. Des gens, comme explique Chahine, qui sont stressés et
ont besoin de dialoguer avec quelqu’un. En écoutant les
parents, on présente un service indirect aux enfants, car si
le père et la mère sont soulagés, ils seront sans doute
moins violents avec leurs enfants. Un autre coup de fil,
quelqu’un décroche, c’est un homme qui représente tous les
habitants de sa rue et qui appelle pour que les responsables
de la ligne leur trouvent une solution concernant les
bouches d’égouts restées ouvertes et que l’on trouve
partout. « Elles représentent un grand danger pour nos
enfants », c’est le mot-clé qui a fait réagir tout de suite
les responsables de la ligne de secours, qui par la suite se
sont dirigés vers la municipalité du quartier pour demander
à ce qu’on les bouche immédiatement. En fait, le concept du
secours de l’enfant est vraiment vaste, alors que la ligne
reçoit des appels qui demandent de secourir les chiens
errants ou qui se plaignent des classes sans fenêtres, des
écoles avec des portes qui ne se ferment pas, des élèves qui
font l’école buissonnière. Et même si ce sont des problèmes
qui concernent les enfants indirectement, la ligne doit les
résoudre. Manal Chahine affirme que le nombre d’appels reçus
est en recrudescence d’une année à l’autre et aussi le genre
de plaintes diffère. Des indices qui reflètent que les gens
ont de plus en plus confiance dans cette ligne qui présente
des services crédibles et efficaces, ce qui montre que les
gens sont devenus plus avisés. « On trouve de plus en plus
de gens qui appellent pour s’informer sur la crise
d’adolescence, l’excision ou la manière idéale pour éduquer
les enfants, et même d’autres sujets dont on ne discutait
jamais. Aujourd’hui, cela se fait automatiquement comme si
on y était habitué », dit Chahine, en affirmant qu’elle
considère cela comme un grand succès pour la ligne, surtout
que 95 % des gens qui appellent sont d’un niveau social et
éducatif modeste.
Une affaire de société
Fièrement,
elle poursuit que la ligne contribue au changement de la
société. Une preuve, la plus récente, c’est la nouvelle loi
de l’enfant qui vient d’être annoncée. Grâce au rôle que
joue la ligne comme intermédiaire entre les enfants et leur
monde et société, cette loi s’est basée sur les souffrances
réelles des enfants et les besoins que la ligne a soulignés
aux responsables qui doivent instaurer la loi. « On a
travaillé ensemble car on touche aux véritables souffrances
des enfants de très près », dit Chahine. Cette dernière
affirme, après son expérience de trois ans, que la loi seule
ne peut pas résoudre les problèmes des enfants, car ils ne
concernent pas seulement cette catégorie, même si elle est
la plus menacée et la plus touchée, la situation concerne la
famille égyptienne et la société en général. « Je suis déçue
par la quantité de violence adressée contre les enfants,
soit dans la famille, l’école ou la rue. Si on ne profite
pas de ces réalités qu’on voit maintenant très clairement
devant nos yeux, cela peut nous entraîner tous vers un fossé
sans fin », achève Chahine.
Hanaa
Al-Mekkawi