Al-Ahram Hebdo, Visages | Elias Rahbani,
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 2 au 8 décembre 2009, numéro 795

 

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Visages

A 71 ans, l’auteur, compositeur et interprète Elias Rahbani, illustre membre d’une famille qui a marqué de son empreinte l’histoire artistique du Liban, multiplie les productions avec les grands noms de la musique et de la chanson.

L’effervescence continue

Dans les studios Elias Rahbani, situés à Naccache dans la banlieue de Beyrouth, on se retrouve très vite plongés dans l’univers de l’artiste. Le sous-sol représente son monde, là où il passe sa journée entre ses œuvres, toutes accrochées sur un tableau d’honneur. Autant de points et de distinctions qui marquent une carrière riche et abondante. C’est l’endroit où les répétitions des chansons, de la musique et des pièces de théâtre ont lieu. Cette abondance de biens ne nuit pas, dit-on, car chaque œuvre a une histoire, sa propre histoire, avec son auteur, qu’il évoque avec amour et entrain, allant souvent à la fredonner pour être tout près d’elle. Son dernier album, Bonjour Colette, est sa propre création. Des paroles à la musique, jusqu’aux arrangements, en passant par le mixage et les enregistrements. Six chansons en français et le reste en arabe. Qui est Colette ? « C’est une personne que j’ai rencontrée par hasard, il y a une dizaine d’années. Depuis, elle est restée dans ma mémoire », dit-il. Elle est devenue une belle chanson. De même pour Bickfaya, qui immortalise la région d’estivage de son enfance. « Dans cette ville, des garçons et des filles se baladaient dans les rues, sans soucis. Les chansons de Charles Trenet, Yves Montand, Line Renaud, Edith Piaf, Patachou et beaucoup d’autres, diffusées par une petite discothèque, nous parvenaient à travers une brume transparente, mêlées aux amours naissants de la jeunesse d’alors. Depuis, Paris et Bickfaya sont devenues le soleil de mon imagination », évoque l’artiste dans son album de douze chansons dédiées à l’intention de la ville lumière, l’Amoureux de Paris. Amoureux de Paris ? Certainement. Mais ce que beaucoup ignorent également, c’est l’autre œuvre qu’Elias a conçue spécialement et offerte à la francophonie, lors de son sommet à Beyrouth. L’hymne du Liban à la francophonie, paroles de Jean-Claude Boulos, musique et direction d’orchestre d’Elias Rahbani. On aurait souhaité entendre cet hymne cette année à l’occasion des VIes Jeux de la francophonie, ou encore au 16e Salon du livre francophone. Il n’y a ni pourquoi ni un comment à cette omission. Même si « on vient des quatre coins du monde, animés d’une foi profonde. Francophonie, tu réunis toutes les races, toutes les classes ». Ainsi débute cet hymne d’amour qui a fait dire au président de l’organisation à l’époque, Christian Lebon : « Nous avons été enthousiasmés par la qualité de votre texte et la richesse de votre mélodie ». Alors, l’on est bien en droit de se demander : pourquoi cet oubli ? Elias avait pourtant qualifié la francophonie de « la mère des découvertes … mère de la liberté, l’égalité, le respect des valeurs humaines … la joie et l’amour ... ».

Dans un autre album, Eliott Ross chante Allah, que je t’aime et la guerre est finie, qui a remporté le second prix en 1969, à Athènes. Là aussi, les paroles, musique, mixage et arrangements sont d’Elias, ainsi que l’enregistrement. C’est dire l’attache toute particulière que l’artiste a pour ses studios, son refuge salutaire. Ils ne sont d’ailleurs pas loin de son domicile situé dans le même immeuble, au 4e étage. Joliment installés au sous-sol, c’est là qu’il nous reçoit avec une simplicité sans pareille, un sourire charismatique et une confidence spontanée venant tout droit du cœur.

Il est vrai que ses studios constituent son refuge, mais il est encore plus vrai que la maison conjugale demeure son principal et dernier recours. C’est là où réside toute sa force, où il puise tout son amour, sa raison de vivre. « Nous sommes une famille très unie. Nina est tout pour moi. Si je meurs et retourne un jour à la vie, je n’épouserai qu’elle », assure-t-il. Avec leurs deux fils, Ghassan (Visages Al-Ahram Hebdo no°718) et Jad, tous deux dans le métier, la famille est bien soudée.

On naît poète, on devient orateur, disait Cicéron. Pour Elias Rahbani, on naît doué et on devient artiste. « L’âge ne compte pas, il n’est rien. L’important réside dans l’âme », assure-t-il.

Avec plus de 3 000 chansons et la musique de 30 films, sans compter plus d’une quinzaine de feuilletons télévisés, 11 pièces de théâtre et une cinquantaine de CD, entre autres, Elias Rahbani a bien le droit de s’enorgueillir de ce palmarès. Il mérite bien une distinction plus qu’honorifique, réussissant à élever son pays au rang de l’universel. D’ailleurs, il le proclame haut et fort : « Ma musique est universelle parce qu’elle est écoutée et appréciée par tout le monde ».

Des réalités, non des mots. Mais l’artiste n’a pas voulu gagner la gloire au détriment de son pays. Durant la guerre civile, les Français lui ont proposé, contrat sur table, une offre des plus alléchantes à Paris. Mais Elias avait les larmes aux yeux. Devant l’étonnement du Français, il avoue : « Comment pourrai-je admirer chaque soir le coucher du soleil comme je le fais ici ? ». Confidences touchantes, l’artiste a préféré sacrifier le bien-être et la gloire pour rester dans son pays. Et les occasions ne manquent pas. Si ce n’est pas le voyage, ce sont ses droits d’auteur qui sont souvent violés. « Parfois, le mal n’arrive qu’à travers les personnes qui sont proches de vous et non pas l’ennemi », souligne-t-il avec amertume. Un patrimoine universel figé et des personnes stupéfaites de la résignation de l’artiste. « Mais Elias, que faites-vous encore au Liban ? », lui demandaient-elles. Et comme nul n’est prophète en son pays, Elias ne faisait qu’accumuler compositions musicales, pièces de théâtre, programmes de radio et télé et tournées à travers le monde entier. Il est toujours heureux et en paix avec lui-même.

Son enfance a été rongée par la perte de son père. Il n’avait que cinq ans. « Je me suis consolé, car j’ai eu l’occasion d’avoir deux pères affectueux, Assi et Mansour ». « Ces jours-ci, cette scène émouvante me revient en mémoire, confie l’artiste. Mon père gérait son restaurant à Antelias. Ce jour-là, c’était Noël, mon père était fatigué, malade. Son ami était à son chevet, moi aussi. Mais on ne tarda pas à me faire sortir de la chambre pour ne pas assister à son décès », dit-il tout ému. Il était le benjamin de la famille avec ses deux frères, Assi et Mansour, et ses trois sœurs Salwa, Nadia et Elham.

Elève du Collège des apôtres, à Jounieh, banlieue de Beyrouth, il intègre en 1954 l’Académie libanaise de musique et en 1955 le Conservatoire national, suivis de cours particuliers de musique pendant dix ans avec deux professeurs français : Michel Bourgeot pour le piano et Bertrand Robillard pour la composition. A 19 ans, il décroche un contrat avec la BBC et devient le conseiller musical de Radio Liban et pour d’autres compagnies étrangères telles que Philips, Parlophone, Polydor, Decca et Rahbania, entre autres. Auteur et compositeur de musique classique, pop, rock et orientale, il introduit en 1960 la nouvelle méthode d’enregistrement en studio au Moyen-Orient. Mais l’artiste est également l’auteur d’un livre de poèmes, The Window of the moon. En 1961, il promeut la chanson libanaise en langue française.

En 1962, il épouse Nina, qui a reçu en 1974, au Caire, le prix du Centre catholique du cinéma pour le scénario du film Hatta akher al-omr (jusqu’à la fin de la vie). D’Egypte, l’artiste garde de très bons souvenirs mais aussi, et surtout, de très bonnes impressions sur son cinéma. « Un projet de concert musical à l’Opéra du Caire est à l’étude. Gardée dans mes tiroirs depuis 1988, le rideau s’est enfin levé sur la pièce musicale Ilah ». Réalisée par son fils Ghassan, elle a été donnée le 25 novembre 2009 au Palais des congrès au cœur de Beyrouth pour rassembler tous les Libanais. Libanais, arabes ou étrangers, Elias ne compte que des amis dans son entourage « car je suis guidé par l’amitié et le pardon, ajoute-t-il. Si je fâche une personne, je n’hésite pas tel un enfant en toute innocence à la consoler pour pouvoir dormir en paix ».

Elias Rahbani ne dort pas seulement en paix, il vit aussi sa journée paisiblement entouré de son épouse, de ses fils et de ses petits-enfants, sans compter ses amis. Cette paix se reflète sur son visage d’enfant, illuminé et souriant, alors qu’il vient de franchir le beau cap des soixante-dix ans.

Mireille Bouabjian

 

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Jalons

23 juin 1938 : Naissance à Antelias, Beyrouth.

1954-1955 : Etudes a l’Académie musicale libanaise.

1955-1956 : Etudes au Conservatoire national.

1962 : Mariage avec Nina Khalil.

2003 : Ordre du Cèdre décerné par le président Emile Lahoud.

2007 : Représentation d’Al-Andalos, jawharat al-alam, au Qatar.

25 novembre 2009 : Présentation de la pièce Ilah au Palais des congrès, à Beyrouth.

 

 

 




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