Initiative.
Dans le
but d’initier les enfants à la lecture, plusieurs
bibliothèques en Egypte organisent un rendez-vous
hebdomadaire pour les jeunes âgés de 4 à 12 ans. Ces séances
de contes rencontrent un succès auprès de ces chérubins
assoiffés de savoir et de connaissances. Reportage.
Il
était une fois …
«Combien
d’entre vous voudraient écouter une belle histoire … ? »,
lance aux enfants Hayssam, le conteur. Ils répondent tous
d’une voix pleine d’enthousiasme :
« Moi …
moi … et moi … ». « Ouvrez vos oreilles et fermez vos
bouches ». Hayssam esquisse un petit sourire avant de
commencer à raconter l’histoire de cet après-midi.
« Il
était une fois un petit garçon très appliqué et assidu. Il
était toujours premier en classe. Il a déployé de grands
efforts pour faire des recherches en physique et en chimie
et il est devenu un grand savant ». Puis avec beaucoup
d’assurance, Hayssam pose quelques questions aux enfants : «
Qui est-ce ? Est-ce que l’un d’entre vous le connaît ? ».
Les uns répondent « oui » d’autres « non ». « Venez ...
cherchez dans les livres ... Le voilà ... C’est Ahmad Zoweil
». « Savez-vous les enfants que Zoweil a écrit deux livres
dont Un voyage à travers le temps ? Ce livre constitue une
référence de taille pour ceux d’entre vous qui s’intéressent
à la science ». Hayssam continue de donner des détails
importants sur ce savant égyptien lauréat du prix Nobel en
chimie. « Zoweil, il a fait quoi d’autre ? », demande un
garçon intéressé par l’histoire. « Il a inventé un
dispositif qui peut filmer le mouvement des molécules de
l’atome dans un temps minime, appelé le femtoseconde. Cette
unité de temps inimaginable n’a jamais été mesurée
scientifiquement », ajoute Hayssam.
Ce jeune
a l’habitude de raconter son histoire en posant des
questions à ses jeunes auditeurs. Une méthode qui permet de
susciter leur curiosité et de faire participer les enfants à
cette séance de lecture unique en son genre. « Cette
technique encourage les enfants à s’exprimer, leur permet de
suivre plus facilement et retenir des détails importants »,
explique Hayssam.
Galset
hakey, une expérience lancée par la bibliothèque Al-Shourouk
depuis trois ans, intéresse les enfants de tous les âges.
L’équipe de la bibliothèque de Mohandessine, récemment
construite, a tenu à consacrer tout un étage pour la séance
Galset hakey, ou récits conçus pour enfants.
Mais
avant son installation, l’idée a été appliquée dans les huit
autres branches éparpillées dans les différentes villes
d’Egypte. En effet, c’est Amira Aboul-Magd, femme d’Ibrahim
Al-Moallem, propriétaire de la maison d’édition Al-Shourouk
et fondateur des bibliothèques Dar Al-Shourouk, qui a eu
l’idée d’organiser des séances de contes au sein des
bibliothèques Al-Shourouk. Elle a vu dans cette expérience
une chance pour que l’enfant puisse développer une passion
pour la lecture, une culture quasi absente dans les foyers
égyptiens étouffés par un système d’éducation dans nos
écoles qui prône le parcœurisme.
D’ailleurs, transmettre le goût et l’amour de la lecture dès
l’âge de 4 ans est l’objectif de ce projet. Ensuite, cela
devient une habitude chez n’importe quel enfant. « Demander
à un gosse de 13 ans de tenir un livre serait plus compliqué
», explique Hayssam. La bibliothèque Al-Shourouk est garnie
de toutes sortes de livres, c’est là où l’on trouve des
contes pour enfants en arabe, en français et en anglais.
« L’idée
a germé lorsque des centaines de mamans venaient à la
bibliothèque pour chercher des histoires qui vont de pair
avec l’âge de leurs enfants. Elles n’étaient pas capables de
choisir le conte correspondant à leur enfant. D’autres se
plaignaient du désintérêt des leurs quant à la lecture »,
lance Amira Aboul-Magd.
En effet,
l’idée de ces séances de lecture destinées aux enfants ne
cesse de se propager en Egypte. De nombreuses bibliothèques
ont ouvert leurs portes les vendredis, congé hebdomadaire
pour tous les élèves, dans ce but. Des bibliothèques
publiques, privées et des centres culturels ont tenu à
l’appliquer, que ce soit en arabe ou en langues étrangères.
Le CFCC,
un autre exemple
La
scène se déroule dans une salle de contes du Centre Français
de Culture et de Coopération (CFCC). Au 2e étage, on a, un
peu, l’impression que nous sommes dans une classe scolaire.
Mme Marianne distribue aux enfants le conte de ce vendredi.
« Ouvrez la page 2 ... 7 ... 10 ... Tournez la page ... Nous
sommes à la page 20 les enfants ... ». Chaque enfant
s’assoit sur une chaise. Il suit avec le doigt. Mme Marianne
lit pour la première fois l’histoire Minouche et le lion de
la collection J’aime lire. Ensuite, elle fait fonctionner la
cassette pour que les enfants écoutent la même histoire une
2e fois. Enfin, « regardez pour la dernière fois ... Jetez
un coup d’œil sur la couverture ... Maintenant, fermez les
livres ... Je vais les ramasser. Maintenant, c’est le temps
du concours entre filles et garçons ... Je demande une
question et vous n’avez qu’à trouver la bonne réponse ...
Allez ... C’est ton tour Lina ». Comme Lina ne connaît pas
la réponse, Fadi lève le doigt. « Faites attention les
filles, le groupe A est en avance sur le groupe B d’un point
», dit Marianne en encourageant les jeunes participants.
Cette
rencontre hebdomadaire est à la fois culturelle, littéraire,
artistique et sociale et une scène que l’on ne rencontre ni
dans les écoles, ni dans les clubs, tellement l’ambiance est
chaleureuse. A la fin de la séance, les enfants font du
dessin, du coloriage et du bricolage qui sont une partie
intégrante de cette heure exceptionnelle. « On a acquis des
choses qui resteront gravées dans notre mémoire à jamais »,
confie Nesma, une fille de 12 ans.
Comme
chaque vendredi, beaucoup de parents viennent accompagner
leurs enfants.
Les
petits font tout leur possible pour assister à ces séances.
« J’ai assisté à une galssa sur Ahmad Zoweil. Mais le jour
où il a rendu visite à la bibliothèque, j’avais des
compositions et ma maman a refusé que j’y aille. J’espère
devenir un jour un génie comme lui », lance Mazen, 10 ans,
déçu de n’avoir pas eu cette chance de rencontrer Zoweil en
visitant la bibliothèque un jour. Mazen est un élève à
l’école Manor House. Il aime la lecture. Il est passionné
par les sciences. Une raison pour laquelle il fait tout son
possible pour venir chaque vendredi en vue d’assister aux
deux heures de contes. Les livres de contes servent à
développer l’imagination. Les enfants y prennent goût :
l’aventure, les passages insolites ou passionnants de
l’histoire, l’interaction entre petits et grands, tout cela
encourage les enfants à s’exprimer et donner leur point de
vue de façon très simple.
«
Dépêchez-vous, la séance va commencer dans cinq minutes »,
lance une fille à ses copines. Tous les enfants sont
contents de passer une ou deux heures en compagnie de leurs
amis. « Ce n’est pas agréable de jouer seule à la maison ou
au club lorsqu’on n’a ni frère ni sœur … Ici, j’ai
l’occasion de faire la connaissance d’enfants de mon âge. Je
les rencontre tous les vendredis et je peux jouer avec eux
», dit Sandra, 8 ans, fille unique.
Le conte
comme alternative
«
Les enfants apprécient ces séances, contrairement à ce qui
se passe à l’école où ils étudient l’histoire d’un livre
parce qu’elle fait partie intégrante du programme scolaire.
Et donc cela ne les emballe guère », dit franchement Mona
Mokhtar, directrice de la bibliothèque Al-Shourouk.
Tatiana
Weber, présidente du CFCC d’Héliopolis, affirme que les
enfants acquièrent des informations et des connaissances et
ce, en apprenant à travers le jeu ou par le truchement de
l’heure du conte, des films projetés pour enfants et des
dessins animés ...
« A
partir du mois prochain, les enfants vont jouer sur la
planche du théâtre les contes qu’ils ont écoutés au sein des
séances ou pourront manipuler des marionnettes (personnages,
animaux, désert ... ) qui ont une relation étroite avec les
personnages des contes », explique-t-elle.
Ces
séances d’une heure de contes ont vu le jour au CFCC il y a
cinq ans. Mais, on essaie aujourd’hui d’introduire de
nouvelles idées qui pourront fasciner de plus en plus les
enfants et augmenter leur amour pour la lecture.
«
Connaissez-vous un autre savant égyptien de renommée
mondiale qui a découvert les gènes qui provoquent le cancer
et a aussi identifié les nanoparticules d’or qui peuvent
être utilisées dans les diagnostics et la thérapie des
maladies telles que le cancer, en raison de leur grande
capacité d’absorption et de dissolution ? Savez-vous qui
est-ce ? ». « C’est Moustapha Al-Sayed », lance l’un des
enfants, accro de la lecture. Les autres le regardent avec
admiration et commencent à poser des questions sur le
cancer. « Une camarade de classe est atteinte du cancer.
Elle suit son traitement à l’hôpital 57357 et revient à
l’école quand elle se sent en forme. Mais, je ne sais pas
vraiment si elle va guérir, car maman m’a dit que c’est une
maladie très dangereuse », lance un autre garçon âgé de 7
ans.
A
travers ces contes, les conteurs essaient de faire un
flash-back sur les récits de nos ancêtres, Les histoires
d’Abou-Zeid Al-Hélali, Al-Chater Hassan et Ali Baba et les
40 voleurs, que l’on rapporte dans les villages et faubourgs
égyptiens ou les histoires racontées par Safeya Al-Mohandès,
Baba Charou et Abla Fadila dans les années 1960 à la Radio
égyptienne et tant d’autres …
Après la
fin du conte au CFCC, Sylvia, une fille de 9 ans, se dirige
avec son papa vers la bibliothèque du centre. Elle insiste à
emprunter la même histoire qu’on vient de lui raconter.
Cette jeune fille passionnée de lecture est encouragée par
son frère et sa sœur aînée qui empruntent trois romans à la
fois.
C’est
aussi une très bonne occasion pour les enfants qui ne savent
pas encore lire. Março, une fille de 8 ans, aime bien les
contes mais elle ne sait pas encore lire toute seule. Son
papa, ingénieur, lui raconte chaque nuit une histoire avant
d’aller au lit. Março adore les histoires imaginaires.
Pendant l’heure du conte, elle se concentre au point que ses
yeux restent figés sur le conteur. Elle lève toujours le
doigt pour répondre. Mais dommage, au centre, chacun répond
à tour de rôle.
Mais
leur plus grand exploit c’est d’avoir réussi à inciter les
enfants qui n’aiment pas trop la lecture à se lancer dans
l’aventure. « Cette génération est différente. Les enfants
préfèrent regarder les chaînes satellites dont plusieurs
sont consacrées aux enfants, les émissions télévisées, les
différentes séries ou jouer au play-station, aux jeux vidéo
ou aux cartes sur ordinateur », lance Hayssam, le conteur
d’Al-Shourouk.
La
session de contes est une bonne occasion pour ce genre
d’enfants qui n’ont pas le temps de lire. « Mon fils aîné
qui a 11 ans est capable de rester 12 heures d’affilée
devant l’écran de son ordinateur pour jouer ou faire du
chatting. A présent, je fais tout mon possible pour que son
frère, plus jeune que lui, s’intéresse à la lecture et je
tiens à ce qu’il ne rate aucun vendredi pour aller à la
bibliothèque », confie Névine, une maman de 38 ans.
Le
conteur, un mot-clé !
Bien
entendu, le conteur y est pour quelque chose. Hayssam a sa
manière de narrer l’histoire. Il sait captiver l’attention
de l’enfant, stimuler son imagination et développer ses
connaissances artistiques et littéraires. Plus tard, cet
enfant pourrait devenir conteur à son tour. Et c’est le cas
de notre conteur. A l’âge de 8 ans, Hayssam aimait entendre
les récits racontés aux enfants, à la Bibliothèque publique
de Moubarak, située à Guiza. Ce sont ses parents qui l’ont
encouragé à lire, à se rendre à la bibliothèque et à
participer de temps à autre aux concours littéraires,
culturels et artistiques.
Que ce
soit Hayssam, le conteur en langue arabe, ou Zahra qui le
fait en anglais, ou même Marianne qui raconte en français,
tous les trois doivent passer quelques heures à la
bibliothèque pour choisir l’histoire qu’ils vont raconter
aux enfants. Le fait de conter aux enfants, à cet âge, n’est
pas du tout facile. Il leur incombe de connaître
parfaitement la psychologie de l’enfant et comment se
comporter avec lui.
D’après
Zahra, une conteuse travaillant auprès d’une des
bibliothèques privées à Héliopolis, les jeunes qui assistent
pour la 1re fois à cette séance sont généralement timides.
Ils ont du mal à suivre, à s’exprimer. D’autres,
particulièrement les plus petits, sont turbulents. Nadine, 6
ans, bouge beaucoup et embête les autres. Zahra note cela
sur un petit carnet, puis s’arrête de raconter son histoire
et lui dit gentiment : « Nadine, si ce n’est pas un bon
moment pour toi, alors, nous pourrions reporter cela à un
autre jour. Je raconte chaque vendredi une histoire
différente. Tu seras la bienvenue la semaine prochaine ».
Zahra comprend que les enfants ne sont pas à l’école et
qu’il ne faut pas être sévère avec eux. Ils assistent
bénévolement à ces séances de lecture par amour et pour
enrichir leurs connaissances.
Personne
ne peut nier que le conte est indispensable pour les
enfants. Hayssam adore raconter des histoires. Il est
conteur depuis quinze ans. Il connaît la psychologie des
enfants puisqu’il est passé par là.
Manar
Attiya