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 Semaine du 2 au 8 décembre 2009, numéro 795

 

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Nulle part ailleurs

Initiative. Dans le but d’initier les enfants à la lecture, plusieurs bibliothèques en Egypte organisent un rendez-vous hebdomadaire pour les jeunes âgés de 4 à 12 ans. Ces séances de contes rencontrent un succès auprès de ces chérubins assoiffés de savoir et de connaissances. Reportage.

Il était une fois …

«Combien d’entre vous voudraient écouter une belle histoire … ? », lance aux enfants Hayssam, le conteur. Ils répondent tous d’une voix pleine d’enthousiasme :

« Moi … moi … et moi … ». « Ouvrez vos oreilles et fermez vos bouches ». Hayssam esquisse un petit sourire avant de commencer à raconter l’histoire de cet après-midi.

« Il était une fois un petit garçon très appliqué et assidu. Il était toujours premier en classe. Il a déployé de grands efforts pour faire des recherches en physique et en chimie et il est devenu un grand savant ». Puis avec beaucoup d’assurance, Hayssam pose quelques questions aux enfants : « Qui est-ce ? Est-ce que l’un d’entre vous le connaît ? ». Les uns répondent « oui » d’autres « non ». « Venez ... cherchez dans les livres ... Le voilà ... C’est Ahmad Zoweil ». « Savez-vous les enfants que Zoweil a écrit deux livres dont Un voyage à travers le temps ? Ce livre constitue une référence de taille pour ceux d’entre vous qui s’intéressent à la science ». Hayssam continue de donner des détails importants sur ce savant égyptien lauréat du prix Nobel en chimie. « Zoweil, il a fait quoi d’autre ? », demande un garçon intéressé par l’histoire. « Il a inventé un dispositif qui peut filmer le mouvement des molécules de l’atome dans un temps minime, appelé le femtoseconde. Cette unité de temps inimaginable n’a jamais été mesurée scientifiquement », ajoute Hayssam.

Ce jeune a l’habitude de raconter son histoire en posant des questions à ses jeunes auditeurs. Une méthode qui permet de susciter leur curiosité et de faire participer les enfants à cette séance de lecture unique en son genre. « Cette technique encourage les enfants à s’exprimer, leur permet de suivre plus facilement et retenir des détails importants », explique Hayssam.

Galset hakey, une expérience lancée par la bibliothèque Al-Shourouk depuis trois ans, intéresse les enfants de tous les âges. L’équipe de la bibliothèque de Mohandessine, récemment construite, a tenu à consacrer tout un étage pour la séance Galset hakey, ou récits conçus pour enfants.

Mais avant son installation, l’idée a été appliquée dans les huit autres branches éparpillées dans les différentes villes d’Egypte. En effet, c’est Amira Aboul-Magd, femme d’Ibrahim Al-Moallem, propriétaire de la maison d’édition Al-Shourouk et fondateur des bibliothèques Dar Al-Shourouk, qui a eu l’idée d’organiser des séances de contes au sein des bibliothèques Al-Shourouk. Elle a vu dans cette expérience une chance pour que l’enfant puisse développer une passion pour la lecture, une culture quasi absente dans les foyers égyptiens étouffés par un système d’éducation dans nos écoles qui prône le parcœurisme.

D’ailleurs, transmettre le goût et l’amour de la lecture dès l’âge de 4 ans est l’objectif de ce projet. Ensuite, cela devient une habitude chez n’importe quel enfant. « Demander à un gosse de 13 ans de tenir un livre serait plus compliqué », explique Hayssam. La bibliothèque Al-Shourouk est garnie de toutes sortes de livres, c’est là où l’on trouve des contes pour enfants en arabe, en français et en anglais.

« L’idée a germé lorsque des centaines de mamans venaient à la bibliothèque pour chercher des histoires qui vont de pair avec l’âge de leurs enfants. Elles n’étaient pas capables de choisir le conte correspondant à leur enfant. D’autres se plaignaient du désintérêt des leurs quant à la lecture », lance Amira Aboul-Magd.

En effet, l’idée de ces séances de lecture destinées aux enfants ne cesse de se propager en Egypte. De nombreuses bibliothèques ont ouvert leurs portes les vendredis, congé hebdomadaire pour tous les élèves, dans ce but. Des bibliothèques publiques, privées et des centres culturels ont tenu à l’appliquer, que ce soit en arabe ou en langues étrangères.

Le CFCC, un autre exemple

La scène se déroule dans une salle de contes du Centre Français de Culture et de Coopération (CFCC). Au 2e étage, on a, un peu, l’impression que nous sommes dans une classe scolaire. Mme Marianne distribue aux enfants le conte de ce vendredi. « Ouvrez la page 2 ... 7 ... 10 ... Tournez la page ... Nous sommes à la page 20 les enfants ... ». Chaque enfant s’assoit sur une chaise. Il suit avec le doigt. Mme Marianne lit pour la première fois l’histoire Minouche et le lion de la collection J’aime lire. Ensuite, elle fait fonctionner la cassette pour que les enfants écoutent la même histoire une 2e fois. Enfin, « regardez pour la dernière fois ... Jetez un coup d’œil sur la couverture ... Maintenant, fermez les livres ... Je vais les ramasser. Maintenant, c’est le temps du concours entre filles et garçons ... Je demande une question et vous n’avez qu’à trouver la bonne réponse ... Allez ... C’est ton tour Lina ». Comme Lina ne connaît pas la réponse, Fadi lève le doigt. « Faites attention les filles, le groupe A est en avance sur le groupe B d’un point », dit Marianne en encourageant les jeunes participants.

Cette rencontre hebdomadaire est à la fois culturelle, littéraire, artistique et sociale et une scène que l’on ne rencontre ni dans les écoles, ni dans les clubs, tellement l’ambiance est chaleureuse. A la fin de la séance, les enfants font du dessin, du coloriage et du bricolage qui sont une partie intégrante de cette heure exceptionnelle. « On a acquis des choses qui resteront gravées dans notre mémoire à jamais », confie Nesma, une fille de 12 ans.

Comme chaque vendredi, beaucoup de parents viennent accompagner leurs enfants.

Les petits font tout leur possible pour assister à ces séances. « J’ai assisté à une galssa sur Ahmad Zoweil. Mais le jour où il a rendu visite à la bibliothèque, j’avais des compositions et ma maman a refusé que j’y aille. J’espère devenir un jour un génie comme lui », lance Mazen, 10 ans, déçu de n’avoir pas eu cette chance de rencontrer Zoweil en visitant la bibliothèque un jour. Mazen est un élève à l’école Manor House. Il aime la lecture. Il est passionné par les sciences. Une raison pour laquelle il fait tout son possible pour venir chaque vendredi en vue d’assister aux deux heures de contes. Les livres de contes servent à développer l’imagination. Les enfants y prennent goût : l’aventure, les passages insolites ou passionnants de l’histoire, l’interaction entre petits et grands, tout cela encourage les enfants à s’exprimer et donner leur point de vue de façon très simple.

« Dépêchez-vous, la séance va commencer dans cinq minutes », lance une fille à ses copines. Tous les enfants sont contents de passer une ou deux heures en compagnie de leurs amis. « Ce n’est pas agréable de jouer seule à la maison ou au club lorsqu’on n’a ni frère ni sœur … Ici, j’ai l’occasion de faire la connaissance d’enfants de mon âge. Je les rencontre tous les vendredis et je peux jouer avec eux », dit Sandra, 8 ans, fille unique.

Le conte comme alternative

« Les enfants apprécient ces séances, contrairement à ce qui se passe à l’école où ils étudient l’histoire d’un livre parce qu’elle fait partie intégrante du programme scolaire. Et donc cela ne les emballe guère », dit franchement Mona Mokhtar, directrice de la bibliothèque Al-Shourouk.

Tatiana Weber, présidente du CFCC d’Héliopolis, affirme que les enfants acquièrent des informations et des connaissances et ce, en apprenant à travers le jeu ou par le truchement de l’heure du conte, des films projetés pour enfants et des dessins animés ...

« A partir du mois prochain, les enfants vont jouer sur la planche du théâtre les contes qu’ils ont écoutés au sein des séances ou pourront manipuler des marionnettes (personnages, animaux, désert ... ) qui ont une relation étroite avec les personnages des contes », explique-t-elle.

Ces séances d’une heure de contes ont vu le jour au CFCC il y a cinq ans. Mais, on essaie aujourd’hui d’introduire de nouvelles idées qui pourront fasciner de plus en plus les enfants et augmenter leur amour pour la lecture.

« Connaissez-vous un autre savant égyptien de renommée mondiale qui a découvert les gènes qui provoquent le cancer et a aussi identifié les nanoparticules d’or qui peuvent être utilisées dans les diagnostics et la thérapie des maladies telles que le cancer, en raison de leur grande capacité d’absorption et de dissolution ? Savez-vous qui est-ce ? ». « C’est Moustapha Al-Sayed », lance l’un des enfants, accro de la lecture. Les autres le regardent avec admiration et commencent à poser des questions sur le cancer. « Une camarade de classe est atteinte du cancer. Elle suit son traitement à l’hôpital 57357 et revient à l’école quand elle se sent en forme. Mais, je ne sais pas vraiment si elle va guérir, car maman m’a dit que c’est une maladie très dangereuse », lance un autre garçon âgé de 7 ans.

A travers ces contes, les conteurs essaient de faire un flash-back sur les récits de nos ancêtres, Les histoires d’Abou-Zeid Al-Hélali, Al-Chater Hassan et Ali Baba et les 40 voleurs, que l’on rapporte dans les villages et faubourgs égyptiens ou les histoires racontées par Safeya Al-Mohandès, Baba Charou et Abla Fadila dans les années 1960 à la Radio égyptienne et tant d’autres … 

Après la fin du conte au CFCC, Sylvia, une fille de 9 ans, se dirige avec son papa vers la bibliothèque du centre. Elle insiste à emprunter la même histoire qu’on vient de lui raconter. Cette jeune fille passionnée de lecture est encouragée par son frère et sa sœur aînée qui empruntent trois romans à la fois.

C’est aussi une très bonne occasion pour les enfants qui ne savent pas encore lire. Março, une fille de 8 ans, aime bien les contes mais elle ne sait pas encore lire toute seule. Son papa, ingénieur, lui raconte chaque nuit une histoire avant d’aller au lit. Março adore les histoires imaginaires. Pendant l’heure du conte, elle se concentre au point que ses yeux restent figés sur le conteur. Elle lève toujours le doigt pour répondre. Mais dommage, au centre, chacun répond à tour de rôle.

Mais leur plus grand exploit c’est d’avoir réussi à inciter les enfants qui n’aiment pas trop la lecture à se lancer dans l’aventure. « Cette génération est différente. Les enfants préfèrent regarder les chaînes satellites dont plusieurs sont consacrées aux enfants, les émissions télévisées, les différentes séries ou jouer au play-station, aux jeux vidéo ou aux cartes sur ordinateur », lance Hayssam, le conteur d’Al-Shourouk.

La session de contes est une bonne occasion pour ce genre d’enfants qui n’ont pas le temps de lire. « Mon fils aîné qui a 11 ans est capable de rester 12 heures d’affilée devant l’écran de son ordinateur pour jouer ou faire du chatting. A présent, je fais tout mon possible pour que son frère, plus jeune que lui, s’intéresse à la lecture et je tiens à ce qu’il ne rate aucun vendredi pour aller à la bibliothèque », confie Névine, une maman de 38 ans.

Le conteur, un mot-clé !

Bien entendu, le conteur y est pour quelque chose. Hayssam a sa manière de narrer l’histoire. Il sait captiver l’attention de l’enfant, stimuler son imagination et développer ses connaissances artistiques et littéraires. Plus tard, cet enfant pourrait devenir conteur à son tour. Et c’est le cas de notre conteur. A l’âge de 8 ans, Hayssam aimait entendre les récits racontés aux enfants, à la Bibliothèque publique de Moubarak, située à Guiza. Ce sont ses parents qui l’ont encouragé à lire, à se rendre à la bibliothèque et à participer de temps à autre aux concours littéraires, culturels et artistiques.

Que ce soit Hayssam, le conteur en langue arabe, ou Zahra qui le fait en anglais, ou même Marianne qui raconte en français, tous les trois doivent passer quelques heures à la bibliothèque pour choisir l’histoire qu’ils vont raconter aux enfants. Le fait de conter aux enfants, à cet âge, n’est pas du tout facile. Il leur incombe de connaître parfaitement la psychologie de l’enfant et comment se comporter avec lui.

D’après Zahra, une conteuse travaillant auprès d’une des bibliothèques privées à Héliopolis, les jeunes qui assistent pour la 1re fois à cette séance sont généralement timides. Ils ont du mal à suivre, à s’exprimer. D’autres, particulièrement les plus petits, sont turbulents. Nadine, 6 ans, bouge beaucoup et embête les autres. Zahra note cela sur un petit carnet, puis s’arrête de raconter son histoire et lui dit gentiment : « Nadine, si ce n’est pas un bon moment pour toi, alors, nous pourrions reporter cela à un autre jour. Je raconte chaque vendredi une histoire différente. Tu seras la bienvenue la semaine prochaine ». Zahra comprend que les enfants ne sont pas à l’école et qu’il ne faut pas être sévère avec eux. Ils assistent bénévolement à ces séances de lecture par amour et pour enrichir leurs connaissances.

Personne ne peut nier que le conte est indispensable pour les enfants. Hayssam adore raconter des histoires. Il est conteur depuis quinze ans. Il connaît la psychologie des enfants puisqu’il est passé par là.

Manar Attiya

 




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