Dubaï.
Avec le moratoire sur le remboursement des dettes demandé
pour le conglomérat public Dubai World, la région est
plongée dans la stupeur de l’éclatement de sa bulle
immobilière. Avec un effet domino à craindre.
Crise
mondiale version arabe
C’est
là où l’on s’y attendait le moins que la crise économique et
financière mondiale vient de frapper le plus fort dans la
région. L’émirat de Dubaï, modèle du libéralisme économique,
a annoncé mercredi dernier que, crise mondiale oblige, ses
entreprises phare sont dans l’incapacité de rembourser leurs
dettes. L’ampleur de la crise reste cependant ambiguë, ce
qui a entraîné une vague de panique sur les marchés arabes.
Les Bourses de Dubaï et d’Abu-Dhabi ont plongé de 8,3 % (la
plus importante baisse jamais enregistrée en un jour) et 7,3
% respectivement, lors du premier jour d’échange après les
fêtes du Grand Baïram, le 30 novembre, et ont continué le
lendemain. La Bourse d’Egypte a, elle, perdu 7,97 % le même
jour. Le Qatar et le Koweït ont de même été affectés et
seule l’Arabie saoudite n’a pas subi de dégâts pour cause de
vacances.
La
banque Calyon Crédit Agricole prévoit que le manque de
confiance qui découlera de cette annonce atteindra le marché
du financement mondial et donc les pays voisins, même
pétroliers, peineront à trouver le financement de leurs
ambitieux projets d’infrastructure, au moins pour le court
terme. Et cela, dans un rapport intitulé « Dubaï, l’après de
la chute », diffusé le 27 novembre dernier.
La crise
à Dubaï a surgi le 25 novembre quand l’émirat, célèbre pour
sa démesure, a fait savoir que ses principales entreprises
recherchaient un moratoire provisoire de leurs dettes de
plusieurs milliards de dollars. En jeu, près de 80 milliards
de dollars de dettes, dont une cinquantaine contractée par
la holding gouvernementale Dubaï World et sa filiale
immobilière Nakheel, qui construit des îles artificielles en
forme de palmiers destinées aux riches et célèbres. Dubaï
World a demandé à ses créanciers de geler le remboursement
d’une partie de ses dettes s’élevant à 3,25 milliards de
dollars pendant 6 mois. Un délai qui devrait permettre la
restructuration de l’entreprise majoritairement publique,
avec une petite tranche cotée au Nasdaq Dubaï.
Depuis
que la crise mondiale a été révélée en septembre 2008, Dubaï
a bien masqué l’ampleur de sa crise. En la qualifiant de «
simple ralentissement », l’émirat a annoncé en février
dernier un plan de secours de son économie, avec un
gouvernement souhaitant s’endetter à hauteur de 20 milliards
de dollars. Ainsi, plusieurs institutions financières ont
acheté ses obligations émises pour l’occasion. Le premier à
croire en sa capacité à rembourser a été Abu-Dhabi. L’émirat
voisin qui possède 90 % du pétrole, ce qui fait des Emirats
Arabes Unis (EAU) le cinquième producteur mondial. Il a déjà
procuré à Dubaï 15 milliards de dollars via la Banque
centrale des EAU et deux de ses banques privées. Aujourd’hui,
il est dans une situation peu enviable, les banques d’Abu-Dhabi
ayant prêté jusqu’à 30 % à Dubaï. Elles risquent ainsi de
devoir payer un plus lourd tribut si la situation financière
de Dubaï venait à se dégrader davantage.
« Nous
devons souligner l’impact qu’auront cette exposition de
Dubaï World et ses branches sur notre bilan et nos bénéfices
», a déclaré un responsable d’Abu-Dhabi Commercial Bank à
l’AFP sous le sceau de l’anonymat. « Oui, nous devrons
constituer davantage de provisions. Ces dernières années, le
marché de l’immobilier n’en était encore qu’à ses débuts à
Abu-Dhabi, donc, comme d’autres banques, nous nous sommes
diversifiés à Dubaï », a-t-il poursuivi. Abu-Dhabi
Commercial Bank est exposée à hauteur d’au moins huit à neuf
milliards de dirhams (quelque 2 milliards de dollars) à
Dubaï World ou à ses branches, ce qui obligera la banque à
passer de nouvelles provisions.
Premiers
forfaits
Dans la
région, l’impact de la crise immobilière de Dubaï n’est pas
encore très clair. « Les événements de Dubaï sont des
soubresauts qui confirment que nous avions raison de
souligner que des incertitudes demeuraient et que la route
risquait d’être cahoteuse », a commenté à l’AFP Athanasios
Oprhanides, membre du conseil des gouverneurs de la Banque
centrale européenne.
Les
banques de la région sont les premiers forfaits de la crise.
Mais leur degré d’exposition vis-à-vis des dettes des
entreprises de Dubaï n’est pas encore connu. Par exemple,
des sokouks (obligations islamiques) à hauteur de 3,5
milliards de dollars arrivent à échéance le 14 décembre,
avec une période de grâce de 2 semaines. Un large spectre
d’investisseurs internationaux, régionaux et locaux y sont
souscrits, même si aucun communiqué n’avait été diffusé par
les grandes institutions financières de la région au jour
d’impression de l’Hebdo.
En
défaut de liquidités, l’émirat ne pourra pas préserver le
flux d’investissements directs qu’il maintenait dernièrement
vers les pays arabes. En Egypte, par exemple, les EAU sont
devenus le 3e plus grand investisseur étranger. Il y a aussi
Etisalat, le 3e opérateur de portable, de grandes
entreprises de construction, ou Dubaï Port World (DP),
propriétaire de l’unique port privé dans le pays. « Rien
n’est encore décidé. Mais il se peut, en raison de ce
dernier problème à Dubaï World, qu’elle décide de remettre
ses plans d’expansion du port, qui s’étendent sur les 15-20
ans à venir », estime Ismaïl Moubarak, conseiller au
président du DP World en Egypte (Voir encadré). Plusieurs
projets d’immobilier émiratis en Egypte ont déjà ralenti
leur expansion, depuis le début de l’année, avec en tête
Emaar Egypte.
Quant au
gouvernement de Dubaï, il s’est opposé à sauver l’entreprise
Dubaï World. Reste à savoir ce que fera son voisin rival
Abu-Dhabi. Mais une chose est sûre : l’éclat de ce modèle a
terni. Et pour longtemps.
Salma
Hussein