Frères Musulmans.
Leur guide suprême, Mahdi Akef,
évoque les rapports mouvementés de la confrérie avec l’Etat
et sa participation aux prochaines législatives. Il revient
sur la récente crise interne au sein de ce groupe.
« Si
les élections étaient honnêtes, les Frères réaliseraient un
succès écrasant »
Al-Ahram
Hebdo : Vous avez récemment annoncé que vous renonceriez à
votre poste de guide suprême à la fin de votre mandat actuel
en 2010. Aucun guide n’a pris une telle décision. Pourquoi
quitter votre poste ?
Mahdi
Akef :
Oui. Je
laisse mon poste en janvier 2010. C’est une décision
personnelle qui n’a rien à voir avec la situation au sein de
la Confrérie. J’ai 81 ans et je trouve qu’il est grand temps
pour me reposer. Je laisse le travail à quelqu’un d’autre.
Je resterai toujours membre de la confrérie. D’ailleurs, ce
n’est pas la première fois que j’évoque cette décision. Lors
de ma nomination à ce poste en 2004, j’ai dit devant le
bureau politique que je ne resterai pas longtemps à la tête
de la Confrérie. Non seulement à cause de mon âge, mais
aussi parce que je crois à l’alternance et à la nécessité
d’avoir du sang neuf au sein de la Confrérie.
— Mais
la situation actuelle au sein des Frères musulmans paraît
critique avec notamment des arrestations massives de cadres
de la confrérie et des conflits internes. Votre retrait
ouvrira la voie aux spéculations sur l’avenir de la
confrérie ...
— La
Confrérie travaille avec des mécanismes qui préservent sa
continuité. Il ne faut pas craindre le changement. Au
contraire, c’est une nécessité dictée par l’évolution des
choses. Mon retrait n’affectera jamais l’avenir de la
Confrérie. Je suis son 7e guide depuis sa fondation en 1928,
les visages ont changé mais la Confrérie, elle, poursuit sa
marche. Et je réaffirme qu’il n’existe pas de conflits au
sein de la Confrérie. Les principes sur lesquels repose
notre groupe ne laisse aucune place ni aux divergences ni
aux rivalités, car nous travaillons selon le principe de la
choura (consultation).
—
Parlons de cette crise survenue récemment au sein de la
confrérie lorsque le bureau politique s’est opposé à votre
volonté de nommer Essam Al-Ariane au sein de cette instance.
Les médias ont parlé d’une fracture au sein de votre groupe.
Que s’est-il passé ?
— Il n’y
a pas eu de crise. Après le décès de Mohamad Hilal, qui
était membre du bureau politique, j’ai considéré qu’une
personnalité dévouée et active comme Essam Al-Ariane
méritait d’être nommée au bureau politique et d’occuper le
poste vacant laissé par Hilal. J’ai formulé une demande à
cet effet. Mais les membres du bureau ont estimé que le
règlement interne du groupe ne permettait pas à Essam Al-Ariane
d’adhérer à cette instance avant les élections qui auront
lieu dans quelques semaines. De quelle crise et de quelle
rivalité parlent les médias ? Ils ont dit qu’il y avait une
guerre entre conservateurs et réformateurs au sein des
Frères musulmans. Ceux qui prétendent qu’il existe deux
courants antagonistes au sein de la confrérie ne connaissent
rien ni de la structure ni de l’histoire des Frères
musulmans. La Confrérie a toujours été en mesure d’assimiler
les jeunes générations et les évolutions politiques et
sociales sans renoncer à ses principes fondamentaux.
— Mais,
si comme vous dites, il n’y a pas eu de crise, pourquoi donc
avez-vous quitté la réunion du bureau politique et confié
vos fonctions à votre adjoint Mohamad Habib ? Estimez-vous
que vous n’êtes plus écouté au sein de la confrérie ?
—
C’était un moment de colère. Je suis convaincu qu’Al-Ariane
mérite de faire partie du bureau politique. Je croyais que
mon point de vue serait pris en considération. Mais la
décision a été prise à la majorité et j’ai dû m’y résigner.
Ce sont les règles de la démocratie et de la choura qui
régissent notre groupe. Certaines décisions sont prises à la
majorité des voix. Je suis à la tête de la confrérie, mais
je n’ai pas le monopole des décisions.
— Qui va
vous succéder ? Des noms tels que Moad Habib et Abdel-Moneim
Aboul-Foutouh ont été évoqués.
— Le
prochain guide sera choisi à travers les élections. Quel que
soit son nom, il poursuivra le programme et l’agenda de la
confrérie.
— Le
grand écrivain Mohamad Hassanein Heykal a appelé la
confrérie à une révision globale de son idéologie rigoriste,
une invitation sans doute à adopter des positions plus
ouvertes sur des questions telles que l’Etat civil par
exemple. Qu’en pensez-vous ?
— Je lui
dis : vous ne connaissez rien ni des Frères musulmans ni de
leur idéologie. L’Etat civil n’est pas en contradiction avec
l’application de la charia. La religion est une constitution
divine réglant la vie des personnes et de la société. Par
exemple, la démocratie moderne, considérée comme le modèle
politique le plus sublime, existe en islam. C’est le
principe de la choura cité dans le Coran. La déclaration des
droits de l’homme n’est qu’un extrait des principes
coraniques.
— Il
était question pour vous de lancer un projet de création de
parti politique. Mais visiblement, ce projet n’a pas encore
pris forme. Pourquoi ?
— Nous
attendons une atmosphère politique plus favorable à la
création de partis politiques. Il n’est pas question pour
nous de présenter un tel projet au comité des partis (ndlr :
organe gouvernemental chargé de statuer sur les demandes de
création des partis politiques en Egypte) qu’on considère
comme illégitime. Depuis sa création, il refuse
systématiquement la création de véritables partis politiques.
Il n’a approuvé que les partis fantômes qui servent de décor
au gouvernement. Nous avons devant nous l’expérience du
projet du parti d’Al-Wassat qui lutte depuis 10 ans sans
succès pour obtenir l’autorisation d’exister.
—
Pourquoi donc la Confrérie a-t-elle lancé cette idée ?
—
D’abord, l’idée de créer un parti n’est pas nouvelle. Elle
est posée depuis une vingtaine d’années. Ensuite, nous avons
voulu à travers ce projet présenter notre pensée à l’opinion
publique et répondre à ceux qui prétendent que les Frères ne
possèdent aucun programme politique. Dans le programme de ce
projet de parti, nous avons abordé tous les problèmes et
avons répondu à certaines interrogations. Nous avons
expliqué notre conception de l’Etat moderne et nos positions
sur l’économie, les droits des femmes et des coptes, la
politique étrangère, de même que l’éducation, le chômage, le
logement, la hausse des prix, la pollution et le transport.
— Ahmad
Ezz, responsable de l’organisation au sein du PND, a déclaré
que les Frères musulmans ne devaient pas rêver de réitérer
leur exploit des législatives de 2005 où ils ont récolté 88
sièges. C’est une mise en garde de l’Etat pour vous écarter
des élections ?
—
Comment le PND peut-il garantir que les Frères ne réussiront
pas aux législatives ? Nous n’avons pas encore pris de
décision à propos de notre participation. Si les élections
sont transparentes et honnêtes, nous aurons une réussite
écrasante parce que notre légitimité émane des électeurs qui
nous soutiennent. Je rappelle que la seule opposition
véritable au Parlement a été les Frères musulmans. Mais le
régime, qui cherche à réprimander toutes sortes d’opposition,
doit savoir que son hostilité ne fait qu’augmenter la
sympathie du peuple envers nous.
— Vos
déclarations sur une éventuelle candidature de Gamal
Moubarak aux présidentielles de 2011 ont été contradictoires.
Tantôt vous dites qu’il a le droit de se présenter, tantôt
vous dites qu’il ne doit pas le faire. Pourquoi cette
contradiction ?
— Il n’y
a pas de contradiction. Avant qu’il soit chef du comité des
politiques du PND, j’ai estimé que, en tant que citoyen, il
avait tout le droit comme tout autre candidat de se
présenter aux élections présidentielles. Mais après sa
nomination à la tête de ce puissant comité qui dirige
véritablement le pays, je trouve qu’il serait injuste qu’il
soit candidat aux présidentielles, étant donné qu’il dispose
d’un pouvoir que ne possède aucun autre candidat. C’est ce
comité qui était derrière l’amendement de l’article 76 de la
Constitution. Un amendement fait sur mesure pour barrer la
route à n’importe quel autre candidat que Gamal Moubarak.
—
Existe-t-il des contacts entre l’Etat et la Confrérie ?
— Au
niveau politique, le régime refuse tout dialogue avec nous,
mais avec les services de sécurité, il y a parfois des
contacts. Refuser le dialogue avec les Frères musulmans,
principale force d’opposition en Egypte, est étonnant de la
part du régime. Mais la légitimité populaire est notre arme
face aux tentatives d’affaiblissement de la confrérie.
— Vous
avez reconnu avoir conclu un accord avec l’Etat pour les
législatives de 2005. Certains affirment que la Confrérie a
conclu, cette année aussi, un marché avec la sécurité en
vertu duquel vous vous engagez à limiter votre participation
aux prochaines législatives en échange d’une libération de
vos cadres emprisonnés. La récente libération d’Abdel-Moneim
Aboul-Foutouh, l’un de vos cadres emprisonnés, ferait partie
de cette transaction. Qu’en pensez-vous ?
—
Actuellement, il n’y a aucun contact avec l’Etat. C’est vrai
que lors des législatives de 2005, qui coïncidaient avec la
visite du président Moubarak aux Etats-Unis, un haut
responsable m’avait rendu visite pour me demander de ne pas
susciter des remous lors de la visite du président à
Washington et de ne pas faire trop de propagande pour les
Frères lors des législatives. En échange, il a promis de
libérer un certain nombre de cadres de la confrérie en
prison, dont Essam Al-Ariane, et de nous permettre d’avoir
un nombre convenable de sièges. Et les choses ont bien
marché pendant la première et deuxième phases des élections,
surtout avec la libération d’un grand nombre de Frères
musulmans. Mais lors de la troisième phase, j’ai été informé
que le président Bush avait demandé au président Moubarak de
freiner la réussite des Frères aux élections. Et depuis, on
n’a aucun contact avec le régime.
Propos recueillis par May Al-Maghrabi