Architecte, Fatma
Al-Tanani est aussi une pionnière de la verrerie en Egypte dont la
réputation dépasse nos frontières. Elle a organisé plus de 20 expositions et
ses œuvres se trouvent dans diverses églises et mosquées du Caire. Une manière
de mieux rencontrer le public.
Fascinée par le verre
Correcte,
franche et stricte. Et en même temps timide, spontanée et enfantine. Voilà
comment on pourrait décrire l’architecte et artiste de verrerie Fatma
Al-Tanani. En choisissant de se lancer dans la verrerie, elle a voulu se lancer
un nouveau défi. Toujours à sa manière. Car cette ancienne élève du pensionnat
de l’English Mission a appris chez les religieuses le sens de la responsabilité
et de l’indépendance. « Avec ma sœur jumelle, on n’avait que six ans lorsqu’on
a quitté le foyer parental pour aller au pensionnat. Mon père, ingénieur
pétrolier, avait été muté à Ras Ghareb, sur la mer Rouge. On y est restées
jusqu’au retour de mes parents au Caire », raconte-t-elle.
Doqqi,
c’est le quartier cairote de ses souvenirs. C’est là qu’elle est née et où se
situent son atelier et son bureau actuels. Pourtant, enfant, elle n’y a pas
passé beaucoup de temps. Car de retour de la mer Rouge, la famille est allée
habiter Zamalek, un autre quartier huppé de la capitale. C’est d’ailleurs là
qu’elle passera le cycle secondaire, au lycée Al-Ormane, toujours avec sa sœur
jumelle Aziza, qu’elle n’a quittée que pour ses études universitaires. L’une a
fait les beaux-arts et l’autre a choisi la filière lettres. « On est des
jumelles identiques, physiquement on se ressemble comme deux gouttes d’eau. On
a presque les mêmes traits de caractère. Moi je suis plus refermée, avec très
peu de relations sociales. Timide, je dois m’habituer petit à petit aux gens.
Aziza, elle, est beaucoup plus extravertie ».
Calme,
quand on ne l’exaspère pas, son bureau rassemble quantité de bibelots
hétéroclites. Avec des bouts de verre de toutes les couleurs. Les catalogues et
photos d’abat-jour ou de panneaux déjà réalisés apportent une chaleur spéciale.
En
fait, elle est la première Egyptienne à se forger une place dans l’art de la
verrerie qu’elle a intégré en 1979. Son diplôme en poche, elle est partie en
Angleterre pour parachever ses études architecturales, à l’Université North
London Polytechnic. « Pendant quatre ans, j’ai travaillé sur le terrain,
élaborant des projets pour l’association Architecture royale des ingénieurs
britanniques, à Londres. Je fabriquais moi-même les éléments nécessaires à mes
projets, ce qui plaisait à mes professeurs ». Le sérieux, le respect et la
propreté. C’est ce qu’elle a développé pendant son séjour londonien. « Pendant
les années 1970, tout le monde réclamait le changement. C’était le temps de
s’ouvrir au monde. Ma sœur et moi en avons profité pour parcourir l’Europe en
auto-stop », dit-elle.
Sa
nature timide et réservée s’explique peut-être par son petit handicap : une
légère déformation du pied, provoquant encore un léger boitement. « Jusqu’à
l’âge de 15 ans, je me demandais pourquoi j’étais la seule de tous mes frères
et sœurs à subir cette souffrance physique. Ma mère s’est vite rendu compte que
j’avais un problème de communication. Une psychiatre m’a alors aidée à
surmonter ma dépression et m’a fait comprendre que l’on ne juge pas seulement
les gens en fonction de leurs apparences extérieures ». Il fallait simplement
accepter sa différence. Progressivement, elle est devenue plus aimable,
acceptant sa condition.
Aujourd’hui,
Fatma Al-Tanani est membre de l’Association Ahed, à Héliopolis, et de
l’association Copte évangélique, pour le droit et le soutien des handicapés en
Egypte. « On ne prend pas les handicapés en considération, les lieux publics ne
sont pas équipés pour les aider. A travers ces associations, nous avons essayé
de changer les lois et codes urbains. A l’Opéra du Caire, j’ai réussi à fournir
des places aux handicapés pour qu’ils puissent se garer et avoir des billets
aux premiers rangs », affirme Fatma Al-Tanani. Et d’ajouter : « Seule, je ne
peux rien faire, la routine m’étouffe. Cela doit être un travail collectif ».
Et
lorsqu’elle ne supporte plus la routine, il faut absolument quitter les lieux. C’est
ce qui l’a fait revenir au Caire, malgré l’estime qu’on lui vouait à
l’étranger. Vers 1976, elle fut gagnée par une très vive nostalgie et a décidé
de se joindre à une compagnie libanaise, travaillant 10 ans en Egypte. Ces
nouvelles charges ne l’ont guère empêchée de prendre d’autres cours de
verrerie.
Toujours
pour rompre avec la monotonie, Fatma Al-Tanani a pris la décision de
démissionner en 1987, pour ouvrir un atelier de verrerie. Cet art est très lié
à l’architecture. « On le retrouve dans les portes et fenêtres entre autres. De
nos jours, il décline petit à petit. Tous les matériaux sont importés, ce qui
élève le coût des œuvres, difficiles à acquérir ».
Avec
plus de 20 expositions à son actif et des œuvres au Musée d’art moderne,
l’artiste a fait sa réputation puisant dans l’art des anciens. Al-Tanani lit
beaucoup sur le rapport architecture-verrerie, comme le livre Architectural
Stained Glass de Brian Clarke et d’Andrew Moor. Al-Tanani s’inspire aussi des
motifs coptes. Son premier chef-d’œuvre se trouve aujourd’hui dans la
cathédrale copte orthodoxe à Abbassiya. Cela, sans oublier ses vitraux décorant
l’église Saint-Joseph du centre-ville et l’église de la Vierge à Maadi. De
même, l’artiste a marqué de son empreinte d’innombrables mosquées et hôtels
cinq étoiles, aux quatre coins de l’Egypte. « On me sollicite parfois pour des
travaux de restauration. Parfois, j’ai honte de signer quelques-unes de mes
œuvres. J’ai honte de m’afficher », lance timidement Fatma qui n’a pas de
problème d’ego, comme elle tient à répéter.
La
maîtresse de la verrerie trouve de même une grande difficulté à discuter des
prix, elle déteste le marchandage, gestion, subir la jalousie des uns et les
rancunes des autres. A un certain moment, elle a ouvert une galerie d’art du
nom de Fonoun (arts), exposant peintures et sculptures. C’était en 2004, mais
le projet a été vite avorté pour des problèmes d’administration. « Mon objectif
n’était pas que le gain matériel, mais plutôt l’instauration d’un lien avec
l’homme de la rue, les amateurs ». Très directe quant à sa manière d’aborder
les gens, elle n’a pas pu se défendre. Et il valait mieux abdiquer.
D’une
activité à l’autre, elle ne cesse de butiner, de changer. Son look n’échappe
pas à la règle. « Comme je suis petite de taille, j’ai perdu beaucoup de kilos
et me suis coupé les cheveux. Et puis j’aime être physiquement en forme ».
Peut-être aussi pour faire face à la disparition de sa mère. Un incident
douloureux qui a bouleversé sa vie. « La mort de ma mère m’a secouée. C’est
avec elle que j’ai vécu jusqu’à l’âge de 50 ans, refusant toute proposition de
mariage. J’avais peur des responsabilités conjugales », explique Fatma
Al-Tanani qui ne peut aujourd’hui se passer de son compagnon de vie. « Avant le
mariage, j’avais pris beaucoup de temps pour m’habituer à mon conjoint. J’ai de
la chance d’avoir un mari tendre et aimant. Il m’accompagne dans tous mes
voyages et me soutient dans tous mes projets », assure Al-Tanani qui a choisi
d’avoir son nid d’amour toujours à Doqqi, son quartier favori.
Son
exposition la plus chaleureuse est celle intitulée « Figures de la ville », en
l’an 2000. Ces figures revêtaient la forme de masques, des personnalités
éminentes du passé : comédiens, chefs d’Etat, écrivains, dont Naguib Mahfouz et
son idole, Gamal Abdel-Nasser. Et surtout, il ne faut pas oublier Mandela. «
Pour moi, Mandela est un vrai combattant, un prisonnier devenu chef d’Etat ». L’artiste
a tenté de jouer « bas les masques » avec tous ces personnages, jouant une fois
de plus la carte de la franchise. En ce moment, elle se livre à un autre jeu
plus anodin, à travers son exposition au centre Al-Guézira. Des œuvres
multicolores, vivifiant le monde des animaux. Un monde enfantin qui captive
l’artiste. Le principal protagoniste de cette exposition est d’ailleurs un
animal, l’âne. « J’adore les ânes. Ils sont débonnaires, calmes et
persévérants. Mais ils sont mal traités par l’homme », dit Fatma Al-Tanani. L’artiste
baille comme une enfant, le sommeil la gagne après une longue journée passée
parmi ses livres et ses projets.
Névine Lameï