Femmes. Voltiger dans
l’air et admirer Le Caire d’en haut, tel est le métier de Réhab Abdel-Halim,
première parachutiste en Egypte à se lancer dans les chutes libres. L’histoire
d’une grande aventurière qui a fait 194 sauts à 4 000 mètres d’altitude. Focus.
Le grand saut de Réhab
Trois,
deux, un, zéro. La rame arrière de l’aéronef s’ouvre. Le dos courbé, le cou et
les épaules en avant, une jeune femme est larguée avec une extrême rapidité à 4
000 m d’altitude. Dans un ciel clair et serein et sous l’effet de l’apesanteur,
elle commence à voltiger parmi les nuages. Quelques secondes plus tard, c’est
le tour d’un homme de se lancer dans le vide. Les deux parachutistes se servent
principalement des bras et du bassin pour maintenir leur position. Ils portent
des combinaisons souples, en forme d’aile, pour transformer leur corps en une
sorte d’aile d’avion. Les combinaisons se gonflent d’air dès que les
parachutistes sortent de l’avion, générant alors une portance leur permettant
de la sorte de réduire leur vitesse de chute. En fait, leurs sauts se font en «
libre », le but étant de conserver une proximité d’environ 2 à 5 m l’un et
l’autre et de chute au même niveau. Réhab, la jeune femme, est la leader qui
servira de référence à son collègue. C’est elle qui décidera de la direction,
de l’angle de la chute libre par rapport au sol et donc de la vitesse sur la
trajectoire du saut. Mais l’exaltation du vol ne commence qu’une fois la voile
(parachute) ouverte. Et précisément, au moment du swooping (ou de la descente)
qui consiste à prendre une vitesse verticale très importante au moyen d’un
virage bas, et à la transformer en vitesse horizontale pour glisser sur le sol.
Son collègue effectue des virages pendant le saut comme si c’était une
véritable danse dans le ciel et commence à voler en binôme, tout en concevant
des figures, et en s’accrochant par les pieds à la voile de Réhab.
En
fait, ce scénario n’est qu’une œuvre d’imagination de Réhab, quelques minutes
avant d’être larguée de l’avion. « Chaque fois et avant de sauter, je ferme les
yeux, commence à tisser un plan, imaginer et calculer tout détail depuis ma
sortie de l’avion, le voltige et l’ouverture de la parachute jusqu’à
l’atterrissage. La moindre erreur pourrait me coûter la vie, et ce saut virtuel
me garantit le succès de ma vraie chute dans le vide », explique Réhab
Abdel-Halim, lieutenant et infirmière dans les forces armées. Elle est la
première parachutiste en Egypte à faire une chute libre de 4 000 m d’altitude. Native
de Dowar Gila, un village dans le gouvernorat du Fayoum, cette jeune fille,
âgée de 23 ans, a réussi à voltiger dans l’air et à faire 194 sauts jusqu’à
présent. Son histoire avec le parachutisme a commencé lorsqu’elle a terminé son
bac et rejoint l’Institut paramédical dépendant des forces armées. Or, son
adhésion à cette école militaire ne s’est pas faite par hasard. « Lorsque
j’étais petite et que l’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je
répondais : officier. Et j’ai réalisé ce rêve qui a trotté longtemps dans la
tête », confie-t-elle, toute émue, en ajoutant que parmi les conditions
d’adhésion à cet institut, il fallait un bon pourcentage et une grande maîtrise
de l’anglais. Son père, qui travaillait aussi dans l’armée, l’a encouragée à
poursuivre de telles études et à pratiquer surtout du sport. « Pour réaliser un
tel exploit, il faut en premier lieu être en bon état physique, et ce n’est pas
tout. La personne doit avoir une volonté d’acier et la capacité de résistance
qui lui permet de supporter les situations difficiles », explique-t-elle. Cependant,
une fois admise à l’institut, elle a pris part à plusieurs activités, entre
autres la pratique du saut principal, qui fait partie du programme de la
formation et est obligatoire pour tous les étudiants. Ayant passé ce stage avec
succès, et après avoir vu un CD sur un saut libre, Réhab décide de poursuivre
ses études, se distingue dans la pratique du saut en parachute et devient la
première femme dans l’armée, mais aussi dans toute l’Egypte à pouvoir sauter en
chute libre. « Il ne faut pas attendre que la chance frappe à votre porte, il
faut lui courir après. Et si l’être humain se fixe un objectif et un programme,
il peut l’atteindre. Voltiger dans l’air parmi les nuages a été donc un rêve
qui m’a habitée depuis mon inscription à l’institut. J’aimerais exploiter mon
expérience en tant que parachutiste et membre des forces armées pour soigner
les malades dans les régions les plus éloignées en cas de guerre ou de
catastrophe », dit-elle, tout en ajoutant que face à son insistance, les
responsables ont fini par l’accepter et ouvert la porte à d’autres femmes pour
se lancer dans ce nouveau domaine. En fait, Réhab est du genre à foncer. Son
regard déterminé traduit une volonté de résister à toute épreuve.
Vivre le risque et l’aventure
Elle a
passé le stage de formation du Jump Master, a suivi des entraînements pratiques
dans l’espace ainsi que des exercices physiques afin d’atteindre le poids
idéal. « Le parachutiste doit se diriger dans la même direction du vent et
savoir agir rapidement. Il ne pourrait le faire aisément s’il a de l’embonpoint
ou est trop maigrichon. Avoir un poids minimum de 50 kg et jouir d’une bonne
santé figurent parmi les critères de recrutement », explique Réhab qui mesure
1,71 m et pèse 60 kg. Assoiffée du goût du risque, elle recherche l’exaltation
et les sensations fortes. « Papillonner
dans l’air comme un oiseau et admirer Le Caire d’en haut avec ses maisons en
boîtes d’allumettes et ses habitants transformés en fourmis est une expérience
fabuleuse. En observant le monde d’en haut, j’ai senti la grandeur de Dieu qui
a créé cet univers », décrit-elle, tout en ajoutant qu’elle ne parvient pas
encore à exprimer les sentiments qu’elle a ressentis lors du premier saut. Des
sentiments partagés entre le goût du risque, la joie et la peur. « C’est une
aventure dont j’assume toute la responsabilité depuis le moment de largage de
l’avion, le voltige dans l’espace et l’ouverture du parachute jusqu’à
l’atterrissage ». Pour le saut opérationnel, le parachutiste est largué d’une
façon sécurisée, autrement dit c’est un saut en ouverture automatique à une
altitude de 800 ou 1 000 mètres, suivi de « poignées-témoin » et au cours
duquel le parachutiste tire sur la poignée d’ouverture de son parachute, qui
est en réalité ouvert, après trois secondes, par la sangle d’ouverture
automatique qui le relie à l’avion. Ce qui garantit l’ouverture de la voilure
même si le geste du voltigeur est incorrect. Alors que dans la chute libre, le
parachutiste s’élance de la rampe arrière de l’avion au lieu des portes, à une
altitude de 4 000 mètres, ce qui est plus difficile. Il déclenche lui-même
l’ouverture de son parachute en tirant sur une commande, accompagné d’un
moniteur qui surveille et corrige sa position. Il doit donc choisir l’altitude
à laquelle il va ouvrir son parachute. Une discipline qui nécessite non
seulement une parfaite maîtrise et connaissance des caractéristiques de la
voile pour éviter l’impact avec le sol, notamment lorsque le parachute s’ouvre
manuellement, mais aussi une grande attention et concentration, car la moindre
erreur peut être mortelle. Réhab précise que le parachutage peut se faire de
jour comme de nuit et que la contrainte principale est la vitesse du vent et le
mauvais temps. En fait, cette jeune femme parle avec une confiance de quelqu’un
qui aurait touché les nuages, et les appréhensions de son entourage ne la
freinent guère. « Ma famille avait apprécié l’idée que je m’inscrive dans cet
institut militaire et pratique le parachutisme, mais ma mère ne peut s’empêcher
de montrer son inquiétude et sa peur à chaque fois que je fais un saut et n’est
rassurée que lorsque j’ouvre mon mobile pour lui dire que tout s’est bien passé
», confie-t-elle, tout en ajoutant que ses parents sont très fiers d’elle,
notamment après avoir été honorée par le commandant général des forces armées
et le ministre de la Défense et la Production militaire, Hussein Tantawi, et
aussi par le président Moubarak qui lui a remis une décoration du devoir
militaire du second degré.
Et
bien qu’elle ait fait 194 sauts, l’inquiétude la domine à chaque fois. C’est le
moment décisif. Réhab s’apprête à faire son saut pour mettre en pratique le
scénario qui a défilé dans sa tête. Elle porte deux parachutes, un principal
dit dorsal placé sur le dos et un autre de réserve accroché sur le harnais du
dorsal. Elle vérifie une dernière fois leur état, récite quelques versets du
Coran et jette un coup d’œil sur la zone de l’atterrissage. Réhab commence à
voltiger dans l’air et n’ouvrira son parachute qu’après une longue chute libre.
Soudain, elle entend un petit craquement. Elle panique en pensant que sa voile
s’est peut-être déchirée, ce qui veut dire la fin pour elle. Un petit instant
d’angoisse puis elle reprend confiance et papillonne de nouveau dans l’air. «
Cet instant m’a semblé interminable, j’ai revu ma vie défiler devant moi comme
un film de cinéma. Vraiment, la vie n’est qu’un moment à vivre ».
Chahinaz Gheith