Iman Abdel-Hamid se situe
dans Mohawalat lil takhafi entre le réel et l’imaginaire, où les êtres humains
se cachent tout en se livrant. Ses courts textes poétiques, d’une écriture
concise, sont ceux d’une jeune Alexandrine dont le style laisse transparaître
l’intensité de la parole.
Des éléments convenant à toutes les
histoires
La porte
Elle
possède toutes les possibilités lui permettant de me faire entrer ou sortir et
même de m’offrir quelques centimètres pour prolonger mon regard vers l’entrée
de mon appartement pour voir le meuble servant à l’argenterie (qui n’en
contient aucune) qui se dresse avec défi, dévorant un énorme espace de notre
entrée … Uniquement pour que ma mère s’y pose devant avec fierté, montrant du
doigt certaines assiettes chinoises de piètre fabrication comme faisant partie
de son patrimoine familial.
La fenêtre
Elle
peut toujours m’offrir un ciel bleu avec des oiseaux migrateurs, une mer douce
et une jolie jeune fille qui va et vient sur le balcon d’en face, préoccupée
qu’elle est, à étendre quelques pièces de vêtements sans aucune importance,
tout en m’envoyant des regards timides et furtifs … Pourtant, lorsque je plonge
le regard de mon balcon, je ne vois qu’une échoppe de mécanicien, une épicerie
à la devanture obscure et un immeuble qui se dresse face à moi, aux balcons
obscurs sans jeune fille et sans linge étendu.
La chérie
… Il
me fallait toujours m’imaginer une jeune fille spéciale pour pouvoir terminer
mon histoire avec quelque véracité et un certain plaisir et elle se devait
d’être parfaite n’ayant rien à voir avec le soleil brûlant au-dessus de nos
têtes, ni avec la rue bondée de masses humaines qui s’animent … Notre
séparation venant pour diminuer un tant soit peu le brouhaha du monde.
Ma mère
Elle
est capable à tout jamais de m’offrir de la bonne nourriture, des vêtements
débarrassés de leur crasse sans aucun profit, si ce n’est ma présence écorchée
à ses côtés, malgré un boulot qui n’arrive pas et des journaux emplis de postes
vacants pour tous sauf pour moi … Elle fourre dans ma poche ses quelques livres
alors que je dors, me permettant ainsi de payer mon verre de thé et le journal
qui ne porte que des faux espoirs …
Dieu
Il ne
s’est pas beaucoup préoccupé des prières de ma mère, ni de ses larmes pour me
sortir de mes souffrances, l’implorant au nom du prophète, de ses compagnons et
de la Kaaba qui illustre son tapis de prière … Mais tout ceci n’a pas suffi
pour qu’Il exauce ses prières.
« Je
ne prie pas … bien que je sois très confiant en ses prières ».
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Moi
… Ma
mère continue à dire mon nom précédé du mot Monsieur. Et cela ne fait
qu’augmenter ma défaite et faire fuir mes jeunes filles fantasmées toutes les
nuits … pour laisser à Aïda le chemin libre.
Les matins des beaux dimanches
Oh
Mariam, alors que tu passes ainsi devant moi, portant des beaux cheveux noirs
derrière toi … et que sur ta poitrine timide que tu t’efforces de cacher, dort
ta petite croix en argent, se cognant, à chaque pas que tu fais, à la maigreur
de ton corps. Je te vois debout à la fenêtre de notre maison et je comprends
alors, en ce matin, que tu es en direction de l’église dont je peux voir le
clocher d’ici … et dont les cloches retentissent de plus en plus. Alors je
précipite mes pas derrière toi et les paroles étonnées de ma mère se
précipitent également à ma suite … (Ma mère s’appelle Mariam … Le temps et la
mort de mon père ne lui ont laissé, elle, que des cheveux usés).
Une
senteur dense me pénètre alors que je mets les pieds au sein de l’église,
accompagnés des regards sceptiques du gardien. Je vois ton mince corps,
agenouillé pour prier dans la sérénité. Je découvre sa beauté et je te désire …
Et, je suis pris de honte.
Je
contemple l’image du Christ alors qu’il était un bel enfant plein de vie …
alors que toi Mariam, tu le portes dans tes bras, dans un cercle de lumière … Et
je l’aime.
Je
l’admire en le voyant sur son image alors qu’il est devenu un jeune homme aux
yeux limpides et aux cheveux bouclés en douceur et je t’envie parce que tu
possèdes dans ton imagination une image à laquelle tu peux toujours revenir.
J’aime
tes doigts éclairés par ta petite bougie et je prolonge la main pour allumer
une bougie à la mémoire de mon père décédé et une autre pour que je réussisse
cette année et une troisième pour ma mère qui continue à se plaindre à Dieu.
Puis
je lis la Fatiha.
Ce
jour-là, ma mère a beaucoup pleuré jusqu’à se bleuir les joues en demandant à
Dieu quels étaient les péchés qu’elle avait commis pour qu’Il lui donne un
stupide enfant qui fait le signe de la croix et part à l’église en ces beaux
dimanches matin.
… Oh
Mariam, pourquoi ne remarques-tu pas ma présence si proche de la tienne ?
Est-ce
parce que je pars au mausolée proche de la maison écouter le prêche du cheikh
et faire la prière du vendredi, demandant à Dieu de me mettre sur le bon chemin
? Ou alors parce que je porte une djellaba blanche, les matins des fêtes, alors
que la voix du cheikh Réfaat emplit notre demeure, ou encore parce que ma mère
pleure dans son lit, la nuit, et se couvre les cheveux malgré leur flagrante
détérioration, en présence des étrangers.
Je
vois tes yeux qui m’ont sorti de leurs orbites, comme si le monde s’était
rétréci subitement pour m’en chasser.
Ma
bougie que j’allumais, tous les dimanches, ne semblait pas suffire. De même, le
partage de ton jeûne éreintant qui mettait ma mère en colère, en me prévenant
de ce qui pourrait advenir à mon estomac, ne suffisait pas à jouir de ton amour
… sans honte … et sans dissimulation.
Maintenant,
Mariam, je me tiens debout à la fenêtre de notre demeure. Je sais parfaitement
que tu ne te montreras pas comme d’habitude devant moi, laissant tes cheveux se
prolonger sur ton dos, te précipitant vers l’église au son des cloches énormes,
je sais cela, comme je sais également combien sont beaux ces dimanches matin
lorsque tu apparais.
Alexandrie,
20 octobre 2001.
Mémoire
Au
début et malgré nos disputes, je pensais souvent à lui et je me souvenais
parfaitement de nos moments ensemble. Je pouvais ressentir son corps collé au
mien, l’odeur de sa sueur, la chaleur de son souffle, son baiser sur mon front
et mon épaule, et même le fait de s’étendre à mes côtés rasséréné.
Je ne
sais pas combien de temps a passé, mais je me souviens de lui comme d’un tout,
comme un être que je connais mais sans vrais détails. Les traits de son visage
me semblent lointains, je ne peux plus me souvenir du toucher de ses paumes, du
retrait de ses cheveux de sur son front, du nombre de ses cheveux blancs dont
je suivais l’apparition et le compte. Je ne peux plus me souvenir de tout cela
et ma mémoire devient fragile, creuse, ne gardant plus rien.
… Je
ne sais, est-ce la colère, ou est ce la distance qui produit cela en nos
mémoires, augmentant les passages vides qui nous surprennent pour s’étendre
avec férocité durant la nuit. Quelques centimètres à peine perceptibles pour le
regard font leur chemin dans le silence et dans la détermination pour que
s’éloignent de plus en plus les personnes aimées tous les matins.
Et
maintenant … je fouille dans toute la maison à la recherche de son odeur qui
pourrait subsister encore dans ses vêtements, dans ses papiers, dans un
fauteuil, dans la partie qui lui est réservée au lit, dans le bouton
d’éclairage, uniquement pour m’aider à me souvenir. Pourtant, ma mémoire est
complètement vide de toute odeur de lui.
Alexandrie,
25 janvier 2005.
Traduction de Soheir Fahmi
Iman Abdel-Hamid
Est née à Alexandrie en 1974. Elle a fait son DEA en psychiatrie en 2006. Parallèlement à la médecine, elle écrit et publie depuis les années 1990 dans nombre de revues littéraires comme Akhbar Al-Adab. Elle est également membre de l’Atelier des artistes et écrivains d’Alexandrie. Sa première œuvre Mohawalat lil takhafi a été primée en 2007 par Le prix Naguib Sawirès pour la littérature arabe, dans la nouvelle. Cette œuvre située entre nouvelle et poème, publiée à Alexandrie en 2006, est également la première dans la collection du livre Al-Kol (le tout). Il s’agit d’un groupe de jeunes écrivains indépendants qui ont lancé un groupe en 2004, qui s’occupe de l’écriture. Les membres du groupe Al-Kol ont élaboré leur expérience d’écriture en publiant un coffret de quatre livres qui concrétise leur vision de groupe qui se réunit pour souligner leur différence entre poème, nouvelle et roman.