Electricité.
Les habitants de plusieurs gouvernorats souffrent depuis un
mois de coupures fréquentes à cause du délestage.
Quotidien dans le noir
«
Allez ! Dépêchez-vous ! Terminez vite vos devoirs. Il ne
reste qu’une demi-heure et le courant électrique sera coupé
», crie Ola, en suivant les aiguilles de sa montre qui
pointe sur 19h. Elle doit tout terminer avant le coucher du
soleil : préparer le souhour, laver la vaisselle, repasser
les uniformes de ses enfants, aider ses filles dans leur
révision et stocker un peu d’eau potable, qui sera coupée
comme le courant électrique. Bien qu’elle habite le
Grand-Caire, dans la banlieue de Hélouan, Ola doit se
débrouiller sans électricité comme si elle vivait dans un
village reculé privé de services. Chaque jour, à 19h30, le
quartier plonge dans le noir : les supermarchés, les
mosquées, les boutiques, les pharmacies, les cliniques et
même les lampadaires ne fonctionnent plus. Les bougies font
leur apparition dans les foyers. Les commerçants, les
pharmaciens et les médecins allument des torches pour
pouvoir accueillir leurs clients. Dans les mosquées, les
fidèles accomplissent leurs prières des tarawih en pleine
obscurité, et sans ventilateurs malgré la chaleur
étouffante.
« Nous souffrons de ce problème depuis la mi-août, soit deux
semaines avant le mois du Ramadan. Au début, la coupure
survenait le jour et ne durait qu’une demi-heure, ce qui ne
nous dérangeait pas trop. Au fil des jours, la durée des
coupures s’est prolongée et elles sont devenues plus
fréquentes. Elles surviennent désormais le soir, ce qui est
plus gênant », lâche Ola. Elle affirme avoir contacté
plusieurs fois par téléphone les services d’électricité. Ces
derniers lui ont dit durant les premiers jours qu’il s’agit
d’une panne banale. Mais avec la fréquence des coupures qui
survenaient aux mêmes horaires, ils se sont trouvés obligés
de dévoiler la réalité : « Vous devez vous habituer. Il y a
un problème de surcharge qui ne sera pas réglé avant le mois
d’octobre prochain ». Ola affirme que, même quand le courant
est rétabli, il est très faible. Impossible de faire
fonctionner les climatiseurs ou les réfrigérateurs. Résultat
: les aliments et les viandes congelés qu’elle vient
d’acheter pour le Ramadan sont abîmés.
Face à la fréquence des coupures d’électricité, les
habitants ont acheté des baladeuses munies de batteries qui
leur permettent d’avoir un peu de lumière en cas de coupure
de courant. Une baladeuse de fabrication chinoise coûte au
moins 200 L.E. Pourtant, son autonomie est d’une heure au
maximum et doit être ensuite rechargée. D’autres habitants,
plus défavorisés, achètent des bougies dont le prix du
paquet de 10 est de 5 L.E. Et ça suffit à peine pour un seul
jour. Quant aux élèves, ils continuent à réviser leurs cours
à la lueur des lampes à gaz.
Les coupures ont touché de plein fouet les petits
commerçants. « Nous avons perdu beaucoup d’argent car il y a
des pertes au niveau des produits laitiers, du poulet, des
viandes surgelées et des œufs en raison des coupures de
courant. De plus, la vente est quasi suspendue durant la
coupure d’électricité, car les femmes ont peur de descendre
dans la rue dans l’obscurité », dénonce Ahmad, épicier.
Les plaintes se multiplient, et rien ne change. Et là où le
bât blesse, c’est que les factures d’électricité sont très
élevées. « Nous payons 70 L.E. mensuellement. Pourquoi
sommes-nous dépourvus de courant électrique ? », interroge
Mahmoud Aziz, résidant dans la cité du 6 Octobre, qui
souffre aussi du même problème ces dernières semaines. En
s’adressant à l’Organisme de l’électricité, les citoyens
sont informés qu’il n’y a ni panne ni surcharge, mais une
décision officielle de réduire la consommation
d’électricité. « Les employés de l’organisme nous ont dit
qu’ils exécutent les instructions et refusent de mentionner
qui leur donne ces ordres abusifs », s’insurge Chérif
Hassan, professeur.
Le Caire n’est pas le seul gouvernorat concerné. Dans
plusieurs villages en Haute-Egypte, à Minya, à Assiout et à
Qéna, les coupures sont quotidiennes et durent 12 heures
consécutives. La scène n’est pas différente en Basse-Egypte
où 26 villages de Gharbiya, 44 villages à Daqahliya et des
quartiers de Damiette et de Suez souffrent de coupure diurne
depuis le début du mois courant. Face à cette situation, les
citoyens ne cessent de signaler ces coupures et d’adresser
des plaintes au ministre de l’Electricité. De leur côté, les
députés des régions concernées ont présenté des demandes au
premier ministre et au ministre de l’Electricité exigeant de
réglementer l’attribution de l’électricité et de remédier à
ce problème, notamment avec la rentrée scolaire, tout en
dénonçant la gestion. Mais en vain.
Théoriquement, les stations de production de l’électricité
sont dotées de systèmes spéciaux pour accroître la
fourniture d’électricité en cas d’imprévu. Toutefois, les
responsables affirment que la consommation a augmenté cette
année de 12 % par rapport à l’année dernière. Il était prévu
une augmentation de 7 % seulement. « Ces fréquentes coupures
sont dues à l’insuffisance de la production. La compagnie
doit effectuer un délestage pour affronter cette horrible
augmentation de la consommation », justifie Magdi Abdel-Malak,
responsable chargé du contrôle de l’électricité en
Haute-Egypte. Il demande aux citoyens de ne pas gaspiller
l’électricité. « On doit sensibiliser les citoyens »,
dit-il. En fait, le taux de consommation a atteint cet été
21,53 millions de mégawatts, alors que la capacité de
génération de l’électricité est de 19 000 mégawatts. Le
ministre de l’Electricité, Hassan Younès, a reconnu lors
d’une conférence de presse tenue la semaine dernière avoir
donné des instructions visant à « alléger la charge », mais
pour des durées limitées, sans répétition dans la même
région et sans toucher aux établissements vitaux comme les
hôpitaux, les stations d’eau potable et de drainage
sanitaire ainsi que le métro souterrain. Le ministre a tenu
à nier l’existence de panne ou de détérioration des réseaux
d’alimentation et de distribution. En revanche, il affirme
avoir lancé une campagne de publicité diffusée à la
télévision pour sensibiliser les citoyens à rationaliser la
consommation, en oubliant que la plupart des foyers
égyptiens sont déjà privés d’électricité et de télé !
Héba
Nasreddine