Fayoum.
Le village Béni-Saleh, dans le gouvernorat du Fayoum, a
perdu une vingtaine de ses habitants dans le drame. Poussés
par la pauvreté, ils étaient venus trouver de quoi vivre
dans la capitale. Reportage.
Doublement frappés
Ce
petit village situé dans le gouvernorat du Fayoum, a été le
plus touché par la catastrophe de Doweiqa. Le 6 septembre
dernier, 28 de ses habitants ont été victimes de
l’éboulement. Pendant toute la semaine dernière, les sirènes
d’ambulances transportant les victimes n’ont cessé de
retentir : « Chaque fois qu’on entend l’ambulance, on attend
une nouvelle victime, ou même une famille entière disparue
», confie Abdallah, un des habitants du village. Il explique
qu’à ce jour, deux familles ont perdu 9 et 4 de leurs
membres, pour un bilan hélas encore provisoire.
Dans le coin d’une ruelle s’installe Sayeda, une femme âgée,
la tristesse et le désespoir couvrent son visage : elle a
perdu l’un de ses frères avec toute sa famille, ainsi que la
famille de son deuxième frère. « Les deux familles étaient
rassemblées chez mon frère qui allait célébrer le mariage de
sa fille aînée, mais les rochers ont transformé la fête en
funérailles », raconte la femme, en ajoutant que la pauvreté
et le manque de travail dans ce village ont poussé ses
frères à quitter leur village pour Doweiqa. En effet, la
région de Doweiqa est considérée par les habitants de
Béni-Saleh comme leur deuxième village, puisque leur
communauté était la plus importante dans ce quartier. « Je
suis resté cinq années à Doweiqa à travailler comme
mécanicien automobile. Je touchais 30 L.E. par jour tandis
que dans mon village, avec la pénurie de travail, je ne
gagnais que 5 L.E. par jour ... quand je gagnais quelque
chose », raconte Ahmad Ali, l’un des habitants de
Béni-Saleh.
La vague d’immigration vers Doweiqa a commencé il y a une
vingtaine d’années, et année après année, le terrain s’est
transformé en une zone sauvage renfermant des centaines de
familles et de villageois, notamment de Béni-Saleh. « Mon
père me racontait qu’à l’époque on pouvait s’installer
n’importe où à Doweiqa. Ce qui a attiré de plus en plus de
personnes, jusqu’à que ce lieu soit devenu une des plus
célèbres zones sauvages du Caire », explique Ismaïl, un
habitant du village. De fait, ces dernières années
connaissant une dégradation de la situation économique,
avec, entre autres, de nombreuses fermetures d’usines, les
hommes du village tentaient de partir dans des pays arabes
avoisinant comme la Libye, alors que les autres se
précipitaient vers Doweiqa : « Qu’est-ce que j’attends ici ?
Même les trois carrières qui absorbaient chacune une
centaine d’ouvriers ont fermé leurs portes après la hausse
des prix du mazout et des autres matières », se plaint
Sayed, un des jeunes du village qui se préparait à aller à
Doweiqa, alors que la catastrophe l’a empêché de partir. En
fait, ces usines et l’agriculture sont les deux seules
activités au village, mais après la nouvelle loi contrôlant
les rapports entre propriétaires et locataires, le secteur
agricole a accusé un grave coup, et les paysans vivent dans
une situation instable.
« Le
propriétaire augmente chaque année le loyer de ses terres.
Il est passé ces 5 dernières années de 60 à 250 L.E. par an
l’hectare. Sans compter que le prix des matières chimiques
et engrais a incroyablement augmenté. Si bien qu’à la fin de
la récolte, les produits de mon terrain me rapportent moins
que ce que j’ai dépensé pour l’entretenir. Alors comment
vivre ? », se demande Abdel-Fattah, un paysan qui explique
que plusieurs de ses collègues ont vendu leur maigre
parcelle pour pouvoir survivre, et se sont dirigés vers
Doweiqa pour travailler.
Mais
pourquoi ce quartier a-t-il attiré autant d’habitants ?
Ahmad Ali explique que Doweiqa est très proche du centre du
Caire, il y existe une certaine diversité de métiers et
d’ateliers. Il est en fait devenu un réservoir de main-d’œuvre
où la demande de travail est importante. Les prix bon marché
des logements ont également encouragé l’implantation. « Je
payais 20 L.E. par mois dans une petite maison que je
partageais avec mon frère et quatre de mes voisins »,
explique Ahmad, ajoutant que dans le voisinage, il était
courant d’investir dans un petit logement pour y faire venir
le reste de la famille. Mais après cette catastrophe, des
centaines d’habitants de ce village vont rester au chômage.
« Ce qui rend la situation encore plus pénible », conclut
Ahmad.
Sabah
Sabet