Effondrement de Doweiqa.
Deux semaines après la catastrophe provoquée par
l’éboulement du flanc de la montagne de Moqattam, les
secours ont cessé, laissant place à la colère des familles
des victimes.
Zone de rage et d’amertume
Dès
qu’on s’engage sur le petit sentier qui mène vers le
quartier de Doweiqa, on est pris par une odeur nauséabonde.
A quelques pas de ces petites ruelles poussiéreuses et
difficiles à traverser gisent encore plusieurs dizaines et
peut-être plusieurs centaines de cadavres en décomposition.
Sur la zone sinistrée, un grand panneau indique : « Interdit
de pénétrer ». Un cordon de sécurité a été érigé et empêche
les journalistes de passer. Et il faudra de multiples
tractations pour accéder à la zone où la catastrophe s’est
produite. La plupart des habitants ont été évacués et on ne
voit plus que des bulldozers et une dizaine de pompiers de
la Défense civile et des unités de l’armée venus déblayer
les tonnes de rochers. Soudain, on entend des cris. Ce sont
des cris de colère. Une nuée d’hommes et de femmes
continuent de camper dans la zone et refusent de partir. A
l’annonce de la visite d’un responsable du quartier de
Manchiyet Nasser dont dépend Doweiqa, les femmes laissent
éclater leur colère. « Nous voulons nos proches et nos
enfants qui sont enterrés là », crient-elles. Le responsable
municipal tente de les calmer et leur dit qu’elles doivent
quitter le lieu car « il n’y a plus aucun espoir de trouver
des survivants ». Mais les femmes lui lancent des pierres à
la figure et insultent le gouvernement qu’elles accusent de
négligence et de corruption. Négligence car cela fait un an
et demi que les habitants avaient informé la municipalité de
quelques éboulements, faisant des blessés légers, mais
aucune démarche n’a été prise. Aujourd’hui, ce sont leurs
proches qui sont sous les décombres. Désormais, ces familles
refusent de quitter les lieux. « On a perdu tout espoir de
retrouver nos proches encore vivants. Mais au moins qu’on
retrouve leurs cadavres pour qu’ils soient enterrés
décemment. C’est leur droit d’être enterrés dignement. Nous
ne quitterons le lieu qu’avec les cadavres de nos familles
», crie Naglaa qui a perdu ses deux enfants et son frère.
Incapable de les convaincre de quitter le lieu, le
responsable prend sa voiture et part. Quelques moments
passent et un autre responsable de l’Organisme de la défense
civile se rend sur les lieux pour superviser les travaux
d’évacuation des rochers. Lui aussi aura droit aux insultes.
Plusieurs dizaines de cadavres seraient toujours ensevelis
Deux semaines après le drame qui a vu s’écrouler le flanc de
la montagne sur les habitants de Doweiqa faisant 101 morts,
le gouvernement a annoncé l’arrêt des recherches de
victimes. Mais l’amertume demeure vive. « Nous avons perdu
toute confiance dans les déclarations du gouvernement. Les
responsables viennent en voitures très chic. Ils font
quelques déclarations et repartent. Personne ne ressent nos
blessures. Nos proches sont ensevelis sous les décombres et
personne ne bouge », hurle en pleurant une femme qui a perdu
toute sa famille. Plusieurs dizaines de cadavres seraient
toujours ensevelis sous les décombres. Les bulldozers
tentent de déblayer les immenses rochers qui se sont
effondrés sur le site. Mais la tâche est difficile, car ces
rochers pèsent des milliers de tonnes et la zone reste
exposée à un nouvel éboulement. « Les moyens utilisés ne
sont pas adaptés à l’ampleur de la catastrophe. On a besoin
de moyens très sophistiqués pour accomplir rapidement notre
tâche, sinon les travaux pourraient durer plus de deux mois
», assure Abdallah Abdel-Ghani, président de la municipalité
de Manchiyet Nasser. La solution qui consiste à creuser une
voie pour arriver à briser le bloc de pierre n’a pas été
très efficace. « Le creusement d’une voie avec le matériel
disponible reste une mission difficile voire dangereuse. Un
autre éboulement de pierre pourrait survenir à tout moment
», assure Ahmad Abdel-Ghani, responsable à l’Organisme de la
défense civile. Vu cet obstacle, le gouvernement a commencé
à agir sur un autre volet, il a demandé au ministère de
l’Enseignement supérieur de réclamer des images du satellite
américain « Iconos » pour pouvoir déterminer le nombre exact
des bidonvilles détruits et des cadavres. Une commission
regroupant des géologues de cet organisme ont visité samedi
la zone sinistrée. La municipalité n’est pas en mesure de
préciser le nombre de maisons détruites à cause de l’absence
de recensement officiel de ce quartier sauvage créé après la
défaite de 1967 par un certain nombre d’artisans venus au
Caire à la recherche d’une vie meilleure. Le ministre de la
Santé, Hatem Al-Gabali, a averti, lui, que la décomposition
des cadavres sous les décombres pourrait favoriser la
propagation d’épidémies comme le choléra. Des produits
désinfectants ont été vaporisés dans toute la zone.
Marianne Youssef