Pakistan.
L’attentat sanglant perpétré contre le Marriott d’Islamabad
cette semaine met le nouveau président, Asif Zardari, dans
une situation fort critique face à des Talibans déterminés à
secouer le pouvoir de cet « homme des Etats-Unis ».
Zardari face au défi islamiste
L’ère
du règne du nouveau président Asif Ali Zardari s’annonce
très mal, avec l’attentat terroriste le plus sanglant
déclenché, samedi soir, contre l’hôtel Marriott, l’un des
deux plus grands hôtels d’Islamabad. Selon un dernier bilan,
cet attentat, qualifié par des responsables pakistanais du
11 septembre du Pakistan, a fait au moins 60 morts et 270
blessés, dont la plupart sont des étrangers, car cet hôtel
était essentiellement fréquenté par les élites pakistanaises
et la communauté étrangère expatriée. Dimanche dernier, une
vidéo diffusée à la télévision a montré qu’un kamikaze a
d’abord précipité son énorme camion sur la barrière de
sécurité du Marriott, avant de se faire exploser dans la
cabine. Plusieurs minutes après, l’énorme charge de 600 kg a
sauté. Un cratère de 18 m de diamètre et huit mètres de
profondeur trouait la chaussée. Les alentours ressemblaient
encore, dimanche soir, à une vraie scène de guerre.
Bien que personne n’ait revendiqué l’attaque jusqu’à
présent, Islamabad a d’emblée montré du doigt les Talibans
proches d’Al-Qaëda et les ont accusés d’avoir perpétré cette
attaque traumatique pour déstabiliser de plus en plus le
pays déjà en proie à une vague d’attentats islamistes, qui a
fait près de 1 300 morts en plus d’un an. « Cet attentat,
avec 600 kg d’explosifs, porte la marque d’Al-Qaëda. C’est
sûr », a accusé le conseiller du premier ministre chargé de
l’Intérieur, Rehman Malik.
Selon les analystes, l’attentat contre le Marriott visait un
double objectif : d’une part, entraîner une vague de
représailles étrangères vu que la plupart des victimes sont
des étrangers et d’autre part déstabiliser le pouvoir
pakistanais et détruire la confiance que lui accorde la
communauté internationale. « Les Talibans veulent montrer
que le nouveau chef est incapable de maintenir la sécurité
dans le pays et qu’ils peuvent frapper où et quand ils
veulent. N’oublions pas que Zardari, premier chef d’Etat
civil après 9 ans de régime militaire sous Musharraf, était
censé sauver le pays de la vague de violence qui le ronge et
mettre le pays sur la voie de la stabilité. Mais voilà que
les Talibans lui adressent un message ensanglanté : tu ne
pourras jamais régner en paix tant que tu es l’homme des
Etats-Unis. On va te créer des problèmes qui pourraient
fragiliser ton pouvoir et détériorer tes relations avec tes
alliés les Américains », analyse le Dr Hicham Ahmad,
professeur à la faculté des sciences politiques et
économiques, à l’Université du Caire. Et puis, cet attentat
contre un hôtel de renommée comme le Marriott n’est-il pas
aussi un attentat contre le symbole de la présence étrangère
au Pakistan et surtout contre le soutien pakistanais aux
Etats-Unis dans leur guerre contre le terrorisme ?
Suite à cet attentat qui vise à discréditer le président aux
yeux de son peuple, M. Zardari a promis, dimanche, que nul
n’entamerait la détermination de son gouvernement à
continuer de combattre les « terroristes » proches d’Al-Qaëda.
« Nous continuerons à combattre le cancer du terrorisme et
l’extrémisme sous toutes ses formes et ses manifestations.
Les Pakistanais sont un peuple brave et sans peur, ils ne
sont pas effrayés par la mort », a-t-il déclaré dimanche.
Tension avec les Américains
Outre l’image du président qui risque de ternir dès les
premiers jours de son pouvoir, l’attentat contre le Marriott
aurait des séquelles beaucoup plus graves sur les relations
du Pakistan avec les Américains, surtout après la mort de
deux d’entre eux lors de l’attentat. Depuis l’ère de
Musharraf, Washington a toujours accusé les autorités
pakistanaises de relâchement vis-à-vis de la lutte
antiterroriste, incitant Musharraf à battre d’une main plus
forte pour déraciner complètement les Talibans. Trouvant que
leurs appels demeuraient sans lendemain, les leaders
américains ont commencé à battre de leurs propres mains,
multipliant les tirs de missiles et ciblant les combattants
fondamentalistes au Pakistan depuis l’Afghanistan, mais sans
épargner des civils, au grand dam d’Islamabad qui proteste
en vain. Cette ingérence américaine a fort tendu les
relations entre les deux pays. Pire encore, ces dernières
semaines, les tirs de missiles par des drones américains
s’abattent quasi quotidiennement sur des maisons dans les
zones tribales, tuant des combattants d’Al-Qaëda ou des
Talibans, mais aussi des civils.
Dernier épisode. Une nouvelle attaque transfrontalière
américaine a tué, vendredi, six personnes dans la région du
nord-ouest, au grand dam d’Islamabad. « Les pays doivent
respecter la souveraineté de chaque nation. L’incursion sera
contre-productive et n’aidera pas à améliorer la situation
», s’est insurgé le ministre pakistanais des Affaires
étrangères, Shah Mehmood Qureshi. Toujours furieux, le
président pakistanais a affirmé dimanche : « Nous ne
tolérerons aucune violation de notre intégrité territoriale
par quelque puissance que ce soit. Notre pays ne doit en
aucun cas permettre que son sol serve de base pour mener des
attaques dans d’autres pays, au nom de la lutte contre les
islamistes. C’est au Pakistan seul d’éradiquer le terrorisme
sur son territoire », a déclaré Asif Zardari. Eradiquer le
terrorisme, est-ce une mission si facile ? Selon le Dr
Hicham Ahmad, les autorités pakistanaises ne pourront jamais
taper fort sur la main des Talibans pour plusieurs raisons.
Premièrement, si le président combat férocement les
Talibans, il va s’attirer la haine du courant islamiste au
Pakistan, un courant important qui existe avec force dans le
pays et qui pourrait lui causer de graves problèmes.
Deuxièmement, les Talibans vivent dans le nord-ouest qui est
une région montagneuse très difficile d’accès ; l’armée ne
pouvant donc jamais s’y déployer pour les pourchasser.
Troisièmement, cette région jouit d’un statut de
semi-autonomie qui ne permet pas au gouvernement pakistanais
d’intervenir de manière forte. « C’est pourquoi on peut dire
que les Etats-Unis ont plus ou moins raison dans leurs
accusations, car en fin de compte la lutte contre le
terrorisme ne semble pas sérieuse. D’où l’ingérence
américaine qui trouvera une nouvelle justification après
l’attaque du Marriott où des Américains ont péri », estime
le Dr Hicham.
Tout ce qui précède ne signifie pas que Washington est
disposé à perdre son allié-clé dans sa guerre contre le
terrorisme dans la région. Raison pour laquelle les
Etats-Unis ont dépêché leur chef d’état-major des forces
armées, l’amiral Michael Mullen, à visiter le Pakistan, la
semaine dernière, où il avait rencontré le chef d’état-major
de l’armée pakistanaise, le général Ashfaq Parvez Kayani, et
le premier ministre Yousaf Raza Gillani pour tenter
d’améliorer les relations bilatérales.
Maha
Al-Cherbini