Doweiqa.
Les ONG ont investi ce quartier pour apporter aide et
assistance aux rescapés de l’éboulement qui a fait des
centaines de morts et de sans-abri. Or leur mission n’est
pas de tout repos et les sinistrés continuent à sombrer dans
l’oubli.
Le drame de l’après-drame
Des
sms, des mails envoyés et des appels téléphoniques ont fait
le tour de l’Egypte la semaine dernière. Certains demandent
des secours pour les habitants de Doweiqa, toujours sans
abri, et d’autres s’interrogent sur les moyens de contribuer
à cette tragédie et porter assistance aux victimes. Des
camions et des voitures chargés de nourriture et de besoins
essentiels défilent quotidiennement sur l’autoroute. Les
images diffusées sur toutes les chaînes de télé, montrant la
catastrophe humaine causée par cet éboulement de blocs de
pierre à Doweiqa sur le flan de la montagne de Moqattam, ont
bouleversé les Egyptiens en ce mois du Ramadan. Des
centaines de familles ont perdu leurs proches à Ezbet Békhit,
tandis que d’autres ont échappé miraculeusement à la mort
dans ce bidonville et ses alentours, et dont les maisons
sont nichées au pied de la montagne depuis des années. Des
failles dans la colline et un système rudimentaire
d’évacuation des eaux usées ont causé déjà quelques dégâts,
mettant en danger la vie des habitants de Manchiyet Nasser
qui ont demandé du secours aux autorités à plusieurs fois,
mais sans résultat. « Ils nous répétaient dans la
municipalité : On verra quand il y aura des morts. Et voilà
que la mort a frappé à nos portes et nous a privés des êtres
les plus chers », lance un des sinistrés, qui partage avec
des centaines de familles des conditions de vie déplorables
sous les tentes dressées dans le centre de jeunesse de
Manchiyet Nasser. Dans un climat très tendu et une colère
indescriptible, les habitants qui ont perdu toute confiance
dans les autorités s’agrippent aux organisations civiles qui
viennent leur apporter de la nourriture, des vêtements ou
des couvertures. « Nous ne voulons pas de nourriture, mais
des toits pour nous protéger ». Ils se plaignent du manque
d’intérêt des autorités qui n’ont pas répondu à leurs appels
depuis plusieurs années et ont été lentes lors des
opérations de secours. Et à l’exception de l’intervention de
l’armée qui a commencé à creuser une voie pour arriver à
briser le bloc de pierre et a évacué plus d’une centaine de
familles dans des tentes installées dans le jardin de Fostat,
les réactions officielles n’ont pas été à la hauteur. Ce
manque d’intérêt et cette incapacité à gérer les crises de
la part du gouvernement ont été prévisibles pour la société
civile qui est intervenue sur-le-champ.
Les
habitants du quartier surpeuplé de Manchiyat Nasser affluent
aux camps des rescapés pour partager leurs modestes repas.
Une dizaine d’ONG comme le Croissant-Rouge, l’Association de
l’émancipation et du développement de la femme, Dar Al-Ourmane,
Ressala et la Banque de la nourriture ont lancé des
campagnes pour porter assistance aux victimes de cette
catastrophe. Magda, de l’équipe du travail de l’Association
du développement de la femme, qui travaillait depuis
longtemps à l’aide des habitants d’Al-Doweiqa, explique
qu’ils offrent à boire et à manger aux gens qui font les
fouilles et aident les blessés et les sans-abri à obtenir de
nouveaux papiers officiels pour avoir le droit de déménager
dans de nouveaux logements. « On a aussi réservé un bâtiment
appartenant à l’association pour servir d’hébergement aux
rescapés de Doweiqa et nous avons l’intention de fournir des
fournitures scolaires aux familles », explique Magda. De
grandes quantités de nourriture, de vêtements et de
couvertures sont offertes aux gens. Nagwan Moustapha, de
l’association Ressala, explique que les téléphones de
l’association ne cessent de sonner pour offrir des dons. Et
même des familles pauvres ont contribué avec leur maigre
repas d’iftar. « C’est parce que nous sommes en plein
Ramadan, mois de l’aumône, et aussi parce que les images que
les médias ont diffusées nous ont bouleversés », dit une
jeune fille. A citer que le mufti de la République a annoncé
que les victimes de Doweiqa méritent la zakat. Ces dons, qui
n’arrêtent d’affluer, aident les femmes veuves ou divorcées
avec leurs enfants et qui ont trouvé refuge sous les tentes.
Cependant, c’est loin d’être suffisant. « Le plus important
est de pouvoir mener une vie normale sous un toit en toute
sécurité », commente Hanaa, une femme. Là, où hommes et
femmes se côtoient, elle rêve de quelques gouttes d’eau pour
prendre une douche. « Il n’y a que trois toilettes pour
environ 150 familles. A quoi vont servir ces grosses
quantités de nourriture que l’on ne peut même pas avaler.
Nous n’avons pas l’habitude de manger autant de viande et de
poulets. Nous aimerions retrouver notre modeste vie, sous un
toit », dit Hanaa qui a deux enfants, malades à cause des
conditions déplorables dans ce camp. Hanaa n’est pas la
seule à souffrir. Cinq ou six
familles
sont entassées dans une tente, non loin d’un tas
d’immondices partout et au pied de la montagne, là où des
rochers risquent de s’écrouler. Mahmoud Samir et Imam Badr,
deux jeunes rescapés, expliquent que les gens sont exposés à
des piqûres de serpents ou de scorpions qui risquent de
s’infiltrer dans les tentes. Autre grand danger, les voyous
qui descendent de l’autre côté de la montagne et harcèlent
les femmes le soir. Malgré la présence du Croissant-Rouge
dans ce centre pour offrir de la nourriture et des soins
médicaux, les sans-abri courent de grands dangers dans ce
lieu en dehors de toute planification urbaine. « Nous avons
échappé de justesse à la mort et nous risquons mourir ici »,
dit un des sinistrés. Ce camp d’hébergement représente une
autre carence que le gouvernement veut à tout prix
dissimuler. Des policiers sont pointés en vigile pour
interdire tout accès aux journalistes. Des mesures strictes
justifiées par le maintien de l’ordre, mais qui visent aussi
à entraver également les interventions de certaines ONG.
Cependant, les occupants des tentes font tout pour crier
tout haut à l’opinion publique leur misère. Une caravane
dépendant de l’association Saoudi à Mohandessine, chargée de
vêtements et de produits pour enfants, n’a pas été autorisée
à passer. Et les ordres sont stricts : « Si vous voulez
offrir des dons, remettez-les à l’équipe du Croissant-Rouge,
elle se chargera de les distribuer », lance l’officier à
Leïla Saoudi, chef de l’association. La seule solution était
de distribuer les aides loin de la surveillance officielle,
donc hors du camp. Des mesures qui gênent certaines œuvres
de bénévolat. A l’exemple de Dar Al-Ourmane, présente sur le
terrain depuis le premier jour. Moustapha Zamzam explique
que les gens font plus confiance aux ONG qu’aux instances
gouvernementales pour transmettre leurs dons aux sinistrés.
« Cependant, un jour on nous autorise et un autre non. Nous
avons donc décidé de mettre fin aux aides quotidiennes que
nous offrons, en attendant que les gens soient transférés
dans de nouveaux logements », dit Zamzam, en ajoutant que
l’association se chargera d’équiper et de meubler 500
appartements. 100 000 L.E. seront consacrées aux familles
sinistrées.
Même
si une cinquantaine de familles du camp de Manchiyet Nasser
ont été relogées dans des appartements du projet de Suzanne
Moubarak, sous la houlette du gouvernement, beaucoup de
familles ne sont pas optimistes et craignent de passer le
reste de leur vie dans la rue. « Nous ne recevons aucune
réponse qui nous allège. Est-ce que nous aurons le droit
d’avoir un toit qui nous protège ? Des rumeurs sur la
corruption et l’injustice concernant la distribution de ces
logements circulent partout. Plusieurs familles ont occupé
de nouveaux logements et ne sont pas les vraies victimes de
cette catastrophe », s’indigne Abdel-Aziz Kamal qui passe sa
journée lui et sa grande famille emprisonnés dans une tente
ou devant la porte de la municipalité en attente d’une
réponse de la part des fonctionnaires qui ne disent rien. La
crainte de rester sans abri augmente. Même les ONG
commencent à s’inquiéter.
L’ONG Droit au logement a ainsi voulu faire pression et
alerter davantage les pouvoirs publics en organisant un
sit-in à la place Talaat Harb, en plein centre-ville. Or là,
la réponse des autorités ne s’est pas fait attendre. Les
membres de l’association ainsi que des journalistes sur le
terrain ont été maltraités par les policiers. C’est comme si
le gouvernement voulait à tout prix taire le drame de
Doweiqa comme tant d’autres drames. Les sinistrés de Doweiqa
hurlent leur colère pour dire que ce ne sont pas des
malfaiteurs, mais des gens modestes qui méritent plus
d’attention.
Des
êtres humains.
Doaa
Khalifa