Loisirs.
Pêcher est un divertissement qui ne cesse d’attirer des
amateurs. Un monde qui a son propre langage, ses outils et
surtout son charme. Reportage à bord d’un bateau
appareillant en mer Rouge.
La partie de pêche
Dès
l’aube, un groupe de jeunes s’est donné rendez-vous sur le
bateau Al-Mahroussa. C’est à bord de ce petit navire de 17
mètres d’envergure, qui tangue au gré des vagues de la mer
Rouge, que va se dessiner leur quotidien. L’embarcation se
dirige vers Hamata, située à 900 km du Caire, près de la
ville Marsa Alam. Un endroit encore vierge, infesté encore
de requins et qui ne cesse d’attirer les fans de la pêche. «
La raréfaction des poissons dans plusieurs endroits, pris
d’assaut par les pêcheurs et les amateurs de pêche, a fait
que nous sommes constamment à la recherche d’eaux
poissonneuses », lance Khaled, 26 ans, ingénieur et grand
passionné de ce sport. Achraf, le batelier, sert de guide
pour cette escapade en mer. Celui-ci semble comprendre le
langage des flots. « Avant de me lancer dans ce métier, je
travaillais comme ouvrier. La mer m’a toujours fasciné. Pour
comprendre ses secrets, j’ai dû passer six mois sur une
petite embarcation. L’occasion de découvrir les eaux
poissonneuses, les différentes profondeurs, la façon de
jeter l’ancre tout près des coraux, les saisons de pêche,
etc. A chaque fois que je brave un danger, j’apprends
quelque chose de nouveau et d’utile. La mer est comme une
école dont les secrets sont interminables. Mais la leçon la
plus importante que j’ai tirée de la mer, c’est qu’elle sait
donner mais aussi prendre beaucoup », explique Achraf sans
oublier d’enregistrer sur son appareil de navigation (GPS)
les informations qui lui sont utiles comme sa position en
mer et sa direction. Il contrôle le moindre mouvement,
arrête parfois le moteur et observe l’eau avec beaucoup de
concentration, même les bulles les plus minimes qui se
forment en profondeur. Un indice que l’endroit est
poissonneux.
Quant au groupe qui accompagne Achraf, il s’apprête à la
pêche. Tenant sa ligne, Tareq, ingénieur de 26 ans, est
occupé à mettre son hameçon, un petit poisson artificiel
qu’il fixe au bout de sa ligne. Cela s’appelle le trolling,
une méthode de pêche, la plus courante en Egypte. « Je tiens
à ce que mon rapala (appât suivant le jargon) ait la même
couleur que les poissons que je veux capturer. On utilise
cette méthode pour pêcher les barracudas ou les poissons qui
dépassent les 3 kg. Suivant les saisons, les bateliers
savent quel genre de poissons ils auront dans leurs filets,
les outils qu’ils vont utiliser et la méthode de pêche
qu’ils vont choisir », explique-t-il. Khaled, à son tour,
lance son fil avec un hameçon d’une autre forme et sur une
distance plus éloignée. « On ne doit pas jeter notre ligne à
des distances égales, on risque de voir son fil s’enrouler
avec celui de son voisin. Et pour mieux tromper les
poissons, les rapalas doivent être jetés à plusieurs
profondeurs. Un bon rapala nous indique quelle profondeur il
va atteindre ».
Hayssam,
38 ans, propriétaire d’une agence de publicité, a recours à
une autre technique, celle d’utiliser de vrais poissons car
leur odeur pourrait en attirer d’autres.
« Parfois je pêche la nuit et pour cela, j’utilise une
lanterne pour regrouper les petits poissons que je garde
vivants dans une ayacha et cela donne de bons résultats »,
ajoute-t-il.
A première vue, on a l’impression que ce groupe de jeunes se
fait concurrence pour réaliser une bonne pêche. Ils
recueillent les astuces que leur refilent les bateliers, les
amateurs de pêche et les informations qu’ils ont pu
rassembler lors des rencontres à l’Union égyptienne pour la
pêche ou à travers Internet pour les fans de ce sport. (site
egyfishingclub.com).
A l’autre bout du bateau, Omar utilise sa sebha. Une ligne
sur laquelle est fixé un morceau de plomb. Ce métal lourd
permet à la ligne de descendre plus loin pour pêcher les
poissons qui vivent en profondeur. « Mais le problème en
Egypte, c’est qu’il n’y a pas de réglementation concernant
la pêche. Partout dans le monde, il est interdit de prendre
les petits poissons. Dès qu’ils remontent dans les filets,
il faut les rejeter dans la mer pour leur donner la chance
de se reproduire. De plus, il ne faut pas pêcher au mois de
mars car c’est la période de reproduction de toutes les
espèces marines. Malheureusement, en Egypte, on ne respecte
rien et c’est pourquoi la mer Rouge a perdu une grande
partie de sa richesse marine », explique Tareq.
La mer Rouge, le paradis du pêcheur
En effet, la pêche comme divertissement a commencé à attirer
du monde dès le début des années 1980 et suite à la
libération de tout le Sinaï. Depuis, les bateaux de pêche
sillonnent paisiblement la mer Rouge. A Ras Ghareb, distante
de 100 km de Hurghada, à Wadi Al-Dom près d’Al-Aïn
Al-Sokhna, Ras Banas située près de Safaga, ou bien à
Hamata, non loin de Marsa Alam, on trouve des boutiques pour
articles de pêche. Des aquariums à ciel ouvert pour les
amateurs de faune et flore marines. « Les parties de pêche
en Egypte se déroulent le plus souvent à la mer Rouge car la
Méditerranée est une mer ouverte. Une escapade dans cette
dernière pourrait être dangereuse, si la mer se déchaîne. La
situation diffère à la mer Rouge. Les bateliers connaissent
les zones calmes les plus proches de leurs endroits et où
ils peuvent passer la nuit si la mer devient agitée. La mer
rouge riche en faune et en flore regorge de poissons et
d’autres espèces marines », explique Gamil Abdel-Alim,
propriétaire d’une boutique d’articles de pêche. Il organise
des parties de pêche à la mer Rouge depuis 1983. Celui-ci
prend contact avec les amateurs et leur offre toutes les
commodités nécessaires pour une telle escapade (outils de
pêche, amorce, etc. ainsi que les informations utiles à
travers son site fishermanpro.com).
Et bien que ce sport existe en Egypte depuis plus de deux
décennies, il ne cesse d’attirer des fans. « C’est un moyen
de se défouler, de se débarrasser de sa fatigue et de fuir
des pressions, surtout récemment où les fardeaux du
quotidien deviennent de plus en plus pesants. Une journée en
pleine mer est une véritable détente », assure Gamil, qui
organise environ une quinzaine d’escapades par semaine
durant l’été.
Une activité qui revient cher. « Une escapade de 36 heures
sur un navire de 15 mètres revient à 1 500 L.E. Les articles
de pêche à la traîne à 1 000 L.E., les cannes à 150 L.E. et
un fil de sebha entre 30 à 50 L.E. suivant la grosseur du
plomb », ajoute Hayssam qui fait de la pêche depuis 11 ans.
Un kif pour beaucoup d’entre eux, comme l’explique Achraf. «
On peut comparer la pêche à un jeu de hasard. Goût du
risque, de l’aventure, bonne ou mauvaise pêche il faut
s’attendre à tout », avance-t-il. Quant à Omar, 35 ans, il
estime que la pêche lui donne la chance de travailler, de
s’amuser et de jouir en équipe. Un esprit de groupe qui
manque en Egypte. « Avant chaque partie de pêche, chacun
sait ce qu’il doit faire pour que tout aille pour le mieux.
L’un est chargé de rassembler les boîtes de conserves, l’eau
nécessaire pour tout l’équipage, un autre doit préparer les
appâts, un troisième se procure la glace pour garder au
frais les poissons, un quatrième suit la météo pour
connaître la direction du vent, etc. Et tous collaborent
quand il s’agit de sortir de l’eau un gros poisson »,
poursuit Keréidi, dont la responsabilité est d’obtenir les
licences, délivrées par des institutions concernées.
En fin d’après-midi, l’équipage se prépare à déjeuner. Le
menu est varié puisque la pêche a été fructueuse : soupe de
poisson, gratin de fruits de mer et du poisson grillé. «
C’est ici que l’on peut goûter au meilleur poisson, car il
est très frais », renchérit l’un des jeunes. Il ajoute que
le reste de la pêche doit être conservé dans des glacières.
Ainsi en rentrant, chacun pourra avoir sa part.
A l’aventure
Après le déjeuner, tout l’équipage se rassemble pour se
préparer à une nouvelle expédition dangereuse et qui
probablement ne manquera pas de surprises. Tareq s’attelle à
couper des morceaux de poulets et de viande qui
serviront d’appâts aux requins. « Il faut éparpiller du sang
pour attirer les requins. Ce butin va nous garantir un
déjeuner copieux. Sa viande est savoureuse », comme le dit
Omar. Et pour goûter au miel, il faut supporter les piqûres
d’abeilles comme dit le proverbe. Une pêche qui exige
beaucoup de concentration et d’efforts car la moindre erreur
peut coûter la vie. Tous sont à pied d’œuvre pour tirer
cette proie de 15 kg. Avec un énorme couteau bien tranchant,
Tareq pique le poisson pour réduire sa résistance. A ce
moment, l’angoisse règne à bord. Dès que le requin est
remonté, tout le monde s’éloigne et cède la place au
batelier qui coupe sa tête avec le couteau. L’équipage est
soulagé dès qu’il voit que le poisson est sans mouvement.
C’est la joie, le joueur a triomphé.
Dina
Darwich