Al-Ahram Hebdo, Littérature | Hassan Teleb ,  Dessine une croix comme un croissant de lune
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 23 au 29 avril 2008, numéro 711

 

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Littérature

Ces vers inédits du poète égyptien Hassan Teleb sont une ode à la tolérance religieuse. A l’occasion de Pâques, nous publions ces vers où le poète intègre images chrétiennes et musulmanes dans une métaphore du vivre ensemble.

Dessine une croix
comme un croissant de lune
 

Voici ta croix mon frère

Alors dessine-la

Ou — si tu le désires — ne la dessine pas

Exprime mon frère la religion que tu professes

Ou tais-la

Mais ne discute pas de ce que s’il est dit

Tu ne le comprends pas

 

Dessine ta croix

S’il est nécessaire de dessiner la croix

Et si cela te concerne

L’idée de ton frère sur toi

A toi … alors sache-le :

La croix c’est toi et moi … Oui

Si tu me crois vraiment

Sinon prends une position verticale

Et tiens-toi debout et fais en sorte que tes bras

S’étendent latéralement

Et redresse-toi tu deviens une croix humaine

 

S’il faut dessiner la croix maintenant

Alors dessine sur mon corps

Et si c’était entre mes mains

J’aurais édifié un lieu de culte

Qui réunit les religions dans mon pays

Et à côté de cette église se trouve un monastère

Près d’une mosquée ou d’un temple

Peut-être épousera-t-elle un de ses voisins

En une scène !

Et peut-être qui sait

La religion et les hommes pieux seront-ils

Pareils à cela demain

 

Pourquoi la religion ne serait-elle pas à Dieu son révélateur

Et tous pour la patrie !

Et comment ne pas rechercher

Ce que — si nous voulons — nous pouvons !

 

Si j’y pouvais quelque chose

J’aurais dit : Dessine ta croix mon frère

Et hausse l’appel à la prière de l’aube dans le mihrab

Et mets-toi à la prière exaucée

De ces croyants-là :

De ces croyances-là ou les gens du Livre

Et dis : supposez que je suis Abou-Mahzoura Al-Qorachi

Ou même Bilal l’Abyssin

Pour que le doute ne tue pas la certitude

Et que s’apaise la colère du fanatique salafiste

 

Allez, dessine une croix

Dans laquelle la ligne verticale du mensonge

Est coupée par son opposée l’horizontale

Afin que tu résumes la foi en deux lignes

Pour les sceptiques

 

Dessine une croix lumineuse et ronde

Comme le croissant

Mais attention

N’associe pas ta croix ou ton croissant

A la querelle

 

Dessine une croix en imagination

Que seul tu vois

Puis avec le doigt écris-la :

Marque sur le front

Un signe furtif

De haut en bas

Puis de gauche à droite

 

Dessine une croix

Tu peux avec le mystère du Saint-Esprit en elle

Distinguer le visage de César

Du masque de Dieu

Puis tu sépares l’ici-bas de la religion

L’ange de l’être humain

Et l’imagination de la possession de la réalité

Accompagne-moi au vaisseau de l’église ô mon ami

Comme hier je t’ai accompagné

Vers la cour de la mosquée

 

Bois et verse-moi à boire du nectar du mystère des mystères

Et évoque-moi le vin des baptisés

Fais-moi écouter les psaumes de la prière

Répète à mes oreilles les cantiques des religieuses

Et le chœur des chansons des filles

Avec les garçons

Dessine et représente-moi la splendeur des Marie

Et viens rappelle-moi

Ce qui a été dit dans les Livres saints

Autour de la trahison des corps envers les âmes

 

Réjouis-moi avec Jean le bien-aimé

Et ce que les livres ont répété sur lui

Verse-moi à boire et bois

Et assouvis-moi de civilité

Répète les paroles de Matthieu

Et évertue-toi dans l’interprétation des rêves des apôtres

Parle-moi du martyre de Barnabé

Et puise dans la vie du louable

Jean le pilier

Et chante les louanges du glorifié Jean la bouche d’or

Je t’ai prié :

Dote-moi des trésors de sa sublimité :

Jean Saba

Et le Damascène qui a vénéré les images

Verse-moi à boire et bois

Et dis-moi puis représente-moi

Car mes semblables aiment les premières lueurs de l’aurore

 

Désaltère-moi avec cette amphore antique

Et ô mon frère

Si tu oublies n’oublie pas les tourments de l’âme

Et la léthargie qui a envahi les cinq sens

Et la soif que tu sais

Alors bois et verse-moi à boire

 

Et dessine une croix pareille à un croissant

Et garde-la libre devant ceux qui passent

Là-bas au méridien

Et fais-moi durer

 

Et dessine … et laisse-la régner aux frontières

Avec sa forme première et nouvelle

Qui la distingue des autres formes

Garde-la libre pour qu’elle s’incline à droite

Ou à gauche

Pour que s’éclairent à sa lumière ceux qui passent

A elle ils appartiennent

 

Dessine et dote-moi de l’enchantement licite

Et guéris-moi avec les mosquées idéales

Le moment de ma confession est arrivé

J’ai sali mon âme avec le péché

O Saint-Père purifie-moi

Je me suis livré à la tentation

Ce qui devait arriver est arrivé

Et le diable m’a cerné

Alors fils de mon père possède-moi

 

Et dessine une croix puis laisse-la moi

Pour y chercher le salut et y gagner le bien

Laisse-moi mon frère me sauver avec ta croix écrite

Et dessine une autre

 

Et viens tisser sur le chemin nos toiles

D’un peu de ces fils ou de ce filage

Peut-être attraperons-nous un miracle

Qui emportera tous les miracles

Avec leur Messie et leur croix

Qui s’élève sur toutes les conditions

Pour que nous retournions toutes les créatures

A l’innocence de l’existence première

Nous ferons revenir la félicité d’avant la chute

En ce temps-là la paix était sa voie et l’amour la nourriture de ses cœurs

Et peut-être qui sait

Le monstre qui est à l’intérieur de l’être humain changerait de but

Ses canines cesseront de répandre le sang

Et l’animal dans les forêts changerait ses habitudes

Et les oiseaux et les insectes leur comportement

Alors dessine une croix et nomme-la : le fantôme de la vérité

Lorsque tombe l’ombre de son crucifiant sur son crucifié

Alors fondra sa chandelle et s’évanouira son rayon

Et apparaîtra son mensonge pour embraser la méchanceté d’un combat

La vérité se détourne de son vaincu

Et dessine une croix d’un assemblage de verre

Qui est un miroir pour ceux qui viennent

Des générations et des foules

Ou un astre qui illumine

Un signe aux caravanes des pèlerins

Puis répands dessus des fleurs

Ou recouvre-la de sang

Et dis : c’est un symbole d’oraison funèbre au fil des époques

Pour les meilleurs des crucifiés qui sont morts sur elle :

Jésus et Al-Hallag

 

Alors crée une croix et considère-la une boussole

Afin que tu détermines ce qui est juste — ou injuste — grâce à elle

Mais — si tu es forcé — franchis la limite

Qui court vers toi

Si tu peux répondre, réponds

Et ne tends pas la joue aux criminels

 

Fais ta croix

Il n’importe pas d’or pur

Ou d’argent

Ou de fer-blanc

Dessine une croix qui occupe le vaste horizon

Et arrête-toi à ta place et attends

Aussi longtemps que tu attendras

Le dessin ne fera pas revenir Jésus !

Et ô mon frère

Si tu ressens la fatigue

Repose-toi

Laisse ce que tu as fait et dis-lui :

Tu n’es — n’eut été nous —

Que de pures traverses de bois qui se sont croisées

Simplement deux morceaux de bois fendus !

 

Repose-toi si tu veux

Ou crée une autre croix

Crée-la

Et varie les formes

Peins-la ou rends la carrée

Ou monte-la de pierres précieuses

Et ornemente-la de jaspe

 

(…)

Traduction de Suzanne Lackany 

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Hassan Teleb 

Né en décembre 1944 à Sohag (Haute-Egypte), Hassan Teleb est diplômé en philosophie de l’Université du Caire. Il est actuellement professeur de philosophie à la faculté des lettres de l’Université de Hélouan. Il a publié sept recueils de poèmes, le premier était intitulé Wachm ala nahday fatah (tatouages sur les seins d’une fille, éditions Oussama). Le dernier en date a été publié en 2002 par le Haut Conseil de la culture sous le titre Mawaqef Abi-Ali, wa rassaeloh wa aghanih (illuminations d’Abou-Ali, ses lettres et ses chansons). Il a également publié deux essais philosophiques, à savoir Al-Moqaddass wal gamil (le sacré et le beau) et Asl al-falsafa (l’essence de la philosophie). Depuis 1991, il est rédacteur en chef adjoint du mensuel Ibdaa (création). Et a reçu en 1995 le prix de poésie Cavafis décerné en Grèce. Des extraits de sa poésie ont été traduits vers le français et publiés dans la revue Action poétique.

 




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