Foire du Livre de Londres.
Invité d’honneur à cette édition, le monde arabe a relevé le
défi d’une participation active. Avec les six nominés de la
présélection du Booker arabe en hôtes de marque.
Une approche hors circuits officiels
La
Foire de Londres a pris fin la semaine dernière sur une note
positive concernant la participation arabe. Il était évident
en effet que les Arabes désiraient dépasser les erreurs de
la participation arabe à la Foire de Frankfurt en 2004, pour
la plupart dues aux choix des participants d’après des
critères officiels définis par les ministères de la Culture
des pays arabes. Cela avait conduit à l’exclusion de nombre
d’écrivains importants et à la marginalisation des jeunes
écrivains arabes. La Foire de Londres, elle, a heureusement
laissé le soin d’organiser le programme culturel à
l’Assemblée culturelle britannique, qui a donné la
possibilité aux noms nouveaux de participer, ainsi qu’aux
noms reconnus de la génération des années 1960. Plus
important encore, les textes choisis permettaient au lecteur
occidental et anglais de découvrir les courants
contemporains dans la littérature arabe contemporaine. Ainsi
que de faire la publicité pour les titres arabes auprès d’un
public international d’éditeurs, ce qui aura des
conséquences positives sur la traduction d’œuvres
littéraires de l’arabe vers l’anglais, qualitativement et
quantitativement.
Avant même la Foire, d’importants efforts avaient été menés
pour préparer le marché de l’édition britannique. Des
journaux britanniques — comme The Guardian et The
Independent — avaient ouvert un espace conséquent aux
écrivains arabes, et publié des contributions de
spécialistes de la littérature arabe. L’Assemblée culturelle
britannique a également entraîné plusieurs éditeurs arabes à
acheter les droits de traduction, dans le cadre d’ateliers
spécialisés et de colloques.
D’après Leïla Hourani, directrice des programmes d’échanges
créatifs au sein de l’Assemblée culturelle britannique pour
le Moyen-Orient : « La Foire a été l’occasion de combler le
fossé artificiel entre l’Occident et le monde arabe, tout en
donnant un moyen pratique d’entendre la voix créatrice du
monde arabe par sa source originelle ».
Il semblerait que cette question a pris une importance
particulière ; les responsables de la programmation ont été
confrontés, dans certains médias et rencontres
journalistiques au sein de la Foire et à l’extérieur, à des
questions sur le fait que la Foire donnerait des tribunes à
des écrivains arabes qui exprimeraient les idées des «
kamikazes, et des hommes de Ben Laden ». Mais le discours
des intellectuels arabes dans le cadre de leur participation
a largement contribué à donner une image différente des
clichés chers à certains médias. La tournée de M. Amr
Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, dans la Foire
a également permis de soutenir la participation arabe.
La présence massive du public dans les débats animés par des
écrivains comme Bahaa Taher, Alaa Al-Aswani, Khaled
Al-Khamissi, les Saoudiens Ragaa Al-Alam, Ragaa Al-Sane ou
le Libyen Hicham Matar, peut être considérée comme le signe
d’un changement positif au niveau de la réception de la
littérature arabe en Occident.
La Foire a également créé l’occasion de compenser l’absence
arabe dans les Foires de Paris et de Turin, en protestation
contre le choix d’Israël comme invité d’honneur. En
comparaison, la présence arabe dans la Foire de Londres a
permis d’entendre les voix d’écrivains souffrant de
problèmes dus à l’occupation. Un premier colloque était
consacré à la situation de la culture et de l’édition en
Iraq, et un second à la situation de la littérature
palestinienne, animé par des intellectuels palestiniens, les
critiques Fakhri Saleh et Fayçal Darradj et les écrivains
Mahmoud Chouqayr et Adaniya Chalabi.
Témoignages révélateurs
La campagne médiatique qui a accompagné le Booker a créé une
attente auprès du public de la Foire et des éditeurs, qui
cherchaient à rencontrer les candidats à ce prix jouissant
d’une crédibilité internationale. Cela s’est traduit par la
rencontre organisée par l’Assemblée culturelle britannique
avec les six écrivains arabes présélectionnés au prix, qui a
finalement échoué à l’écrivain égyptien Bahaa Taher pour son
roman Wahet Al-Ghoroub (l’oasis du couchant, voir Al-Ahram
Hebdo n° 706).
C’était la première rencontre avec le public pour ces
écrivains. La cérémonie de remise du prix à Abou-Dhabi le
mois passé ne leur avait pas donné l’occasion de débattre
des questions posées dans leurs œuvres, centrées sur la mort
et les moyens de faire face au recul des sociétés arabes,
d’après l’expression de Fayçal Darradj qui modérait le
débat. Il remarquait ainsi que le roman gagnant, L’Oasis du
couchant, portait sur la défaite du projet de la
modernisation arabe et le refus du passé, Madih al-karahiya
(ode à la haine) de l’écrivain syrien Khaled Khalifa sur les
modes de production de la haine dans notre société arabe. «
Pluie de juin » du Libanais Jabbour Al-Douwayhi sur le
discours produisant la guerre civile ; enfin, dans le roman
Ard al-yambous, du Jordanien Elias Farkouh, Darradj voyait
une adaptation autobiographique des défaites vécues par une
génération d’intellectuels arabes, de la nakba de 1948 à la
chute de Bagdad en 2003. C’est ce qu’aborde aussi la
Libanaise May Mansi, dans Antaïl al-ghoubar wa amchi (je
chausse la poussière et j’avance), et d’une certaine façon,
le roman Taghridet al-bagaa (le chant du cygne) de l’Egyptien
Mékkawi Saïd, cherchant les raisons des changements du
Caire, le recul qui conduit une génération d’intellectuels à
l’absence ou la mort.
Lors de la conférence, les écrivains ont souligné leur
rapport avec leurs œuvres et les sources de l’écriture. «
Mon roman est plus proche d’un avertissement qui prévient
d’une catastrophe à venir dans les pays de la région, avance
Bahaa Taher. Bien que le roman soit teinté par la brutalité
de la mort, il ne m’a pas entraîné au pessimisme, ajoute le
premier Booker égyptien. Je tiens à la parole de Tchekhov
disant à ses lecteurs : j’écris à propos de choses tristes
non pas pour vous faire pleurer, mais pour vous inciter à
les changer ».
Quant à May Mansi, elle a présenté une conception romantique
de l’écriture : « J’écris pour résister à ma tristesse,
quand j’ai commencé à sentir l’absence de la patrie dont je
rêve ». Pourtant, Mansi ajoute : « J’écris sur la mort pour
survivre ». Khaled Khalifa a relaté à l’audience la façon
par laquelle il a écrit son roman : « Le sujet de mon roman
est très douloureux, autour du conflit des fondamentalismes
et la rivalité qui naît entre le pouvoir et ses adversaires
cherchant à s’accaparer les droits des gens. Mon roman est
centré sur le corps d’une femme qui provoque la haine. Parce
qu’il s’agit du corps de femme, je me transformais tous les
matins en une femme avant d’écrire. Cela me plaisait parce
qu’à travers l’écriture, j’ai surmonté ma peur ».
Le Libanais Jabbour Al-Douwayhi a précisé qu’il n’avait pas
écrit Pluie de juin dans le but de changer le réel, comme
l’aurait fait Bahaa Taher. Guidé par les expériences de
l’enfance, son style est une sorte de réaction au « plaisir
vécu lors de l’écriture ». « J’ai écrit d’un point de vue
très personnel, très égocentrique », affirme Al-Douwayhi. «
Je pense que le pouvoir de la littérature réside dans sa
capacité à préserver ce plaisir, au-delà de l’usage qui en
est fait, que ce soit pour critiquer le pouvoir ou pour
adopter des appels au changement ».
L’intervention de l’Egyptien Mékkawi Saïd, très courte, a
été accueillie par un torrent d’applaudissements. Saïd a
souligné qu’il n’est pas encore habitué à affronter le
public. Il a rappelé que son roman était né après un silence
de 10 années, après la publication d’un roman et 3 recueils
de nouvelles qui, n’ayant pas attiré l’attention, l’avait
désespéré. « J’ai écrit ce dernier roman pour pleurer ma
ville Le Caire fanée sous les coups du changement. J’ai
hésité à le publier, mais j’ai fini par le faire, et je suis
ravi par son écho dans la rue égyptienne, avec six
rééditions en moins d’un an ».
Sayed
Mahmoud