Al-Ahram Hebdo, Idées | Une approche hors circuits officiels
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 23 au 29 avril 2008, numéro 711

 

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Idées

Foire du Livre de Londres. Invité d’honneur à cette édition, le monde arabe a relevé le défi d’une participation active. Avec les six nominés de la présélection du Booker arabe en hôtes de marque.

Une approche hors circuits officiels

La Foire de Londres a pris fin la semaine dernière sur une note positive concernant la participation arabe. Il était évident en effet que les Arabes désiraient dépasser les erreurs de la participation arabe à la Foire de Frankfurt en 2004, pour la plupart dues aux choix des participants d’après des critères officiels définis par les ministères de la Culture des pays arabes. Cela avait conduit à l’exclusion de nombre d’écrivains importants et à la marginalisation des jeunes écrivains arabes. La Foire de Londres, elle, a heureusement laissé le soin d’organiser le programme culturel à l’Assemblée culturelle britannique, qui a donné la possibilité aux noms nouveaux de participer, ainsi qu’aux noms reconnus de la génération des années 1960. Plus important encore, les textes choisis permettaient au lecteur occidental et anglais de découvrir les courants contemporains dans la littérature arabe contemporaine. Ainsi que de faire la publicité pour les titres arabes auprès d’un public international d’éditeurs, ce qui aura des conséquences positives sur la traduction d’œuvres littéraires de l’arabe vers l’anglais, qualitativement et quantitativement.

Avant même la Foire, d’importants efforts avaient été menés pour préparer le marché de l’édition britannique. Des journaux britanniques — comme The Guardian et The Independent — avaient ouvert un espace conséquent aux écrivains arabes, et publié des contributions de spécialistes de la littérature arabe. L’Assemblée culturelle britannique a également entraîné plusieurs éditeurs arabes à acheter les droits de traduction, dans le cadre d’ateliers spécialisés et de colloques.

D’après Leïla Hourani, directrice des programmes d’échanges créatifs au sein de l’Assemblée culturelle britannique pour le Moyen-Orient : « La Foire a été l’occasion de combler le fossé artificiel entre l’Occident et le monde arabe, tout en donnant un moyen pratique d’entendre la voix créatrice du monde arabe par sa source originelle ».

Il semblerait que cette question a pris une importance particulière ; les responsables de la programmation ont été confrontés, dans certains médias et rencontres journalistiques au sein de la Foire et à l’extérieur, à des questions sur le fait que la Foire donnerait des tribunes à des écrivains arabes qui exprimeraient les idées des « kamikazes, et des hommes de Ben Laden ». Mais le discours des intellectuels arabes dans le cadre de leur participation a largement contribué à donner une image différente des clichés chers à certains médias. La tournée de M. Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, dans la Foire a également permis de soutenir la participation arabe.

La présence massive du public dans les débats animés par des écrivains comme Bahaa Taher, Alaa Al-Aswani, Khaled Al-Khamissi, les Saoudiens Ragaa Al-Alam, Ragaa Al-Sane ou le Libyen Hicham Matar, peut être considérée comme le signe d’un changement positif au niveau de la réception de la littérature arabe en Occident.

La Foire a également créé l’occasion de compenser l’absence arabe dans les Foires de Paris et de Turin, en protestation contre le choix d’Israël comme invité d’honneur. En comparaison, la présence arabe dans la Foire de Londres a permis d’entendre les voix d’écrivains souffrant de problèmes dus à l’occupation. Un premier colloque était consacré à la situation de la culture et de l’édition en Iraq, et un second à la situation de la littérature palestinienne, animé par des intellectuels palestiniens, les critiques Fakhri Saleh et Fayçal Darradj et les écrivains Mahmoud Chouqayr et Adaniya Chalabi.

 

Témoignages révélateurs

La campagne médiatique qui a accompagné le Booker a créé une attente auprès du public de la Foire et des éditeurs, qui cherchaient à rencontrer les candidats à ce prix jouissant d’une crédibilité internationale. Cela s’est traduit par la rencontre organisée par l’Assemblée culturelle britannique avec les six écrivains arabes présélectionnés au prix, qui a finalement échoué à l’écrivain égyptien Bahaa Taher pour son roman Wahet Al-Ghoroub (l’oasis du couchant, voir Al-Ahram Hebdo n° 706).

C’était la première rencontre avec le public pour ces écrivains. La cérémonie de remise du prix à Abou-Dhabi le mois passé ne leur avait pas donné l’occasion de débattre des questions posées dans leurs œuvres, centrées sur la mort et les moyens de faire face au recul des sociétés arabes, d’après l’expression de Fayçal Darradj qui modérait le débat. Il remarquait ainsi que le roman gagnant, L’Oasis du couchant, portait sur la défaite du projet de la modernisation arabe et le refus du passé, Madih al-karahiya (ode à la haine) de l’écrivain syrien Khaled Khalifa sur les modes de production de la haine dans notre société arabe. « Pluie de juin » du Libanais Jabbour Al-Douwayhi sur le discours produisant la guerre civile ; enfin, dans le roman Ard al-yambous, du Jordanien Elias Farkouh, Darradj voyait une adaptation autobiographique des défaites vécues par une génération d’intellectuels arabes, de la nakba de 1948 à la chute de Bagdad en 2003. C’est ce qu’aborde aussi la Libanaise May Mansi, dans Antaïl al-ghoubar wa amchi (je chausse la poussière et j’avance), et d’une certaine façon, le roman Taghridet al-bagaa (le chant du cygne) de l’Egyptien Mékkawi Saïd, cherchant les raisons des changements du Caire, le recul qui conduit une génération d’intellectuels à l’absence ou la mort.

Lors de la conférence, les écrivains ont souligné leur rapport avec leurs œuvres et les sources de l’écriture. « Mon roman est plus proche d’un avertissement qui prévient d’une catastrophe à venir dans les pays de la région, avance Bahaa Taher. Bien que le roman soit teinté par la brutalité de la mort, il ne m’a pas entraîné au pessimisme, ajoute le premier Booker égyptien. Je tiens à la parole de Tchekhov disant à ses lecteurs : j’écris à propos de choses tristes non pas pour vous faire pleurer, mais pour vous inciter à les changer ».

Quant à May Mansi, elle a présenté une conception romantique de l’écriture : « J’écris pour résister à ma tristesse, quand j’ai commencé à sentir l’absence de la patrie dont je rêve ». Pourtant, Mansi ajoute : « J’écris sur la mort pour survivre ». Khaled Khalifa a relaté à l’audience la façon par laquelle il a écrit son roman : « Le sujet de mon roman est très douloureux, autour du conflit des fondamentalismes et la rivalité qui naît entre le pouvoir et ses adversaires cherchant à s’accaparer les droits des gens. Mon roman est centré sur le corps d’une femme qui provoque la haine. Parce qu’il s’agit du corps de femme, je me transformais tous les matins en une femme avant d’écrire. Cela me plaisait parce qu’à travers l’écriture, j’ai surmonté ma peur ».

Le Libanais Jabbour Al-Douwayhi a précisé qu’il n’avait pas écrit Pluie de juin dans le but de changer le réel, comme l’aurait fait Bahaa Taher. Guidé par les expériences de l’enfance, son style est une sorte de réaction au « plaisir vécu lors de l’écriture ». « J’ai écrit d’un point de vue très personnel, très égocentrique », affirme Al-Douwayhi. « Je pense que le pouvoir de la littérature réside dans sa capacité à préserver ce plaisir, au-delà de l’usage qui en est fait, que ce soit pour critiquer le pouvoir ou pour adopter des appels au changement ».

L’intervention de l’Egyptien Mékkawi Saïd, très courte, a été accueillie par un torrent d’applaudissements. Saïd a souligné qu’il n’est pas encore habitué à affronter le public. Il a rappelé que son roman était né après un silence de 10 années, après la publication d’un roman et 3 recueils de nouvelles qui, n’ayant pas attiré l’attention, l’avait désespéré. « J’ai écrit ce dernier roman pour pleurer ma ville Le Caire fanée sous les coups du changement. J’ai hésité à le publier, mais j’ai fini par le faire, et je suis ravi par son écho dans la rue égyptienne, avec six rééditions en moins d’un an ».

Sayed Mahmoud


 

Beyrouth,
capitale internationale
du livre en 2009
 

Malgré la gravité de la crise politique dans laquelle vit le Liban, le ministre libanais de la Culture, Tareq Mitri, a tenté d’investir la participation arabe à La Foire du livre de Londres pour annoncer le programme de son pays, sélectionné capitale du livre en 2009. Dans une conférence de presse organisée au cours de la Foire, Mitri a affirmé : « Notre pays dispose d’une aptitude à renaître et à dépasser la division politique. Nous souhaitons retrouver la place du livre dans notre vie pendant cette année ». A la conférence qui a vu une grande audience des gens des médias et des éditeurs, il a ajouté : « On se réfère au livre pour guérir, pour protéger sa mémoire contre le mal du confessionnalisme et de la division. Le livre est toujours l’espace de notre union nationale ».

Le ministre a indiqué que le choix de l’Unesco et des organisations internationales de Beyrouth comme capitale du livre reflète la confiance des organisations internationales dans l’Histoire du Liban avec le livre. Le programme qui s’étend pendant un an, d’avril 2009 à avril 2010, comprend une série d’activités organisées par un comité nommé pour ce but. Parmi les idées originales au menu de ce programme, « inviter des écrivains et des penseurs de par le monde à des colloques à caractère populaire, à travers des lectures dans les rues, les hôpitaux, les prisons et tous les lieux où le livre est inaccessible », avance Tareq Mitri.

Le programme n’est pas complètement élaboré, mais reste ouvert, selon le ministre, à toutes les propositions qui seront passées au crible par le comité responsable. Mais il a surtout indiqué la création d’un Fonds consacré à coopérer avec nombre de maisons d’édition pour la publication des livres pour la jeunessse, ainsi que la modernisation de la Bibliothèque nationale de Beyrouth en coopération avec la mairie. Un focus sera mis également sur la traduction du livre arabe dans toutes les autres langues. Le ministère libanais de la Culture ne subventionnera pas la totalité du programme, mais sera bienveillant aux appuis des organisations régionales et internationales pour réaliser l’ambitieux programme.

Tareq Mitri a vivement nié le fait que la situation sécuritaire à Beyrouth soit une raison pour annuler la manifestation culturelle. De même qu’il a critiqué la décision française qui a annulé la Foire du livre au cours des deux dernières sessions, la qualifiant d’une décision non étudiée. « Nous sommes aujourd’hui à Londres afin de stimuler d’autres pays occidentaux à venir au Liban et célébrer le livre avec nous », conclut-il.

Sayed Mahmoud

 




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