Iran .
Mahmoud Ahmadinejad est ouvertement critiqué sur sa
politique économique et le dossier nucléaire par des proches
de l’ex-chef d’Etat Rafsandjani, à un an de la
présidentielle.
Remous locaux
La
bataille est désormais ouverte au sein du gouvernement
iranien autour de la politique économique et financière, au
moment où la hausse des prix semble de moins en moins
contrôlable. Le ministre de l’Economie, Davoud Danesh-Jafari,
dont le limogeage a été annoncé le 9 avril, a expliqué
dimanche que son départ était motivé par ces tensions. De
son côté, le ministre iranien du Travail, Mohammad Jahromi,
a écrit dimanche une lettre ouverte au président
ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad pour empêcher
l’application de mesures annoncées par le directeur de la
Banque Centrale, Tahmasb Mazaheri, pour contrôler
l’inflation et la hausse de la masse monétaire. « Cette
politique n’aide en rien à faire baisser l’inflation mais
pousse à une hausse des prix », a affirmé M. Jahromi dans sa
lettre.
Elu en juin 2005 sur un programme de « justice sociale » et
de redistribution de l’argent du pétrole aux pauvres,
Mahmoud Ahmadinejad s’est engagé dans une politique
d’injection massive d’argent, grâce aux revenus pétroliers,
pour financer des projets d’infrastructure locaux,
provoquant une hausse du volume des liquidités et entraînant
une hausse de l’inflation. M. Ahmadinejad a ainsi mené une
politique dépensière, distribuant de l’argent sous forme
d’aide ou de prêts à faible taux aux couches défavorisées
des grandes villes et des régions rurales, qui avaient
largement voté pour lui. De nombreux économistes
réformateurs mais aussi conservateurs ont critiqué cette
politique qui a provoqué une hausse importante de la masse
monétaire (40 %) et une inflation galopante, véritable talon
d’Achille du régime d’Ahmadinejad. Selon les chiffres
officiels, l’inflation a atteint 18,4 % au cours des douze
derniers mois, mais des experts économiques estiment qu’elle
dépasse en réalité largement les 20 %, en raison notamment
de l’injection massive de pétrodollars dans l’économie.
Le président a rejeté à plusieurs reprises les critiques en
affirmant que la hausse des prix était due à des « facteurs
extérieurs », notamment l’augmentation du prix du pétrole et
la baisse du dollar. M. Ahmadinejad, qui a remplacé ces
derniers mois presque tous les ministres liés à l’Economie,
rend régulièrement responsable de l’inflation les « ennemis
de l’intérieur » et les campagnes médiatiques de ses
opposants. Ils les accusent de chercher à renverser son
gouvernement en coordination avec les ennemis de l’Iran. Il
les a accusés de contrôler une mafia économique et de
l’empêcher d’appliquer son programme économique. « Leur
objectif est clair. Certains, à l’intérieur, pensent
accompagner les ennemis (de l’extérieur) dans les pressions
économiques et les menaces pour faire tomber le gouvernement
», a-t-il dit. L’Iran fait l’objet de sanctions du Conseil
de sécurité de l’Onu et de pressions américaines pour
suspendre son programme nucléaire controversé.
La politique d’Ahmadinejad en matière nucléaire est
critiquée par une frange de l’élite gouvernante. Un haut
responsable iranien, proche du guide suprême, l’ayatollah
Ali Khamenei, a violemment critiqué la politique étrangère
du président, en affirmant que l’Iran devait chercher à
s’entendre avec le reste du monde au lieu de l’affronter. «
Nous avons besoin d’une politique étrangère positive,
c’est-à-dire prononcer des paroles qui suscitent
l’approbation. Est-ce que la politique étrangère signifie
dire des grossièretés et fanfaronner ? », a demandé Hassan
Rohani dans une claire allusion aux propos habituellement
tenus par le président. M. Ahmadinejad a toujours tenu un
discours intransigeant sur le dossier nucléaire, allant
jusqu’à qualifier de « bouts de papiers » sans conséquences
les résolutions du Conseil de sécurité des Nations-Unies
contre l’Iran.
« Cela n’est pas de la politique étrangère. Il faut choisir
un comportement accommodant pour faire baisser les menaces
et assurer les intérêts » du pays. Hassan Rohani, un proche
de l’ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani, est
actuellement l’un des deux représentants du guide suprême,
l’ayatollah Khamenei, au sein du Conseil suprême de la
sécurité nationale. Il a lancé ces deux dernières années
plusieurs attaques virulentes contre le président
Ahmadinejad, critiquant notamment sa politique de
confrontation avec l’Occident dans le dossier nucléaire.
Rafsandjani visé
M. Ahmadinejad accuse ses opposants d’être directement
responsables de l’inflation galopante en introduisant, par
exemple, « des sommes colossales sur le marché immobilier,
avec l’aide de certaines banques privées et d’Etat ». Les
prix des logements ont plus que doublé en un an, mais selon
les adversaires du président, c’est parce que les capitaux
se sont dirigés vers le marché immobilier en raison de la
politique du gouvernement qui défavorise la production.
Par ses propos, le président Ahmadinejad vise clairement des
franges du pouvoir qui contrôlent des postes-clés et qui
sont proches de Rafsandjani. Ce dernier dirige le Conseil de
discernement du régime, le plus haut organe d’arbitrage
politique, et l’Assemblée des experts religieux, chargée de
nommer, contrôler et éventuellement démettre le guide
suprême. Il a lancé une mise en garde en affirmant que « la
hausse du prix des produits alimentaires touche plus
particulièrement les pauvres ». « Aujourd’hui, les gens dans
le monde sont conscients ; si l’injustice augmente, ils se
révoltent et c’est leur droit car ils n’ont pas d’autres
choix », a déclaré M. Rafsandjani, dont l’hostilité envers
le président Ahmadinejad n’est un secret pour personne.
Ces attaques interviennent à un peu plus d’un an de
l’élection présidentielle et alors que les critiques montent
non seulement contre la politique économique du
gouvernement, mais aussi contre le limogeage de membres du
gouvernement, signe des désaccords croissants au sein du
gouvernement. Quelque 150 députés ont ainsi écrit une lettre
pour demander au président de revenir sur le renvoi du
ministre de l’Intérieur, Mostapha Pour Mohammadi. Le parti
conservateur Motalefeh, proche des grands commerçants du
bazar de Téhéran, a jugé de tels changements « dommageables
». Revenant sur ces limogeages, le président a refusé de
faire marche arrière. « J’irai jusqu’au bout pour changer et
déraciner toutes les personnes corrompues ou qui font preuve
de manque de détermination. Je n’ai peur de rien », a-t-il
lancé. Depuis son élection en 2005, M. Ahmadinejad a déjà
remplacé cinq ministres, notamment ceux du Pétrole et de
l’Industrie, mais aussi le président de la Banque Centrale
et le vice-président responsable de l’Organisation du plan
et du budget. Le prochain départ des ministres de l’Economie
et de l’Intérieur portent au total à neuf le nombre de
membres du cabinet remplacés par des fidèles, en deux ans et
demi, dont sept qui occupaient des postes économiques.
Le gouvernement de M. Ahmadinejad a parallèlement accentué
sa politique de contrôle de la société, qualifiée de «
répressive » par les rares défenseurs des droits de l’homme.
Une campagne visant officiellement à améliorer la sécurité
des citoyens s’est traduite par une accélération du nombre
d’exécutions pour divers crimes, l’emprisonnement
d’étudiants contestataires et d’activistes féminines, et des
contrôles plus fréquents pour faire respecter le code
vestimentaire islamique.
Dans ce contexte, les adversaires de M. Ahmadinejad, des
conservateurs pragmatiques de l’ex-président Rafsandjani aux
réformateurs de l’ancien président Mohammad Khatami,
critiquent de plus en plus ouvertement sa politique.
Notamment en s’inquiétant des risques croissants d’une
attaque contre l’Iran, mais aussi du coût économique que ses
défis à l’Occident impliquent. Le président iranien reste
sourd aux critiques. Il a annoncé il y a quelques jours un
vaste plan économique, dont il n’a pas dévoilé les détails.
Selon la presse, il veut notamment supprimer les subventions
pour le pain, l’essence et d’autres produits énergétiques,
qui représentent près de 100 milliards de dollars, et verser
directement de l’argent aux Iraniens pour compenser la fin
des subventions. Plusieurs économistes ont mis en garde le
gouvernement contre les risques inflationnistes d’une telle
décision.
Le danger pour le président est que sa politique de
subventions et de dépenses publiques n’arrive plus à
compenser une inflation qui touche prioritairement les
classes les plus pauvres. Or, ces dernières constituent le
cœur de l’électorat qui a porté M. Ahmadinejad au pouvoir en
2005 et dont le mandat expire l’année prochaine .
Hicham Mourad