Après 40 ans de carrière, l'actrice
Mervat Amin
garde son aura de star. L’une des rares de sa
génération. De film en film, elle révèle une énergie calme
et une lucidité mordante qui la caractérisent.
Aller au bout de Soi
Charmante et douce, elle a tout pour plaire. Le temps ne lui
a volé ni sa beauté ni sa finesse, préservant à son visage
une allure d’icône. Même si la vie lui a joué parfois des
mauvais tours, on peut toujours reconnaître la Mervat Amin
des grands rôles romantiques d’antan. Cette comédienne au
charme ravageur, au naturel follement charismatique, possède
l’un des plus beaux sourires du cinéma égyptien.
Retrouvant les caméras de la télévision pour la troisième
fois en quelques mois, elle tourne actuellement le
feuilleton Tayara waraq (cerf-volant). Juste quelques jours
après avoir terminé le feuilleton Kelmet haq (juste parole)
devant Hassan Hosni, programmé pour le prochain Ramadan.
Elle évoque le personnage qu’elle incarne dans ce dernier
feuilleton : « Tamader est riche par ses sentiments et
paradoxes. Cette femme douce, présentatrice d’une émission
culinaire à la télévision, gère aussi un jardin d’enfants.
Les problèmes qu’elle affrontera lui feront changer de
caractère ».
Un rôle qui correspond à l’image que le public se fait
d’elle. Non seulement une belle femme, mais un personnage
dégageant une liberté d’allure et de tempérament qui semble
aux spectateurs très familière et respectueuse. « Se
consacrer à un rôle avec intensité » correspond, selon elle,
à sa manière « d’aller jusqu’au bout, à la recherche de la
sincérité ». Mervat Amin a le talent de s’installer
naturellement dans la peau du personnage, toujours à la
limite entre rébellion et fragilité. On a sans cesse le
sentiment qu’elle laisse quelque chose d’elle-même, qu’elle
risque quelque chose, que ça n’a rien d’un jeu, car ce sont
ses propres blessures qui structurent ses rôles. Sereine,
elle conserve son calme légendaire et sa lucidité, à toute
épreuve.
Jeune, elle a choisi le moyen d’expression qui allait
devenir son objectif de vie : le cinéma. « Je me rappelle
les films américains que j’avais l’habitude de regarder à la
télévision. Je rêvais du grand écran », dit-elle avec des
yeux qui pétillent, ajoutant : « Je n’ai pas grandi dans un
milieu artistique, mais la culture était toujours
omniprésente dans notre entourage ». Son père,
ophtalmologue, a bien passé ses années d’études à l’étranger
où il a rencontré une jeune Ecossaise, qu’il a épousée et
ramenée en Egypte.
Née à Minya, en Haute-Egypte, où a travaillé son père
pendant quelques mois, elle n’en garde aucun souvenir,
puisqu’elle a plutôt passé son enfance au Caire, précisément
dans la banlieue d’Héliopolis. « Une enfance magique et
simple », se souvient-elle de ses années scolaires passées à
l’établissement Saint-Marc, avant de faire lettres anglaises
l’Université d’Aïn-Chams.
En 1968, une rencontre bouleversa ses plans. Le comédien
Ahmad Mazhar se préparait à produire son film Nofous haëra
(esprits égarés), lorsqu’il remarqua la petite Mimi, qui est
venue chercher une amie sur le plateau. Deux phrases
suffisaient pour décider de lui offrir son premier rôle. «
J’ai passé des semaines à convaincre mes parents qui
refusaient de voir leur fille unique devenir actrice. Après
de longues délibérations, ils m’ont laissé vivre
l’expérience, croyant que ce serait une fois pour toutes !
».
Dans ce film original, produit par Ahmad Mazhar, la jeune
inconnue crève littéralement l’écran par son naturel et sa
sensualité. Elle est propulsée au devant de la scène grâce à
un rôle qui a mis l’accent sur son élégance soignée de belle
jeune fille pure et blonde. Un peu de l’idéal féminin de
l’époque.
Tout de suite, elle est engagée par le comédien Fouad Al-Mohanddes
afin d’incarner sa fiancée dans Awdet akhtar ragol fil alam
(le come-back de l’homme le plus dangereux). Un tournage qui
fut ajourné pendant des années.
L’apprentie-comédienne abandonne momentanément ses études et
se lance à corps perdu dans le métier de l’art. « Ni la
littérature ni les chiffres ni la comptabilité étaient ma
tasse de thé. Je l’ai fait savoir à mes parents qui ont fini
par comprendre. Alors, ils ont commencé à me prêter
main-forte ».
Film après film, elle prouve que sa présence au cinéma n’est
pas un effet de mode. « Avoir recours aux nouveaux talents
pour la simple raison de remédier à l’ennui et à la
monotonie qui pourraient atteindre le public était une leçon
que les producteurs avaient bien digérée ».
Mariés en 1978, le couple Hussein Fahmi/Mervat Amin est sous
les feux des projecteurs. La jeune comédienne se voit
soudain à l’affiche de nombreux projets communs, dont Nagham
fi hayati (mélodies de ma vie, 1975), Al-Fatena wal soelouk
(la belle et le truand, 1976), Hafiya ala guesr min al-zahab
(pieds nus sur un chemin doré, 1977), Mervat Amin privilégie
visiblement pour un bon bout de temps les rôles de la femme
fatale.
En fait, si la chance était une planète, elle aurait
appartenu à Mervat Amin. Alors que le chanteur Abdel-Halim
Hafez et le réalisateur Hussein Kamal étaient invités à
dîner chez le directeur de la photo Wahid Farid, ce dernier
a projeté le film qu’il venait de finir. Halim et Kamal se
sont épris de la jeune actrice. « Halim n’a prononcé qu’une
seule phrase : j’ai trouvé ! C’est elle que je cherchais
pour mon nouveau film ! ».
Un premier boom : partager la vedette avec Halim et Nadia
Loutfi, dans Abi fawq al-chagara (mon père perché sur
l’arbre). « J’adorais les chansons de Halim et passais des
heures et des heures à regarder ses films ! ».
Elle est bien consciente de ce qu’elle a vécu. « Nous avons
tous de beaux souvenirs avec les chansons d’Abdel-Halim,
mais qu’il me chante (dans le film) deux de ses plus belles
chansons ?!! Je me souviens du tournage comme si c’était
hier ! Je me rappelle également que j’étais enrhumée
lorsqu’on tournait la chanson Ya khaley al-qalb (toi, au
cœur libre). J’avais une voix enrouée en répondant à Halim !
».
La mort de son chanteur adulé lui fit perdre la tête, elle
n’arrivait pas à croire qu’elle ne reverrait plus le «
rossignol brun ». Ses sentiments douloureux l’ont à nouveau
animé en jouant en 1988 dans Zawgat ragol mohem (épouse d’un
homme influent) de Mohamad Khan, où elle interprétait le
rôle d’une fan de Halim dont les chansons racontaient sa
vie.
Un bonheur n’arrive jamais seul : sa prestation dans ce film
lui vaut pas mal de prix.
Déjà, elle était abonnée aux films phares de l’époque, ayant
travaillé avant de grands réalisateurs. En roue libre dans
ses rôles, mais dirigée d’une main de fer — à ses débuts —
par Atef Salem, plus exigeant que jamais dans Al-Hafid (le
petit-fils), Mervat Amin devient d’un film à l’autre l’une
des comédiennes les plus prometteuses de sa génération.
Son regard, son sourire, ses mystères lui valent la
fascination du public. Elle s’était imposée aussi par Anf wa
salas oyoun (un nez et trois yeux), d’après Ihsane Abdel-Qoddous,
aux côtés de la troublante Naglaa Fathi, sa seule amie,
outre que Chéwikar. « Le reste, c’est des collègues
partageant la même profession ! ».
« Naglaa est mon âme sœur, nous sommes de la même génération
et amies depuis l’enfance. Toutes les deux, nous sommes
sportives, d’Héliopolis, membre d’un même club. On se
rencontre presque chaque semaine, sinon, nous passons des
heures à bavarder au téléphone ».
Encore jeune, Mervat Amin, la comédienne au regard clair et
à la voix cassée a interprété en 1984 le rôle d’une mère
pour deux jeunes hommes dans Tazwir fi awraq rasmiya (faux
papiers). De quoi accroître son crédit auprès du public et
de ses pairs.
Pendant les années 1980, la comédienne rencontra Atef Al-Tayeb,
un réalisateur qui lui permet de renouveler sa palette
d’émotions et sa gamme de personnages, surtout avec son rôle
dans Sawaq al-autobis (chauffeur de bus), devant Nour
Al-Chérif, avec qui elle a partagé pas mal de succès.
Grâce à un cocktail de personnages magnifiques, Mervat Amin
est aujourd’hui l’une des rares actrices de sa génération à
préserver son statut de vedette incontournable.
Comme pour aller à l’encontre d’une filmographie dure et
grave à la fois dans les choix de rôles et de cinéastes, la
comédienne a multiplié dans les années 1990 les expériences
comiques aux fins accents. Elle s’est rangée dans un
registre plus léger comme dans Wahda bi wahda (œil pour œil)
et s’est trouvé un superbe rôle de femme amoureuse dans Al-Donya
ala guenah yamama (la vie sur l’aile d’une tourterelle).
Mais certainement destinée à des rôles plus complexes, on
l’a retrouvée aussitôt dans Al-Aragoz (le guignol) avec Omar
Al-Chérif, sans inhibition, d’une lucidité mordante et
implacable. Elle apporte sa profondeur, son supplément d’âme
au personnage, ce genre d’« énergie calme » qui n’appartient
qu’à elle. Cependant, dans bien des rôles et pour longtemps,
elle a été prisonnière de la belle fille séduisante, au
point de dire que le cinéma l’a souvent sous-exploitée. Sa
détermination l’a encouragée à faire son come-back l’année
dernière au cinéma, avec Morgan Ahmad Morgan, face à Adel
Imam, avec qui elle a partagé plusieurs aventures
artistiques.
Bien que d’une timidité discrète, la femme n’a presque pas
de zones d’ombre, ses faiblesses, elle les assume presque
fièrement. Elle n’hésite pas à chercher son portable pour
montrer la photo de sa fille, Menna. « C’est ma plus chère
amie, mon présent et mon futur. La source de ma joie. Elle
continue à nous unir, son père (le comédien Hussein Fahmi)
et moi, même après notre divorce », dit-elle simplement.
Après quatre mariages et divorces, l’actrice vit sans
partenaire. Elle raconte avoir épousé le chanteur syrien
Mowaffaq Bahgat, le musicien égyptien Omar Khorched, le
comédien Hussein Fahmi et l’homme d’affaires Moustapha Al-Béleidi.
« Cela me suffit. Je ne pense pas à un cinquième, alors que
ma fille se marie dans quelques semaines »,
plaisante-t-elle, révélant le visage d’une bien drôle, au
sourire resplendissant.
Yasser Moheb